En pleine transformation, la législation pénale que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, veut réformer en profondeur, subit une mise à jour inédite. Une sorte de réadaptation aux standards internationaux que le Maroc vise à atteindre. Au moment où le gouvernement s’apprête à examiner la nouvelle procédure pénale pour une dernière fois avant de l’adopter définitivement, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) lève le voile sur son rapport annuel au titre de l’année 2023. Un document si cher aux observateurs aussi bien nationaux qu’internationaux qui, chaque année, attendent avec curiosité le verdict du département d’Amina Bouayach qui ne manque pas parfois d’épingler le gouvernement. Le timing ne peut être meilleur. Le rapport tombe à point nommé et peut être bénéfique au gouvernement qui n’a pas encore dit son dernier mot sur la copie du ministre. Peut-être servirait-il à mieux amender le texte si nécessaire, avant qu’il ne voie le jour. À parcourir les 91 pages du texte bien schématisé, on sent une certaine satisfaction quant à l’évolution des pratiques dans le domaine de la Justice. C’est comme si le Conseil voit que le Maroc fait des pas en avant en la matière même en trébuchant parfois.
Le Conseil se dit satisfait de l’adoption de la loi relative aux peines alternatives, récemment adoptée à la Chambre des Représentants en deuxième lecture. La loi, longuement discutée, n’a pas manqué de soulever plusieurs questions sur son efficacité, au moment où ni l’appareil judiciaire ni l’administration pénitentiaire ne semblent avoir assez de moyens pour s’acquitter de leurs nouvelles prérogatives en termes de suivi des nouvelles mesures alternatives à la réclusion (bracelet électronique, travaux d’intérêt général, amende journalière…). En dépit de ce débat, les experts du CNDH sont satisfaits. Malgré les doutes, le recours aux peines alternatives est présenté comme la solution idoine pour soulager les prisons qui demeurent gorgées de détenus, dont une partie importante est incarcérée provisoirement. La part de la détention préventive est à 37% selon le rapport, qui estime qu’il s’agit toujours d’une part excessive malgré les efforts consentis pour rationaliser la détention provisoire.
Surpopulation carcérale : D’innombrables défis !
Le rapport souligne indirectement la persistance du réflexe de la détention, si ancré dans la coutume judiciaire pour des raisons qui peuvent, d’ailleurs, être légitimes et pragmatiques. Les faits sont têtus. Sur les bases des missions d’inspection menées par ses équipes, le Conseil évoque qu’il y existe des personnes atteintes de troubles qui sont incarcérées bien qu’elles fassent l’objet de décisions judiciaires qui infirment leur responsabilité pénale dans les affaires où elles sont impliquées.
Le problème de la surpopulation des prisons, étroitement lié à l’exécution de la politique pénale, demeure omniprésent. La population carcérale s’élève à 102.653, dont 1254 mineurs et 2534 femmes, selon les données du CNDH, qui s’est montré critique quant aux conditions de détention, jugées non conformes aux ambitions. Le document fait état d’une intensification de l’encombrement. En témoigne le nombre de détenus par habitants. Nous sommes maintenant à 272 prisonniers pour 100.000 habitants (soit 7 points de plus par rapport à 2022) alors que les établissements pénitentiaires ne sont guère en état de les abriter convenablement. Force est de constater, selon les chiffres du Conseil, que la capacité litière ne dépasse pas 64.600 lits. Là, le constat du CNDH est sans appel. Dans de telles conditions et avec un encombrement si grand, il est difficile de s’assurer que les droits des détenus soient totalement garantis.
Dans l’esprit des observateurs du Conseil, qui dit encombrement dit risque de problèmes au sein des cellules. Les auteurs du rapport évoquent 1312 plaintes déposées par des détenus ou leurs familles. Les griefs sont divers et varient entre maltraitance, privation de droits, visites familiales, demandes de libération conditionnelle, etc… Mais le grand défi demeure l'espace de détention qui reste trop exigu pour garantir un séjour carcéral digne. Aussi, l’accès aux soins médicaux est insuffisant et pas à la hauteur, tranche le Conseil qui reconnaît pourtant que les établissements pénitentiaires sont assez pourvus d’infirmeries.
En gros, les conditions de détention sont critiquées par le Conseil qui évoque la hausse des cas de décès dans les établissements pénitentiaires en 2023 par rapport à l’année précédente. Idem pour les cas de grèves de la faim. “Il s’agit d’un indice inquiétant qui requiert des mesures urgentes afin d’améliorer la prise en charge médicale et limiter la surpopulation”, préconise le Conseil. Pour ce qui est des malades mentaux ou des personnes atteintes de pathologies psychiatriques, ils sont 12105 répartis sur plusieurs établissements. Le rapport salue, tout de même, les efforts consentis par les autorités compétentes pour améliorer les infrastructures d'accueil. Pour sa part, la Délégation Générale à l'Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR) insiste beaucoup sur les ressources qui sont allouées. Le patron de la DGARP, Mohamed Salah Tamek, a à maintes reprises tiré la sonnette d’alarme sur l’insuffisance des ressources humaines et matérielles. Il l’avait dit clairement aux députés pendant la discussion du budget de la DGAPR au Parlement. Rappelons que l’allocation de l'administration carcérale, telle que prévue dans la Loi des Finances 2024, s'élève à 966 millions de DH pour le fonctionnement et 160 millions pour l’investissement. Certes, ce budget a augmenté, mais reste insuffisant par rapport à la charge. Pour sa part, le gouvernement tente de régler les choses en faisant adopter la loi n° 10.23 relative à l'organisation et à la gestion des établissements pénitentiaires.
Peine de mort : Le suspense continue
Par ailleurs, le rapport du Conseil National des Droits de l’Homme revient sur la peine de mort. Bien que son exécution soit suspendue jusqu’à aujourd’hui, la peine est toujours prononcée dans les tribunaux du Royaume. 83 personnes ont été condamnées à la peine capitale en 2023, dont 81 condamnées définitivement, selon les chiffres du rapport, qui réitère l’appel du CNDH à abolir cette peine, jugée comme une atteinte au droit à la vie. Jusqu’à présent, ce débat reste encore d’actualité et peine à être tranché vu les divergences d’opinions entre le camp conservateur et le camp progressiste. Raison pour laquelle le Conseil exhorte le gouvernement et le Parlement à mener un débat national sur ce sujet épineux.