Rares sont les récits cinématographiques marocains qui s’intéressent à l’histoire du pays. Ce réalisateur boursouflé de curiosités, aussi bien sociales qu’historiques, s’inflige des recherches qui invitent à la réflexion, à la lourde tâche évoquant un passé pas si lointain, renvoyant à ce présent dépourvu de mémoire. Depuis son coin douillet, il réveille -à la télévision comme au cinéma- des esprits volontairement endormis, leur administre de vigoureux réveils brutaux, ceux qu’il flingue à balles symboliques. Abdelhaï Laraki choisit de marcher à pas silencieux, comme pour écouter l’herbe pousser. Seulement, sous cette terre, bien fertile, il déniche l’incroyable, un retour à des sources intarissables. Il s’y plie par aimance et plonge dans l’écriture d’un pan du pays qui l’a vu naître et qui lui offre l’espace sans frontière de s’exprimer. Dont ce long métrage, « Fez Summer 55 ». Nous sommes en 1955, année de toutes les approches définitives vers une récupération multidimensionnelle. Mais cette réalisation est pluridimensionnelle, dépourvue de préjugés, emplie de rêves pour des lendemains meilleurs, lorsqu’on arrive à sommeiller.
Lumière aveuglante
Dans cette histoire qui conte, par le menu allégé, la lutte définitive contre un protectorat pesant, Abdelhaï Laraki colmate quelques béances en y injectant de l’humain, des cœurs en balance cherchant l’improbable apaisement. Deux délicates histoires d’amour, dont l’une inassouvie, s’installent dans une ambiance de lutte à terrasses interposées. Et ce sont ces terrasses qui donnent un sens premier à l’incroyable délogement d’une présence étrangère en fin de règne. Le film prend ses quartiers dans ces espaces hauts et jamais hautins de la médina de Fès. Des jeunes et même très jeunes enjambent la ville en empruntant des circuits aujourd’hui « impraticables ». De là, on s’échappe de tout et on se rapproche de l’essentiel. Ce qui fait face -parfois en filigrane- à cette lutte contre « l’envahisseur », n’est engagé au départ qu’en paix avant de se transformer en riposte armée. Seulement, les « résistants », dont la fille d’un richard taiseux, comptent passer à l’acte, le pire, le définitif. Ils s’y essaient même s’ils ne savent pas si cette lumière au bout du tunnel est réelle ou ne fait que ressembler à un simple troublant mirage. En tout cas, elle est aveuglante cette lumière. Espoir et peur s’y mêlent ardemment.
Eaux fangeuses
Comme pour se libérer de non-dits, éviter de plonger dans des eaux fangeuses, le réalisateur tapote sur des vagues dont la houle lui sourit à pleines dents. Mais il garde, sereinement, les pieds sur terre en évoquant son œuvre : « Le passé colonial revient en force dans le débat renouvelé sur son héritage et la réappropriation de notre identité et de notre histoire, particulièrement aujourd’hui où tous les peuples ex-colonisés souhaitent s’affranchir désormais complètement de la domination post-coloniale. Je souhaite offrir au spectateur la place de l'enfant Kamal dans le film, car en définitive, son combat pour l'indépendance c'est le combat pour la liberté, pour la victoire de la beauté et de l’amour. » Caroline Locardi, productrice attitrée du réalisateur, ne manque pas de beaux mots pour rendre hommage à une équipe de tournage soudée : « Le film a mobilisé toute la créativité et l’engagement des techniciens 100% marocains, que ce soit pour les effets spéciaux de plateaux, le montage et les effets numériques ou encore pour l’authenticité et les soins particuliers apportés aux costumes des comédiens et des figurants, véritables tours de force artistico-techniques pour un budget aussi restreint ». Restreint mais on n’en sera pas plus.
Insupportable Lamkimel
Demeure le casting quasi-sauvage dont ressort ce garçon, partie fil rouge du film, plus vrai que nature et bouleversant de sincérité. Le Kamal du long métrage, s’intitulant dans la vie Ayman Driwi, est une pépite à regarder de très près et à garder en veilleuse pour de prochaines productions. Jeune, très jeune, frais et sans grandiloquence aucune, il est près à tout démolir, à vivre un art que Laraki lui fait découvrir. Et puis, il y a l’insupportable de justesse, Mounia Lamkimel, qui signe ici son premier film cinématographique. Sans compter avec la comédienne fétiche du réalisateur, Chaïbia Aadraoui. En définitive, un casting mené au compas. Et il y a les autres, un brin fictionnellement anonymes, musulmans, juifs, amazighes… qui font de ce pays un Maroc pluriel. Abdelhaï Laraki agit en douce, signant de belles aventures où la douleur s’écrase face aux contes qui comptent.
Anis HAJJAM