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WNE 2025 : le nucléaire sort de l’ombre et le Maroc prend note


Rédigé par Dr LARAKI Khalid, Expert de l'AIEA le Vendredi 14 Novembre 2025



WNE 2025 : le nucléaire sort de l’ombre et le Maroc prend note
Le nucléaire n’est plus ce vieux rêve technologique des années 1970, limité à quelques programmes nationaux et à des débats théoriques sur l’énergie. À l’heure où chaque kilowattheure devient un enjeu stratégique pour l’économie, le climat et la souveraineté énergétique, l’atome retrouve une place centrale dans le débat mondial. Le World Nuclear Exhibition 2025, tenu à Paris et considéré comme la plus grande rencontre internationale du secteur depuis plusieurs années, en a apporté une démonstration éclatante. Le salon, plus fréquenté que jamais, a mis en évidence un fait simple et inquiétant à la fois : le monde change de rythme, d’ambition et de paradigme énergétique. Ceux qui regardaient le nucléaire comme un domaine poussiéreux commencent aujourd’hui à réévaluer son rôle stratégique.


Un salon record pour une filière mondialement réactivée

Avec 24 pavillons nationaux, des milliers de visiteurs professionnels et des dizaines d’annonces technologiques de pointe, cette édition a marqué un tournant historique pour la filière. Loin d’être un simple événement commercial, le WNE 2025 s’est transformé en véritable vitrine mondiale des innovations, des alliances industrielles et des stratégies étatiques dans un contexte de concurrence énergétique intense. Des délégations venaient d’Asie, d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et du Moyen-Orient, chacune cherchant à comprendre comment sécuriser l’énergie pour ses industries, ses villes et ses citoyens.

Autour des stands, l’effervescence était palpable. Les fournisseurs discutaient de chaînes de valeur mondiales et d’optimisation de coûts, les États cherchaient à consolider leur souveraineté énergétique, les investisseurs à anticiper la rentabilité d’infrastructures coûteuses et à long terme, et les ingénieurs à présenter les réacteurs de nouvelle génération. Partout, on sentait la conscience aiguë que l’électricité n’était pas seulement un service public : elle devenait un pilier de compétitivité, de sécurité et de stabilité politique. Les conversations révélaient la complexité du choix énergétique : comment concilier besoins immédiats, transition écologique et maîtrise des coûts ?


Pourquoi le nucléaire redevient un acteur majeur

Deux forces fondamentales expliquent la résurgence spectaculaire du nucléaire.
La première est la pression climatique et environnementale. Dans un contexte où les objectifs de neutralité carbone se rapprochent à grands pas, les économies développées et les marchés émergents sont confrontés à un dilemme : comment réduire drastiquement les émissions tout en continuant à produire de l’électricité de manière stable ? Les énergies renouvelables jouent un rôle crucial, mais elles ne suffisent pas toujours à garantir une production continue, notamment pour les industries lourdes, les infrastructures critiques et les villes en pleine expansion. Le nucléaire réapparaît alors comme une solution stratégique, capable de produire en continu une énergie massive, bas-carbone et fiable, répondant à des besoins qui ne peuvent tolérer ni interruption ni fluctuations.
 
La seconde force est la transformation numérique mondiale. Les centres de données se multiplient à un rythme effréné, l’intelligence artificielle exige une puissance de calcul colossale et les robots industriels rendent indispensable une alimentation électrique stable et permanente. À titre d’exemple, la consommation des data centers européens augmente de 20 à 30 % par an, poussée par la croissance exponentielle des services cloud, de l’IA et des applications numériques. Pour ces infrastructures, l’électricité n’est pas un simple service : elle est un impératif stratégique. Dans ce contexte, le nucléaire, et plus particulièrement les petits réacteurs modulaires, offre une réponse unique, capable de fournir une puissance fiable, flexible et prévisible, là où les solutions traditionnelles restent vulnérables.

Cette double dynamique, climatique et numérique, transforme le nucléaire en acteur incontournable. Les grands industriels internationaux, qu’ils soient acteurs du numérique, de l’industrie lourde ou des transports, cherchent désormais à sécuriser leur approvisionnement sur plusieurs décennies. Le nucléaire redevient ainsi central dans la stratégie industrielle globale, un outil de souveraineté autant qu’un moteur de développement.


Une recomposition mondiale profonde

Le WNE 2025 a également révélé une recomposition internationale majeure du secteur nucléaire. La Chine, avec sa capacité industrielle colossale, ses standards prêts à l’export et ses investissements massifs dans la recherche et le développement, s’impose désormais comme un leader incontesté. La Corée du Sud continue d’étendre son influence, grâce à des offres compétitives, une grande fiabilité technique et une réputation internationale solide. L’Inde, moteur économique d’une Asie en pleine mutation, multiplie ses programmes et investit pour combler le retard accumulé, visant à devenir un acteur incontournable de la région.

Dans le même temps, l’Occident tente de reprendre l’initiative. Après des décennies de ralentissement et d’hésitation, l’Europe et l’Amérique du Nord cherchent à relancer leurs capacités industrielles, encouragées par des politiques énergétiques exigeantes et la conscience aiguë de leur dépendance aux importations. L’absence de la Russie sur le marché, conséquence directe de la guerre en Ukraine, laisse un vide stratégique que certains tentent de combler rapidement, tandis que d’autres cherchent à limiter l’impact de cette absence. La compétition devient féroce, mais elle stimule aussi l’innovation et la coopération technologique.


Les SMR : la pièce centrale d’une nouvelle ère nucléaire

Parmi les innovations les plus marquantes, les petits réacteurs modulaires, ou SMR, ont volé la vedette. Compacts, flexibles et rapides à déployer, ils représentent une nouvelle manière d’aborder le nucléaire, plus agile, plus économique et adaptée aux besoins modernes. Contrairement aux mégacentrales traditionnelles, les SMR demandent moins d’investissements initiaux, réduisent les risques de dépassement de coûts et offrent la possibilité d’être installés dans des zones industrielles ou urbaines sans contraintes excessives.

Ces réacteurs modulaires ne se limitent pas à produire de l’électricité. Ils peuvent alimenter des zones industrielles, soutenir des projets de dessalement dans les régions arides, stabiliser des réseaux électriques fragiles et même fournir de la chaleur industrielle. Partout, des alliances se nouent entre industriels, start-up, institutions publiques et universités pour standardiser ces modèles, optimiser leur coût et accélérer leur mise sur le marché. Une véritable chaîne industrielle mondiale est en train de se former autour de cette technologie, qui pourrait transformer durablement le paysage énergétique mondial.


Le Maroc observe, analyse et se projette

Pour le Maroc, la WNE 2025 n’était pas seulement un salon technologique, mais un laboratoire stratégique. Le pays, engagé dans une transition énergétique ambitieuse, cherche à comprendre comment le nucléaire pourrait compléter son mix énergétique d’ici 2035–2050. Face à une forte dépendance aux importations énergétiques et à des besoins industriels et urbains croissants, le Royaume examine la possibilité d’intégrer des SMR dans son plan énergétique national.

Au-delà de l’électricité, le nucléaire offre au Maroc des opportunités industrielles et économiques considérables. Ingénierie spécialisée, fabrication de composants, cybersécurité industrielle, services de maintenance et de radioprotection : autant de domaines dans lesquels le pays peut développer des compétences, renforcer ses industries et exporter son savoir-faire vers l’Afrique et le Moyen-Orient.


Capital humain, expertise et coopération : les priorités marocaines

Le Maroc sait que le succès dans le nucléaire ne dépend pas seulement des réacteurs ou des technologies importées. Le capital humain est essentiel. La participation du CNESTEN, de l’AMSSNuR, de l’UM6P et d’autres institutions à la WNE 2025 a permis de nouer des partenariats pour la formation, l’échange de compétences et le transfert technologique. L’objectif est clair : construire une expertise nationale capable de gérer la sûreté, l’ingénierie nucléaire et la gestion des risques. Cette approche prudente mais déterminée place le pays dans une position stratégique pour tirer parti des nouvelles opportunités.


Un marché africain en construction

Le continent africain, en pleine croissance démographique et économique, commence à envisager le nucléaire comme un levier de développement énergétique. Le Maroc, grâce à sa stabilité, à ses institutions et à son expertise naissante, pourrait devenir un centre régional de référence : formation, audit, sûreté, radioprotection, ingénierie et conseil stratégique. En se positionnant tôt, le Royaume peut jouer un rôle central dans le développement d’une filière nucléaire africaine, en offrant son expertise et en accompagnant d’autres pays dans leur transition énergétique.
 
 
Le nucléaire devient technologique

Le nucléaire n’est plus une industrie figée ou exclusivement lourde. L’intelligence artificielle, la robotique d’inspection, la gestion numérique du cycle du combustible et la cybersécurité industrielle transforment le secteur. Ces innovations créent des opportunités nouvelles pour les entreprises marocaines, en particulier dans les technologies avancées et les services numériques appliqués au nucléaire.


Une stratégie à construire avec méthode

Le Maroc n’a pas encore pris de décision politique concernant le lancement d’une filière nucléaire complète. Mais l’analyse est méthodique, progressive et documentée. Le Royaume évalue les technologies disponibles, les modèles économiques, les options de financement, les transferts de compétences et la manière dont le nucléaire pourrait compléter ses projets de renouvelables, d’hydrogène vert et de dessalement. La prudence est de mise, mais la lucidité domine : dans un monde où la demande électrique croît rapidement et où l’indépendance énergétique devient stratégique, le nucléaire pourrait devenir un pilier supplémentaire de la stratégie énergétique marocaine.







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