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Ahmed Ghayet : Le rôle inexploité des médiateurs de quartiers pour une vraie politique culturelle et sportive


Rédigé par Safaa KSAANI Mardi 1 Septembre 2020

Les dérapages d’Achoura ont dévoilé que la jeunesse ne sait pas où se dépenser. Des solutions durables sont là. C’est la volonté politique qui manque



- Les dérapages d’Achoura, marqués par la violence contre les forces de l’ordre de certaines villes du royaume, sont-ils l’expression d’une furie des jeunes ?
- Non, je ne dirai pas que c’est de la furie, je dirai que c’est une envie de s’amuser et de se retrouver. Il y a une jeunesse qui ne sait pas où se dépenser. D’abord la pandémie les a obligés à vivre dans quelques mètres carrés et les a privés de pouvoir se retrouver au coin de la rue, de disputer un match, chose que je trouve légitime et que je ne remets pas en cause. Tout ça fait, évidemment, qu’à l’âge de vingt ans, on a de l’énergie à dépenser et on a besoin d’une vie sociale. Je ne cherche pas à excuser les comportements inacceptables. Il y a bien sûr des voyous dans notre jeunesse comme il y a des voyous chez les adultes, mais, en même temps, rien n’est fait pour cette jeunesse.

- Quelle est la ligne directrice d’une politique menée en faveur de cette jeunesse ?
- J’ai lu des protestations et dénonciations très dures sur les réseaux sociaux. Certains appellent à envoyer dans des camps les jeunes derrière les actes violents. Ce n’est évidemment pas la solution. La solution est l’éducation, diffusée d’abord par les parents, ensuite par l’école. Dans les deux cas, il y a défaillance. Aujourd’hui, on est en train de demander à la police de faire ce que nous mêmes nous ne pouvons pas. Elle ne peut pas suppléer toutes les défaillances de la famille, de la société et de l’école. Les maux de la jeunesse ne datent pas d’aujourd’hui. Il faut une vraie politique culturelle de proximité ainsi qu’une politique sportive. Aujourd’hui, il n’y a plus de plages, ni terrains de football, très peu d’Internet dans les quartiers et beaucoup de personnes n’ont pas les moyens de se payer des smartphones ou des tablettes. Ne leur reste que la rue, qui est source de bien de vices. Et c’est souvent le dealer qui est le modèle et non pas le leader. 

- Face au manque d’éducateurs et d’animateurs socio-culturels, à quel point la création de postes de médiateurs de quartiers et d’animateurs socioculturels et sportifs est-elle importante ?
- Depuis plusieurs mois, nous réfléchissons avec des associations de jeunes, notamment celles réunies sous le label “Morocco L’ghedd”, à une formation d’animateurs socio-culturels et sportifs et surtout de médiateur des quartiers. Ce dernier est celui qui pourra accompagner les jeunes dans leur scolarité, qui aidera à la résolution des mini-conflits, des querelles de voisinage et des nuisances nocturnes. Il aura aussi pour rôle d’apprendre le civisme, d’informer et d’orienter les jeunes sur des questions de société, sur les maladies sexuellement transmissibles, le tabagisme, la drogue... Nous n’avons pas réfléchi dans le vide. Il y a une possibilité de formation. Nous avons déjà pris contact avec des organismes à l’étranger qui accepteraient de le faire volontairement. Il y a également un vivier de jeunes capables de devenir médiateurs de quartiers.

- Quelles solutions durables préconisez-vous pour lutter contre le vandalisme et l’oisiveté des jeunes ?
- On laisse notre jeunesse pousser comme une herbe folle et ensuite on s’étonne que cette herbe folle cause des dérives. Ce qui est évident. Les solutions pour lutter contre l’oisiveté et les dérapages qui en résultent, dont la délinquance et le hooliganisme, est bien d’abord de s’intéresser à cette jeunesse, de la considérer comme étant capable de réfléchir, de faire des propositions et d’agir. On l’a vu. Le confinement a révélé notre jeunesse, qui était souvent niée, voire méprisée. Pendant toute cette période, et encore à l’heure actuelle, ce sont les jeunes qui ont été les plus présents sur le terrain. Lorsque l’on accepte de comprendre que cette jeunesse est partenaire et actrice de la vie de sa cité, on a déjà gagné une bonne partie. Il faut leur faire confiance.

Recueillis par Safaa KSAANI 

Portrait : Un parcours orienté vers la défense des droits des jeunes

Né en France, Ahmed Ghayet est l’une des figures de proue de ceux que l’on a appelé Les Beurs (ou 2ème Génération). Engagé dès l’adolescence dans le mouvement associatif, il fut l’un des protagonistes de la ‘’Marche des Beurs’’. Le parcours de cet acteur associatif et culturel le mène au Cabinet de Martine Aubry – ministre de l’Emploi et de la Solidarité – puis celui d’Elisabeth Guigou – ministre de la Justice – en tant que Conseiller.

En 1998, il a été décoré du Ouissam Alaouite par SM le Roi Hassan II, pour le rôle actif qu’il tient dans les relations franco-marocaines. En 2003, il décide de rentrer au Maroc et s’engage dans la lutte contre la radicalisation en participant à la création du Mouvement «Matqisch Bladi » (Touche pas à mon pays). Six ans ensuite, il crée l’Association «Marocains Pluriels», agissant pour l’émergence et la reconnaissance de la jeunesse marocaine, notamment par la création d’associations de jeunes localement, la lutte contre les discriminations et le racisme et prônant les valeurs de diversité, de vivre ensemble, d’ouverture, de partage .

Cet auteur a publié 6 ouvrages. Il s’agit de « La Saga des Beurs Marocains en France » en 1997, « Génération Mohammed VI » en 2002, « De l’autre côté du soleil » en 2014, « Mots pour Maux » en 2015, « Demain sera eux » en 2017 et « Des jeunes, des cris » en 2019. Il a également participé aux deux ouvrages collectifs : « Ce qui nous somme » et « Tcharmil ».

S. K.

Repères

Des dizaines de personnes ont été arrêtées, la nuit de Achoura
Des scènes insolites de violences et de vandalisme dans lesquelles les forces de l’ordre ont été gravement prises à partie, ont émaillé les festivités de la nuit de l’Achoura à Rabat, samedi dernier. Suite à quoi, 157 personnes, dont beaucoup de mineurs, ont été arrêtées à l’échelle nationale. 17 policiers et 11 membres des forces publiques ont été blessés.
Achoura : après le feu, l’eau et les oeufs !
Au lendemain d’une nuit de Achoura mouvementée, et marquée par plusieurs formes de vandalisme et de violences, la tradition, ou du moins ce qui est supposé l’être, a repris le dessus sur la pandémie du Covid. Des nuées de gamins armés de seaux et de projectiles à base d’eau et d’oeufs, cette fois-ci, ont déferlé dans les rues des quartiers populaires de Casablanca pour s’auto-asperger et arroser passants et surtout passantes dans ce qui est communément appelé Zemzem. Heureusement, pour ne pas dire malheureusement, il faisait chaud en cette journée caniculaire de l’été et toutes les plages de la métropole sont fermées.
Des Maisons de jeunesse dépassées
Les Maisons de jeunes sont aujourd’hui obsolètes, inadéquates et complètement dépassées, selon Ahmed Ghayet. “Le personnel fonctionnaire y est souvent en fin de carrière. Je ne leur jette pas la pierre, mais il est évident qu’ils aient envie de fermer ces Maisons tôt le soir, voire ne pas ouvrir le week-end”. Face à cette situation, Ahmed Ghayet propose de faire participer les jeunes dans la gestion des Maisons de jeunes. “Les jeunes de ces associations locales doivent être associés à la gestion et à l’animation de leurs quartiers et des Maisons de jeunes”.