Le Lycée Moulay Ismaïl de Meknès s’inscrit dans l’évolution du système éducatif marocain sous le Protectorat français, qui a profondément remodelé les structures de l’enseignement secondaire dans le pays. Sa fondation remonte aux années 1950, une période où l’administration coloniale française mettait en œuvre une politique d’expansion et de rationalisation de l’instruction publique dans les grandes villes du Maroc. Cette politique répondait, comme le relate l'historiographie, à une double finalité : encadrer les élites locales destinées à occuper des fonctions intermédiaires dans l’appareil administratif, et répondre aux besoins techniques croissants d’un pays engagé dans une phase de modernisation encadrée par la puissance coloniale.
L’établissement, situé sur la route du cimetière de Meknès, a été initialement conçu comme une annexe du Lycée Poeymirau. Ce dernier, fondé dans les années 1920, était l’un des établissements emblématiques de l’enseignement secondaire français au Maroc, avec une architecture inspirée des modèles métropolitains et une pédagogie calquée sur les lycées français de province. L’annexe technique de Meknès, qui allait devenir le futur Lycée Moulay Ismaïl, s’est spécialisée dès l’origine dans une offre éducative diversifiée. Elle proposait à la fois des sections classiques, des filières modernes et un enseignement technique répondant aux normes des écoles professionnelles françaises.
Cette structure hybride répondait à la logique du système éducatif du Protectorat, fondé sur la différenciation des parcours selon l’origine sociale et culturelle des élèves. Tandis que certains établissements étaient ouverts aux Européens ou aux enfants de notables marocains francisés, d'autres, comme les collèges mixtes ou techniques, accueillaient une population plus variée. Le Lycée Technique de Meknès s’inscrivait dans ce dispositif en formant des techniciens, des agents d’exécution ou de maîtrise, dans des domaines comme l’électricité, la mécanique, le dessin industriel ou la comptabilité.
L’indépendance du Maroc en 1956 a profondément modifié ce paysage. La Convention franco-marocaine de coopération culturelle et technique signée en 1957 a marqué le début de la marocanisation progressive des structures éducatives. Cette transition s’est traduite par la révision des programmes, le remplacement progressif des enseignants français par des enseignants marocains, et la réorientation des finalités de l’école vers les priorités nationales. Dans ce contexte, l’établissement a été rebaptisé "Lycée Moulay Ismaïl", en hommage au Sultan alaouite ayant marqué l’histoire de Meknès en la désignant comme capitale impériale au XVIIème siècle.
Ce changement de nom s’inscrivait dans une volonté politique claire : affirmer l’identité marocaine dans les institutions publiques et rompre avec les symboles de l’ère coloniale. En plus du changement d’appellation, le lycée a vu sa mission évoluer. L'accent a été mis sur la formation de citoyens marocains éduqués, capables de contribuer à la modernisation du pays et à son développement dans divers secteurs. La période post-indépendance a ainsi été marquée par une forte demande sociale pour l’enseignement secondaire, considéré comme un vecteur essentiel de promotion sociale et de développement national.
Vers une approche moins ségrégative
Le lycée a également été marqué par des transferts et des regroupements pédagogiques. Des élèves et des enseignants provenant d’autres institutions, comme le Collège Marocain de Meknès et le Collège Berbère d’Azrou, ont intégré l’établissement. Ces deux institutions reflétaient des politiques distinctes : la première visait à encadrer une élite urbaine arabisée, tandis que la seconde était destinée à une élite berbère formée à administrer les régions montagneuses. Leur fusion progressive dans des lycées comme Moulay Ismaïl a contribué à l’unification du système éducatif autour de principes nationaux, réduisant peu à peu les logiques ségrégatives instaurées durant le Protectorat.
Parmi les figures notables qui ont accompagné cette mutation figurent M. Paoli, ancien directeur du Collège Marocain de Meknès, et M. Magnaschi, célèbre professeur d’anglais. Leur implication dans la transition vers un système éducatif nationalisé illustre le rôle clé de certains enseignants dans le passage d’un cadre colonial à une pédagogie tournée vers l’émancipation intellectuelle et la construction nationale. À travers leur enseignement et leur encadrement, ces éducateurs ont contribué à former une élite marocaine consciente des enjeux de l’Indépendance et engagée dans les processus de modernisation du pays.
Le Lycée Moulay Ismaïl est ainsi devenu au fil des décennies un établissement de référence dans la région, surtout si l'on sait qu'il a vu passer plusieurs générations d’élèves devenus enseignants, ingénieurs, magistrats, cadres supérieurs ou responsables politiques.
Échos d’ailleurs : La réforme éducative, entre héritage et modernisation

Après l’indépendance du Maroc en 1956, l’un des grands chantiers de l’État indépendant fut la réforme du système éducatif, encore largement structuré selon les logiques coloniales héritées du protectorat français. L’école est alors perçue comme un vecteur stratégique du développement national, de la modernisation et de l’émancipation intellectuelle.
Dès 1957, la signature de la Convention de coopération culturelle et technique entre la France et le Maroc marque le début d’une transition progressive : il ne s’agit pas d’une rupture brutale, mais d’un processus de marocanisation. Celle-ci passe par la révision des contenus pédagogiques, la mise en place de manuels adaptés, et surtout par la formation d’un corps enseignant national. Le défi est immense, car à la veille de l’Indépendance, la majorité des enseignants dans les lycées, collèges et écoles étaient Français, et les programmes étaient conçus à partir des modèles métropolitains.
Dans un article publié par "Le Monde" le 30 novembre 1962, l'on souligne «l’effort considérable» entrepris par le Maroc pour adapter les programmes d’enseignement à ses réalités sociales, économiques et culturelles. Le journal évoque notamment l’augmentation des effectifs scolaires, multipliés par trois en l’espace de quelques années, ainsi que la formation accélérée d’enseignants marocains. L’objectif était de rompre progressivement avec la dépendance à l’égard des cadres français, tout en assurant une continuité de qualité dans l’enseignement.
Cette période voit également émerger un débat crucial : comment créer une école marocaine, à la fois ancrée dans son identité culturelle et ouverte sur le monde ? La réforme éducative ne se limite donc pas à une simple substitution d’enseignants, mais s’inscrit dans une réflexion plus profonde sur les finalités de l’école. C’est dans ce contexte que des établissements comme le Lycée Moulay Ismaïl de Meknès, héritier d’une structure technique coloniale, évoluent vers des missions nouvelles : former non seulement des techniciens, mais aussi des citoyens instruits et conscients des enjeux de leur époque.
Flashback : L’école française, du savoir classique à la formation technique
Si le Lycée Moulay Ismaïl incarne l’héritage technique et professionnel de l’enseignement secondaire à Meknès, tourné vers la formation d’ouvriers qualifiés, de techniciens et d’ingénieurs pour accompagner le développement économique du pays, le Lycée Paul-Valéry, anciennement Poeymirau, représente, quant à lui, la tradition humaniste et littéraire.
Ce dernier est un établissement d'enseignement secondaire à l'histoire riche et singulière. Fondé en 1914 sous le nom de l’«École française de Meknès», il a vu le jour dans un contexte marqué par le Protectorat français, avec pour mission d'instruire les jeunes générations et de former une élite intellectuelle et administrative. En 1927, l'école a été rebaptisée en hommage au général Joseph-François Poeymirau, une figure militaire influente qui a joué un rôle central dans la pacification et l'organisation de la région de Meknès sous l'administration française.
Après l'indépendance du Royaume, le lycée a connu une transformation majeure. Il est passé sous la gestion de l'État marocain, qui a progressivement intégré des réformes pour adapter son enseignement aux besoins du pays nouvellement indépendant. En 1962, il a pris le nom de Lycée Paul-Valéry, en l'honneur du célèbre poète et philosophe français, symbolisant ainsi une continuité culturelle tout en affirmant une nouvelle identité éducative marocaine.
Le lycée propose aujourd'hui un enseignement général couvrant l’ensemble du secondaire, de la sixième à la terminale, et met à disposition de ses élèves un large éventail d’options. Il se distingue par la présence de l’Option Internationale du Baccalauréat (OIB), un cursus exigeant qui permet aux élèves de développer des compétences linguistiques et culturelles approfondies. Par ailleurs, des enseignements spécialisés sont proposés, tels que l’espagnol, le cinéma audiovisuel, le théâtre et le latin, enrichissant ainsi l’expérience éducative des élèves et stimulant leur créativité. Afin d’accommoder les élèves venant d’autres villes, notamment de Fès, le lycée dispose également d’un internat, offrant un cadre propice à la réussite scolaire.
Au fil des décennies, le Lycée Paul-Valéry a formé de nombreuses personnalités qui ont marqué différents domaines. Parmi ses anciens élèves notables figure Jean Venturini, un poète prometteur qui a étudié dans l’établissement en classe de seconde en 1934. Son œuvre poétique, bien que brève en raison de son décès prématuré durant la Seconde Guerre mondiale, demeure une source d’inspiration pour les passionnés de littérature.
Aujourd’hui, le Lycée Paul-Valéry continue d’occuper une place de choix dans le paysage éducatif de Meknès. En perpétuant son héritage historique et en s’adaptant aux exigences contemporaines, il offre à ses élèves une formation complète, alliant excellence académique, ouverture culturelle et engagement citoyen. Il demeure ainsi un lieu d’apprentissage et de transmission du savoir, où les générations futures se préparent à relever les défis du monde moderne.
Fiche technique : Le berceau des parcours distingués
Depuis sa fondation dans les années 1950, le Lycée Moulay Ismaïl de Meknès s’est imposé comme un établissement de référence dans le paysage éducatif marocain. Plusieurs de ses anciens élèves ont connu des parcours remarquables, illustrant l’influence durable de cet établissement sur la formation des élites marocaines.
Parmi ces figures notables, Ahmed Hilal occupe une place particulière. Ancien maire de Meknès et vice-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) pour la région, il a obtenu son baccalauréat au Lycée Moulay Ismaïl avant de poursuivre un cursus d’ingénierie en France. Diplômé de l’École supérieure internationale de commerce de Nancy, il a contribué activement au développement économique de sa région, incarnant la réussite d’un enseignement secondaire qui a su conjuguer rigueur académique et ouverture sur l'international.
Le monde culturel n’est pas en reste. Le réalisateur et écrivain Hamid Bénani, l’un des pionniers du cinéma d’auteur au Maroc, a lui aussi effectué une partie de ses études secondaires au Lycée Moulay Ismaïl. Il y a acquis une formation solide avant de rejoindre l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) à Paris, où il s’est perfectionné dans le 7ème art. À travers ses œuvres, il a contribué à faire émerger une esthétique marocaine du cinéma, alliant exigence artistique et conscience sociale.
Autre nom associé au prestige du lycée : Bernard Rouget. Journaliste et photographe français ayant vécu au Maroc de 1940 à 1974, il a immortalisé à travers ses clichés la diversité culturelle et géographique du pays. Son passage par Meknès et son enracinement local se reflètent dans ses œuvres, qui constituent un témoignage précieux de l’époque postcoloniale.
Ces trois parcours, bien que différents, ont en commun une origine : le Lycée Moulay Ismaïl, institution discrète mais influente, qui a su transmettre aux générations successives un goût pour l’effort, la curiosité intellectuelle et l’engagement professionnel. À travers eux, c’est toute l’histoire d’un lycée en dialogue constant avec son époque qui se dessine.
Archives : Le Lycée Moulay Ismaïl au gré des récits de ses anciens
Sordes témoigne aussi du tournant de la marocanisation qui s’opère dans les années 1960. Il évoque l’arrivée de M. Cherkaoui, premier proviseur marocain, qui succède à M. Serres. Cette transition est représentative du vaste processus de reprise en main du système éducatif par l’État marocain, amorcé dès la signature de la Convention franco-marocaine de 1957. Elle répondait à une nécessité pressante : former un encadrement local, adapté aux réalités et ambitions du pays.
Ces voix, venues de souvenirs personnels et partagées des décennies plus tard, offrent une documentation précieuse car elles rappellent que derrière les grandes politiques éducatives, ce sont aussi les vécus, les parcours et les figures discrètes de l’enseignement qui bâtissent la mémoire d’un établissement.