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Averses torrentielles : Stress test pour le système de drainage de nos villes ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Omar ASSIF Mardi 22 Octobre 2024

En quelques minutes, Marrakech a vu tomber en pluie l’équivalent du volume d’un petit barrage. Face à la récurrence des averses torrentielles, faut-il repenser le drainage de la ville ocre ?



En moins de quinze minutes, 25 mm de pluie ont été enregistrés à Marrakech, selon un communiqué de l’Office National Des Aéroports (ONDA) évoquant des précipitations diluviennes, qui ont « dépassé la capacité maximale des systèmes de drainage des eaux pluviales ». L’ONDA tient ainsi à expliquer les images de fuites d’eau au niveau de l’aéroport Marrakech-Menara en pointant « l’endommagement de quelques canalisations, causant des infiltrations plus ou moins fortes dans certaines zones du terminal », touten précisant que « les infrastructures et des opérations aéroportuaires ont été touchées sans incidence majeure sur l’activité ». L’aéroport de la ville ocre n’a pas été le seul à subir le courroux de cet épisode torrentiel puisque de multiples inondations ont eu lieu « au niveau de divers points stratégiques de la ville ». Plusieurs véhicules ont été submergés par les eaux au niveau du pont Targa. Et pour cause, 25 mm de pluie en moins d’une heure ne sont pas habituels dans cette région et, surtout, assez difficiles à imaginer et à se représenter.

 
Barrage tombé du ciel


Sachant que Marrakech fait environ 230 Km2 de superficie, qu’une piscine olympique pleine contient généralement 2500 m3 d’eau, l’épisode pluvieux enregistré est l’équivalent de 2300 piscines olympiques que l’on aurait toutes déversées sur la ville ocre en moins d’un quart d’heure. C’est également l’équivalent de la retenue d’un petit barrage de 5.75 millions de m3… « Les inondations que l’on peut voir dans les villes suite à des épisodes de pluie très intense s’expliquent par l’obstruction des canalisations. Si on prend le cas de Marrakech, les équipes de la RADEEMA s’emploient régulièrement à prévenir ce genre de situation à travers des opérations de curage des réseaux. Mais lorsqu’il est question de précipitations vraiment torrentielles, nous voyons des inondations où l’imperméabilité des sols joue également un rôle puisque la masse d’eau n’arrive pas à s’infiltrer rapidement dans la nappe », nous confie Pr Laila Mandi, Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie.

 
Unitaire et séparatif
 
« Il est vrai que les réseaux et les canalisations étaient étroitement dimensionnés dans le passé, mais cela a depuis changé puisque les diamètres qui sont choisis ces derniers temps sont bien plus importants qu’à l’époque. C’est un point positif, mais ce n’est pas suffisant dans le contexte de pluies intenses, puisque dans une ville ancienne comme Marrakech, nous avons principalement un réseau unitaire, prévu en même temps pour les eaux usées et les eaux de pluie. Cela explique que ce genre de réseau puisse être saturé lorsqu’il doit gérer une masse importante d’eau pluviale suite à un épisode de précipitation exceptionnelle », précise l’experte dans le domaine de l’eau, notant cependant un changement en cours sur ce point également puisque les nouvelles habitations et les nouveaux quartiers sont actuellement raccordés systématiquement à un réseau séparatif. « Cela permet de prévoir un réseau dédié à l’eau de pluie qui est séparé de celui des eaux usées, ce qui atténue le risque d’inondation et permet également de traiter et de réutiliser les eaux pluviales », ajoute la même source.

Casse-tête technique
 
Dans les anciens quartiers, notamment de la Médina, qui sont encore dépendants d’un réseau unitaire, les solutions techniques classiques semblent inenvisageables pour le moment. « Au vu de la façon avec laquelle ces zones ont été construites, il serait très compliqué de tenter d’y mettre en œuvre une solution de réseau séparatif puisqu’il faudrait détruire et refaire toute l’infrastructure actuelle. Le coût et la faisabilité technique poseraient un vrai défi », estime Pr Laila Mandi. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de solutions. Il est tout à fait possible de réfléchir à des concepts adaptés au contexte de la ville à travers la mise en œuvre de bassins de collecte situés à des points stratégiques ou encore l’installation de systèmes de collecte des eaux de pluies au niveau des toitures des maisons. Cela peut également passer par des solutions fondées sur la nature, notamment les toits végétalisés et la multiplication d’espaces verts pour tirer un meilleur parti de cette eau pluviale à travers l’infiltration vers la nappe souterraine », conclut Pr Mandi.

3 questions à Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau : « Si les réseaux de Khettaras avaient été maintenus et entretenus, ils auraient certainement contribué à mitiger les risques d’inondations »

Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie, Laila Mandi répond à nos questions.
Professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie, Laila Mandi répond à nos questions.
  • La réhabilitation du réseau de Khettaras de la ville ocre pourrait-il contribuer à mitiger les risques d’inondation ?

- Le raisonnement est correct, mais il ne subsiste malheureusement pas grand-chose des réseaux de Khettaras à Marrakech. Beaucoup de constructions ont été édifiées par-dessus ces Khettaras alors que d’autres parties de ce réseau ont été enterrées. Il s’agit pourtant de structures qui font partie d’un patrimoine national précieux, que l’on n’a malheureusement pas pu sauvegarder. Si les réseaux de Khettaras avaient été maintenus et entretenus, ils auraient certainement contribué à mitiger les risques d’inondations à travers une solution ingénieuse et ancestrale puisqu’elle date de plusieurs siècles, voire de milliers d’années… Or, ce n’est malheureusement plus le cas.
 
  • Peut-on techniquement les réhabiliter dans l’état actuel des choses ?

- Il est très difficile de répondre à cette question. Ce qui est certain, c’est que ces Khettaras auraient pu emmagasiner l’eau qui, actuellement, se perd. Il s’agit surtout d’un patrimoine important qui, dans le domaine de la gestion de l’eau, aurait pu enrichir l’approche moderne avec une approche ancestrale. L’idéal aurait été justement de pouvoir combiner ces deux approches et de tirer le meilleur profit du génie ancestral marocain.
 
  • L’Université marocaine peut-elle contribuer à trouver des solutions adaptées pour éviter les dégâts des pluies intenses en permettant de mieux valoriser cette ressource hydrique ?

- Bien évidemment. En tenant compte des spécificités et contraintes locales d’une ville comme Marrakech, il s’agirait de trouver des solutions innovantes qui peuvent réellement être mises en œuvre pour permettre de collecter les eaux pluviales durant les épisodes exceptionnels de pluie intense, afin d’atténuer l’impact négatif de ce genre de phénomène tout en permettant de tirer le meilleur profit de ces eaux de pluie. Il s’agit effectivement d’un enjeu auquel devraient s’atteler les chercheurs pour apporter des pistes de solutions innovantes. C’est une matière importante de recherche que les étudiants et les chercheurs peuvent développer dans le cadre de leurs travaux, et ce, aussi bien pour le milieu urbain que le milieu rural.

Solutions : Tirer le meilleur profit des averses torrentielles en ville

Averses torrentielles : Stress test pour le système de drainage de nos villes ? [INTÉGRAL]
Pour éviter la surcharge des réseaux d’évacuation en milieu urbain lors des pluies intenses, il est nécessaire de combiner plusieurs solutions durables : « Les systèmes de drainage urbain durable, avec des tranchées remplies de matériaux poreux et des canaux végétalisés, permettent de ralentir et de filtrer l’eau tout en favorisant son infiltration. Des réservoirs souterrains et citernes, installés sous les toitures ou les parkings, peuvent collecter l’eau de pluie et la stocker pour la réutilisation », propose Pr Laila Mandi. En complément, « des bassins de rétention et des zones humides artificielles peuvent stocker temporairement l’eau avant de la relâcher lentement. La gestion intégrée peut passer également par l’utilisation de capteurs intelligents pour surveiller les niveaux d’eau en temps réel et anticiper les risques de surcharge. Enfin, la sensibilisation et l’implication des citoyens sont également cruciales, à travers notamment l’incitation à installer des systèmes de récupération d’eau pluviale à domicile.

Histoire : Des ouvrages ancestraux pour irriguer et prévenir les inondations

Depuis la nuit des temps, les Marocains ont accumulé un réel patrimoine lié à la gestion de l’eau. Ce savoir-faire et ces techniques étaient essentiels non seulement pour l'irrigation, mais aussi pour la prévention des inondations. Si les Romains ont introduit les grandes adductions d’eau pour les villes et ont ouvert la voie aux grands transferts d’eau, les Idrissides ont fondé au début du IXème siècle la ville de Fès et l’ont équipée de dizaines de kilomètres de conduites d’eau (eaux de sources, eaux d’oueds, eaux usées), comme ils ont favorisé la constitution d’une corporation pour les gérer (Kwadsia). Les Almoravides ont pour leur part introduit, au XIème siècle, les Khettaras principalement dans les régions du Haouz, du Tafilalt et du Souss, alors que la dynastie des Alaouites a développé cet héritage technique et social, enrichi par les Andalous, créant, au Nord du pays comme dans les oasis du Sud, de petits périmètres d’intensification des cultures vivrières et industrielles et perpétuant ces savoir-faire ingénieux accumulés au fil du temps. Si ces techniques et ouvrages ancestraux perdurent dans certaines régions du pays, Marrakech semble avoir perdu la plus grande part de ses Khettaras qui se comptaient en centaines durant les années 70 et qui étaient encore fonctionnelles à l’époque. A noter qu’au début du siècle passé, près de 5000 kms de canaux et de galeries anciennes serpentaient à travers la région d’Al-Haouz, permettant la répartition de l’eau et l’irrigation de dizaines de milliers d'hectares de cultures.









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