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Chasse sous-marine illégale : Au Maroc, l’avenir des Mérous est en péril ! [INTÉGRAL]


Rédigé par L'Opinion Lundi 21 Août 2023

Le braconnage du mérou est-il du seul fait des adeptes de la chasse sous-marine ? Le contrôle et les textes juridiques qui protègent l’espèce sont-ils suffisants ? Eclairages.



Poisson emblématique autant pour son écologie remarquable que pour ses qualités culinaires, le mérou n’en est pas moins une espèce menacée dont le prélèvement est strictement réglementé. Au Maroc, la chasse du mérou est strictement interdite tout au long des mois de juillet et d’août qui correspondent à sa période de reproduction. Ces dispositions ne sont malheureusement pas respectées puisque plusieurs restaurants du pays continuent à en proposer et à en étaler des quantités qui ne peuvent se justifier en cette période que par le recours à des filières de braconnage. En témoigne un article, parut ce 15 août 2023 dans le média électronique arabophone Albahr24.ma, illustrant l’étalage d’un restaurant tangérois garni de 8 mérous bien frais. « Des sources professionnelles lient ce cas à des plongeurs et des associations spécialisées qui disposent d’engins pour plonger (…) et chasser cette espèce dont la demande augmente durant la période estivale », précise la même source.
 
Plongeurs vs braconniers

Selon nos propres sources, les autorités concernées ont ouvert une enquête pour identifier les responsables de ce commerce illégal autant auprès des restaurateurs que de la communauté des pêcheurs. Les amateurs de chasse sous-marine en Méditerranée expriment pour leur part « une consternation profonde d’être encore une fois confondus avec les braconniers vis-à-vis du grand public ». Le coordinateur de l’Alliance Marocaine de la Protection des Océans et président de l’Association Abtal Fnideq pour la Plongée Sous-Marine et la Protection de l’Environnement, Younes Baghdidi, explique que les amateurs de plongée sous-marine démontrent depuis plusieurs années leur engagement environnemental. « En plus de promouvoir notre sport, nous organisons régulièrement des campagnes de nettoyage du fond marin et nous participons également à la collecte de données sur les espèces marines. Les responsables de ces actes de braconnage n’ont rien à avoir avec nous », explique-t-il.
 
Des professionnels de la chasse

Le plongeur dont l’association a été primée plusieurs fois, notamment par la Fondation Mohammed VI pour l’Environnement, affirme que le braconnage du mérou se fait de trois manières différentes. « Il y a bien évidemment des braconniers qui sont équipés de bonbonnes d’oxygène, ce qui est illégal pour la chasse au mérou. Ils utilisent parfois des engins de propulsion sous-marine qui ne devraient pas également être utilisés pour traquer les poissons. Mais n’oublions pas que le mérou est également braconné lorsqu’il est pêché au fil par la pêche artisanale. Une autre forme de braconnage étant la pêche au filet qui se positionne illégalement à proximité des côtes et décime les alevins et jeunes mérous qui peuvent se trouver dans ces eaux durant la période de reproduction de l’espèce », explique M. Baghdidi, qui précise par ailleurs que sa communauté avait officiellement recommandé aux autorités d’étendre la période de repos biologique aux dernières semaines de juin et aux deux premières semaines de septembre.
 
Sévir et sensibiliser

« D’autre part, je pense que la protection de cette espèce emblématique devrait être l’affaire de tous. Il faut réactualiser le cadre légal, sévir contre les contrevenants, améliorer les dispositifs de contrôle, mais également déployer plus d’efforts pour sensibiliser le grand public et les restaurateurs. Il serait par ailleurs judicieux d’améliorer la traçabilité du mérou qui est sur le marché », suggère M. Baghdidi. À noter que le mérou brun est menacé dans l’ensemble de la Méditerranée par le prélèvement excessif et par la destruction de ses habitats. L’espèce est protégée à l’échelle internationale par la Convention de Berne de 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe. Au Maroc, ce poisson emblématique a été classé en 1993 comme espèce protégée. Le cadre réglementaire qui régit la chasse, la pêche et le commerce du mérou est cependant plus qu’obsolescent et requiert une mise à jour urgente et adaptée au contexte actuel des pratiques de braconnage et de la situation écologique de l’espèce.
 

3 questions à Younes Baghdidi « Les effectifs de cette espèce semblent avoir régressé, surtout dans leurs habitats côtiers »

Coordinateur de l’Alliance Marocaine de la Protection des Océans (AMPO) et président de l’Association Abtal Fnideq pour la Plongée Sous-Marine, Younes Baghdidi répond à nos questions.
Coordinateur de l’Alliance Marocaine de la Protection des Océans (AMPO) et président de l’Association Abtal Fnideq pour la Plongée Sous-Marine, Younes Baghdidi répond à nos questions.
Pensez-vous que le braconnage du mérou au Maroc puisse entraîner sa disparition ?
 
Toute espèce qui est menacée, dont les habitats sont dégradés et les effectifs en chute, est de facto exposée au risque de disparaître d’une manière parfois irréversible. Le mérou brun ne déroge pas à cette règle et le braconnage ne peut qu’être un facteur aggravant. Les périodes de repos biologique sont des moments de répit qui ne doivent pas être violés. Autrement, la récupération de l’espèce ne se fait pas, ce qui à terme peut entraîner sa disparition.
 
Comment évaluerez-vous l’évolution des effectifs du mérou à la lumière de vos expériences de plongée ?
 
Avant d’estimer cette évolution, je pense qu’il faut d’abord estimer la taille des mérous qui sont proposés à la vente durant ces dernières années. Comparativement au passé, les mérous qui sont consommés de nos jours sont le plus souvent de taille minimale. Dans la mer, les effectifs de cette espèce semblent avoir régressé, surtout dans leurs habitats côtiers. Cela dit, dans les profondeurs qui se trouvent plus au large, les mérous de très grande taille vivent encore dans des zones souvent peu étudiées, mais qui sont de plus en plus recherchées aussi bien par les braconniers de pêche artisanale que de la chasse sous-marine.
 
Pensez-vous qu’il faille revoir l’arsenal juridique qui encadre la pêche du mérou ?
 
Je pense que c’est actuellement en cours, car notre association avait été sollicitée pour donner son avis afin de finaliser des projets de nouvelles lois qui sont actuellement en phase de validation. En plus d’étendre la période du repos biologique, nous avons recommandé que le nombre de mérou à chasser par jour soit limité à un seul. La loi actuelle évoque cinq poissons sans préciser le quota pour les mérous, ce qui fait qu’il est encore légal de chasser 5 mérous par jour en toute légalité (hors période biologique). D’autre part, nous avons également suggéré que les nouveaux équipements de plongée comme les engins motorisés soient interdits durant la chasse du mérou, comme c’est le cas pour l’utilisation des bonbonnes à oxygène. Enfin, nous estimons qu’il faut désormais conditionner l’octroi d’autorisation de chasse sous-marine à la réalisation d’une formation de base pour qualifier et sensibiliser le plongeur.

Réglementation : Les règles à respecter pour pratiquer la chasse sous-marine de loisir

Les amateurs de chasse sous-marine sont assujettis au Maroc à une réglementation bien définie. « Il faut avant toute chose obtenir un certificat médical d’aptitude physique, payer 250 dirhams de droits d’inscription et contracter une assurance spécifique », explique Younes Baghdidi, amateur de chasse sous-marine. L’autorisation annuelle est ensuite délivrée par les autorités, mais reste valable uniquement dans le territoire où elle a été obtenue. « La loi interdit aux plongeurs d’utiliser des bonbonnes d’oxygène pendant la chasse. Autrement, il serait facile d’exterminer toute la population de mérou en quelques mois. Avec la condition de chasser en apnée, les populations de mérou qui vivent dans des profondeurs importantes ne seront théoriquement jamais inquiétées », souligne le plongeur. « Avant d’aller à la chasse, les plongeurs doivent obligatoirement s’identifier auprès des autorités et présenter l’autorisation. Après la séance de plongée, il faut encore une fois se présenter à nouveau au poste des garde-côtes pour inspection », détaille la même source.

Ecologie : Un colosse placide indicateur de la qualité du milieu marin

S’il est laissé tranquille, le mérou brun de Méditerranée peut vivre plusieurs décennies (30 à 50 ans) et atteindre une taille de 1m40 pour un poids de 65 kg. Sédentaire et le plus souvent individuel, ce colosse des mers évolue dans les profondeurs rocheuses où il établit son périmètre dans des cavités pour trôner placidement parmi les autres espèces des habitats coralligènes. « Le fait qu’il soit inféodé à ce genre de biotopes marins riches en biodiversité, en fait un excellent bio-indicateur : quand il est là, c’est généralement une bonne nouvelle pour tout l’écosystème où il se trouve », explique Houssine Nibani, biologiste et président de l’Association de Gestion Intégrées des Ressources (AGIR) qui s’active dans la conservation de la biodiversité du Parc National d’Al Hoceima. À cause de la taille qu’il peut atteindre, de son comportement et aussi de sa chair savoureuse, le mérou est un vrai saint Graal pour les amateurs de chasse sous-marine. Il y a quelques décennies, il était encore possible de trouver sur les marchés de la façade méditerranéenne des mérous de grandes tailles chassés à proximité des côtes. « À l’époque, les gens au Nord du Maroc l’appelaient « Haouli » (mouton en Darija, ndlr) parce qu’il était grand et savoureux », raconte Houssine Nibani, ajoutant que cette abondance des gros calibres n’est plus d’actualité. À noter que le mérou brun est également menacé par la destruction de ses habitats et par la surpêche des mollusques et céphalopodes dont il se nourrit.
 








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