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Culture

Rétro-verso : L’hôtel Ibn Aïcha, de l’abandon à la prospérité


Rédigé par Houda BELABD le Mercredi 22 Février 2023

Qui l'eût cru ? Après avoir servi de carrière de pierres laissée à son propre sort pendant de nombreuses décennies, l'hôtel Ibn Aïcha, situé dans l'ancienne médina de Rabat, a récemment été converti en un centre artisanal digne de ce nom. Retour sur son histoire.



Il y a plus d’un siècle, le complexe hôtelier Ibn Aïcha était l’un des principaux emblèmes du patrimoine architectural authentique de la Cité de la rive gauche. Rassemblant plusieurs ateliers, entrepôts et immeubles à deux étages, cet établissement jadis essentiel aux transactions commerciales avec les autres villes du Royaume a dû mettre la clé sous le paillasson avant même l’indépendance du Maroc.

Selon les récits historiques et nos sources interrogées, lors des années 50 et 60 du siècle dernier, cet établissement était déjà caduc et ne répondait plus aux normes de la société moderne.
 
Mais grâce aux nombreuses associations militantes en faveur de la sauvegarde du patrimoine traditionnel et artisanal, ses anciens locataires ont dû se retrousser les manches pour affronter les nouveaux défis économiques du Maroc indépendant. L’artisanat était en plein essor grâce à la modernisation du secteur, et les artisans, principaux maîtres des lieux, ont développé leur activité, d’abord avec les moyens de bord (des appareils antiques), puis en investissant dans des machines plus modernes.
 
Erigée au sud du fleuve Bouregreg au XVIIe siècle, la médina de Rabat a joué un rôle prépondérant, au gré des siècles, dans la sauvegarde du patrimoine artisanal marocain. Même aux premières années du Protectorat français, en réalisation du désir du premier Résident général, Hubert Lyautey, de sauvegarder les villes arabo-musulmanes ayant un caractère historique et esthétique. Ainsi, l’entrée en vigueur de cette politique est illico presto déléguée au Service des Antiquités, Beaux-Arts et Monuments historiques dans le but de classer et protéger les monuments historiques ainsi que d’assurer le contrôle des aménagements de la médina pour garder la splendeur de cette cité.
 
Pour ce faire, les artisans de l’hôtel Ibn Aïcha, mais aussi ceux des poteries, dinanderies et vanneries avoisinantes étaient soutenus par la municipalité de Rabat. Cependant «malgré ces gestes de générosité de l’administration française, l’hôtel Ibn Aïcha n’a pas survécu à la concurrence avec les hôtels construits par les Français à la médina de Rabat. Ceux-ci étaient modernes et strictement réservés à l’hôtellerie, soit à l’hébergement des individus », témoigne l’historien Mohammed Es-Semmar.

En effet, selon beaucoup de récits historiques concordants, le corpus des règles d’urbanisme promulgué par la France était plutôt contraignant pour les commerces qui ne répondaient pas, au pied de la lettre, aux exigences modernistes. L’hôtel Ibn Aïcha, lui, était à la croisée des chemins entre les habitants, les commerçants, les vendeurs à la sauvette et autres sources de brouhaha à longueur de journée et parfois à des heures indues de la nuit. Ces considérations seront remises en cause, à partir de l’an 1935, à cause, en grande partie, de la montée en flèche de la population vivant dans la médina.
L’administration coloniale tentera, tant bien que mal, jusqu’à la fin du Protectorat en 1956, de trouver des solutions aux problèmes démographiques, économiques, sociaux et d’urbanisme auxquels la ville historique était confrontée.
Marre du tintamarre !
 
De ce fait, alors que les rues de Souika, des Consuls, Legza et Boukroune étaient le théâtre d’un tohu-bohu hors du commun, de jour comme de nuit, et puisque l’hôtel ne répondait plus à son rôle d’antan, celui-ci est tombé en désuétude pendant de longues décennies et a, par la suite, repris timidement ses activités artisanales, après moult dons et aides sociales.
 
Dès l’année 2014, plusieurs entités gouvernementales, notamment le ministère des Habous et des Affaires islamiques, le ministère de Culture, celui du Tourisme et celui de l’Économie ont œuvré pour l’application de la convention collective visant le réaménagement de la ville de Rabat. L’architecte Ahmed Laraki qui a cru dur comme fer en l’aménagement de l’hôtel Ibn Aïcha a, à cette date, fait appel aux services des archéologues les plus émérites de la ville dans l’optique de transformer l’hôtel, laissé à l’abandon, en une zone commerciale, artisanale et touristique moderne, qui ressemble dorénavant à l’image de Rabat, la Capitale de la Culture, celle qui milite au premier rang pour la sauvegarde de son patrimoine immatériel.
 
Houda BELABD
 
 
 

Trois questions à Mohammed Es-Semmar, historien et archéologue

L’historien, archéologue et militant pour la sauvegarde du patrimoine culturel et touristique de la ville de Rabat, Mohammed Es-Semmar, a répondu à cœur joie à nos questions sur l’histoire de l’hôtel Ibn Aïcha.
 
«La proximité du Foundouk avec le port de Rabat a fait de lui un lieu emblématique »
 
Parlez-nous de l’histoire de cet hôtel?
 
De tous les établissements civils, militaires ou religieux de l’ancienne médina, il y a plus d’un siècle, l’hôtel Ibn Aïcha était le seul qui permettait l’accès par une grande porte, ouverte de jour comme de nuit, sans surveillance aucune, sauf à l’intérieur où l’on pouvait enfin trouver les maîtres des lieux. L’hôtel lui-même était une fusion de bâtisses historiques à l’intérieur des rues phares de l’ancienne médina, à savoir la rue Boukroune, la rue Souika, la rue des Consuls, la rue El Gza. Ces hôtels hébergeaient les voyageurs, principalement des commerçants venus des autres villes du Royaume mais aussi des touristes, et avec l’avènement du Protectorat, des soldats et civils français. La proximité du Foundouk avec le port de Rabat a fait de lui un lieu emblématique des négoces à l’échelle locale et régionale. De plus, il convient de préciser que cet établissement porte le nom d’Ibn Aïcha, une éminente figure diplomatique du XVIIIème siècle car il n’était autre que l’Ambassadeur de du Sultan Moulay Ismaïl à Paris. A Rabat, il possédait beaucoup de biens et était un grand créateur d’emplois à l’époque.
 
Pour quelles raisons cet établissement a-t-il été abandonné ?

Il a d’abord changé de rôle car il ne répondait plus aux besoins commerciaux d’il y a plus d’un siècle. Si à ses débuts il était doté d’entrepôts pour les marchands à charrettes animales, de plusieurs ateliers pour les artisans qui y déposaient tous leurs stocks, cette ambiance, quelques décennies plus tard, compte tenu du progrès économique, était déjà caduque. Il faut dire que dès l’arrivée de Lyautey, d’autres hôtels, plus modernes et entièrement dédiés à l’hébergement, ont commencé à voler la vedette à celui d’Ibn Aïcha. Ce dernier s’est donc transformé en « kissaria », soit un centre commercial pour vendeurs de tissus, djellabas, bijoux, objets décoratifs et utilitaires de divers matériaux et à côté, il y avait les bons vieux ateliers d’artisans.
 
Dans quelles conditions archéologiques a-t-il pu renaître de ses cendres ?

Laissé à l’abandon pendant plusieurs décennies car ses anciens locataires n’ont pas songé à l’entretenir, ou en rénover l’étanchéité et la structure des bâtisses, il a dû être sauvé de justesse par le gouvernement au gré des décennies jusqu’à ce qu’aux dernières nouvelles ses nouveaux locataires ont pu lui offrir un sacré coup de bistouri.

 
Recueillis par H.B.

Insolite : Un malentendu qui a duré des générations

"Où est-ce que vous allez comme ça, sans permission, vous vous croyez au Fandak (foundouk) peut-être?" Qui d'entre nous n'a jamais entendu cette phrase au moins une fois dans sa vie, au Maroc ? Laquelle phrase sonne comme une injure, surtout si l’on sait que «Fandak» en arabe marocain a dérivé du sens d’auberge traditionnelle, à la signification de «asinerie » ou «ânerie », soit l’endroit où vit et sommeille ce docile animal à qui nous devons bien des sacrifices, mais que d’aucuns considèrent comme le summum et l’emblème de la sottise…

Les moins susceptibles d’entre nous connotaient «Fandak» comme faisant allusion à n'importe quel hôtel au monde en pensant que cet adage ne serait pas ce qu'il y a de plus précis, car même dans les hôtels nous finissons fatalement par nous rapprocher du bureau de renseignements ou à la rigueur, dire bonjour au personnel, ce qui est la moindre des courtoisies.

L'historien Mohammed Es-Semmar met un terme à toutes nos dissertations approximatives car, pour lui et pour beaucoup de R’batis avisés, l'origine exacte de cette phrase renvoie à l’ancien QG de la Capitale. "Le Foundouk ou le Fandak pour les intimes n'est autre que ce vieil hôtel emblématique de Rabat où il n'y avait ni portiers, ni hommes de sécurité et encore moins une personne chargée d'accueillir les nouveaux arrivants. La porte elle-même, étant assez large et permettait d’entrer et de sortir sans avoir à demander la moindre permission. Ce n'est qu'en accédant à l'intérieur de l’hôtel que l'on pouvait être arrêté par une voix masculine ou féminine nous lançant un bonjour ou nous souhaitant la bienvenue", expliquait-il.

Artisanat et tourisme : Local ou national, l’artisanat s’exporte très bien !

De père en fils, les artisans du Centre touristique de l’ancienne médina travaillent les tissus, cuirs, l’orfèvrerie et l’argenterie, avec une mention spéciale au célèbre tapis r’bati, reconnaissable grâce à ces motifs fins et harmonieux, ses couleurs et éléments bien agencés. Ce centre a également l’avantage de la proximité avec Salé, sa poterie, sa ferronnerie et sa vannerie.
 
Sur la balance touristique, le nouveau centre artisanal de la médina vaut son pesant d’or.
En effet, le chiffre d’affaires à l’export des produits artisanaux a connu une nette amélioration en 2021, enregistrant une valeur qui dépasse les 893 millions de dirhams (MDH), ce qui équivaut à un taux d’accroissement de 50% comparé à l’année 2020.
«Après une année 2020 marquée par une inflexion (-25%), puis un coup d’arrêt lié à la crise sanitaire et économique du Covid-19, le chiffre d’affaires à l’export des produits de l’artisanat est reparti à la hausse en 2021, enregistrant une valeur dépassant les 893 MDH, soit un taux d’accroissement de 50% par rapport à l’année précédente», pourrait-on lire dans un communiqué du ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Economie sociale et solidaire.
Et même en les comparant à la période pré-pandémie, par exemple à l’année 2019, les exportations de l’artisanat font montre de progressions non-négligeables, à travers une amélioration de 13%, indique-t-on selon même source.
Ainsi, la quasi-totalité des produits affichent des performances remarquables à l’export, voire excellentes pour la majorité d’entre eux. Les produits de dinanderie, par exemple, sont très demandés à l’échelle internationale. Aussi, son a-t-il été multiplié par 5 par rapport à l’année 2020, classant cette famille de produits au premier rang en termes d’évolution.
Des croissances très nettes ont également été enregistrées pour les produits en fer forgé, de vannerie, de poterie et pierre, qui ont vu leurs exportations augmenter respectivement de 95%, 91% et 74%, relève le ministère.
Le tapis a, lui aussi, connu un vrai regain de croissance, affichant un rebond de 67% en glissement annuel, après deux années de régression à cause de la pandémie du COVID-19. Les articles chaussants suivent le pas, avec une hausse d’un taux de 62%, suivis des articles en bois, avec une montée en flèche de 51% par rapport à 2020.
D’autres types de produits ont modestement progressé, telles que la maroquinerie (17%), la bijouterie (6%) ou encore les couvertures (1%).
Somme toute, à l’export, trois types de produits pèsent pour plus de la moitié des exportations totales (56%). L’allusion est ici faite à la poterie et pierre, au tapis et à la vannerie (respectivement 29%, 14% et 12%), lit-on dans le document du département de tutelle.
 

Archéologie : Elan solidaire pour sauver un lieu mémoriel de l’effondrement

Comme tous les hôtels bâtis pendant le Protectorat français au Maroc ou même il y a plus d’un siècle, l’hôtel Ibn Aïcha de l’ancienne médina de Rabat est soumis, au détail près, à la règle archéologique des «vieux bâtis», nous apprend l’historien et archéologue Mohammed Es-Semmar. Car, selon ses mots, «un immeuble hôtelier, à l’instar d’un monument historique, a une durée de vie d’environ 80 ans, voire de 100 ans en cas de travaux de rénovations réalisés plus ou moins régulièrement. S’il n’est pas pris en main à temps, il risque de causer des dégâts sur la sécurité des habitants». L’hôtel Ibn Aïcha était pendant plusieurs décennies sombres livré à son propre sort et a fait office de carrière de pierres, jusqu’à ce que plusieurs commerçants et militants pour la sauvegarde du patrimoine marocain et de la mémoire r’batie aient fait appel au soutien des autorités habilitées en matière de réhabilitation des sites menacés d’effondrement.

De ce fait, suite à une première expertise réalisée in situ, il y a quelques années par les services compétents de la ville, les différents intervenants se sont mis d’accord dans l’optique de réhabiliter les lieux et les transformer en un centre commercial à finalité touristique et artisanale, chose qui va en parfaite harmonie avec la proximité entretenue avec les artisans de l’ancienne médina de Rabat, histoire de perpétuer la mémoire traditionnelle du site.



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