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Rabat / Café La Scène : « Je dis Slam »… que les vers se déclament !


Rédigé par Achraf EL OUAD le Jeudi 10 Février 2022

En vers ou en prose, les images métaphoriques sont finement dessinées, caressant ainsi les esprits des fanatiques du slam. Une forme poétique qui, un jeudi chaque mois, résiste à la cacophonie du mépris et continue sa «Renaissance».



Tous les chemins mènent à Rome. A l’entrée du grand édifice, bientôt séculaire et autrefois dédié au père des arts, deux escaliers vous offrent le choix de rejoindre le café au premier étage du côté qui bon vous semble. Les dernières marches foulées, les traits d’un paysage vintage s’esquissent de plus en plus nettement. Le vert, couleur qui évoque la nature, la force et la créativité, marque sa forte présence dans cet espace. Les plantes éparpillées à gauche et à droite se tiennent debout sur un doux parquet marron et les tables vertes, qui se jouxtent et s’adossent, sont en parfaite harmonie avec l’ambiance chaleureuse qui règne au Café La Scène.

Le jeudi tant attendu est bel et bien arrivé, les fanatiques du slam, qu’ils soient amateurs, pratiquants ou même professionnels, sont au rendez-vous avec une rencontre culturelle mensuelle dédiée aux rimes et aux rythmes, aux assonances et aux allitérations.

Quelques dizaines de minutes avant l’heure H, les slameurs, armés de leurs textes, commencent à affluer au café et à marquer leurs noms sur la liste des participants. Quant aux spectateurs, les plus exigeants seraient déjà arrivés et auraient occupé les places les plus proches de l’estrade. A ce moment-là, les organisateurs mettent la dernière main à la préparation de projecteurs et de micros.

19h sonne, que le show commence !

Premier arrivé, premier servi. Le nom qui figure en tête de la liste préétablie est appelé à monter sur l’estrade du café, large de 5 mètres et haute « comme trois pommes », mise en place au coin gauche de cet espace. Le trajet entre sa table et l’estrade lui semble difficile à parcourir, ses pas s’alourdissent et son enthousiasme est courbé sous le poids d’un trac, quasiment inévitable, qui s’accentue avec un silence de plus en plus régnant dans l’espace. Les deux marches foulées, les deux pas franchis, le premier slameur de la soirée tient le micro et l’épreuve artistique, sociale et psychique est sur le point de commencer.

Un géant miroir est placé derrière l’estrade et de l’autre côté du café, nulle personne sur scène ne pourra échapper aux yeux des spectateurs, où qu’elle regarde. Après des premiers vers délicatement déclamés, le premier artiste à performer retrouve peu à peu sa stabilité, enchaîne plus sereinement ses rimes et achève son texte sur les chaleureuses acclamations du public. Se succèdent ensuite les performances, une diversité linguistique est à souligner. Ces slameurs marocains jonglent avec les codes linguistiques, véhiculaires soient-ils ou vernaculaires, de Molière, de Shakespeare ou d’Ibn al-Muqaffa, darija ou amazigh.

Les réactions du public après chaque performance sont régies par plusieurs facteurs. Si la qualité du texte et la force de la performance déterminent la chaleur et la durée des applaudissements, le caractère ‘’popularité’’ a, lui aussi, son rôle à jouer. En fait, le Café La Scène, comme peu d’autres cafés et contrairement à la majorité, jouit d’une clientèle qui ne change point. Après quelques visites récurrentes, il serait facile d’observer que les mêmes visages y prennent place. Encore plus, et vu la dimension culturelle du café –qui connaît l’organisation de concerts de musique, de cérémonies de signature de livres ainsi que des débats de tout poils-, il s’est transformé, au fil du temps, en une source d’inspiration pour les écrivains et les poètes.

Le spectacle arrive à son terme après plus de deux heures, une trentaine de performances et des milliers de mots. Un fort potentiel est à souligner chez ces artistes en herbe qui, nous l’espérons, continueront à pousser pour qu’ils, après un moment, puissent monter sur les plus fameuses scènes du monde, rassembler les foules et contribuer au rayonnement d’un genre artistique qui, en dépit de ce que certains pensent, n’est point des moindres.


Achraf EL OUAD

Quelques vers… entre autres

 
Ceci est un extrait d’une performance, sous le titre ‘’Paradoxe’’ :
Ne sommes-nous pas dégoûtés de cette discrimination ?
De couleur, de religion
De nationalité, de région
De sexe, de sexualité
Peut-on arrêter la contagion ?
Oui, mais jamais avec de l’indifférence
Jamais en craignant la différence
Jamais tant que tous dissemblables
Sont en perpétuelle concurrence
Jamais si Georges Floyd ne peut pas respirer
Dans ce gigantesque monde immense
Jamais si les enfants sont violés
Et que la pédophilie est une préférence
Jamais si Hitler demeure à nos yeux,
Un modèle à suivre, une bonne référence
Jamais si la femme est toujours persécutée, torturée
Rien qu’à cause de sa passion pour la danse
Jamais si les religions coexistent mais ne cohabitent pas
Dans un monde d’hétérogénéité et d’incohérence
Jamais si l’on continue à s’entretuer…
À dire «je suis», à dire ‘’tu es»…
Mais «Nous sommes»… et ainsi on avance.

3 questions à M’bark Harrach


« C’est un moment de rencontre et d’échange dans un esprit de paix et de tolérance »
 
A l’occasion de l’événement ‘’Je dis Slam’’, organisé mensuellement au café La Scène, nous avons rencontré le chargé de programmation et de médiation culturelle à la Fondation Hiba, qui nous rapproche des coulisses de cette initiative.

- Quand est-ce-que l’idée de créer cet événement dédié au slam a vu le jour et qui en était à l’origine ?

- En tant que chargé de la programmation à la Fondation Hiba, j’ai eu l’occasion de fréquenter plusieurs artistes slameurs et je me suis dit pourquoi ne pas lancer un rendez-vous mensuel pour ces artistes à Rabat. Une rencontre qui leur permettrait de partager leurs idées et de montrer leurs talents. En 2016, un partenariat entre la Fondation Hiba et l’Association Bén O Bin a permis de concrétiser l’idée et de la mettre en oeuvre.


- Quels sont les principaux objectifs du ‘’Je dis Slam’’ et à quel point cette initiative est-elle réussie ?


-‘’Je dis Slam’’ est un événement dédié au slam et organisé un jeudi de chaque mois. Il s’agit d’un moment de rencontre et d’échange dans un esprit de paix et de tolérance. Son objectif est de créer des moments artistiques réguliers, former des amateurs à l’art de la scène, promouvoir le slam comme pratique et projet urbain, ainsi que promouvoir la liberté d’expression.

En dépit de toutes les contraintes, cette initiative est quand même parvenue à se créer un petit espace sur la scène culturelle locale et nationale. Plusieurs grands slameurs marocains d’aujourd’hui sont passés par la petite estrade du Café La Scène, notamment Abderrazak Amouzoune, classé 3ème lors de la 17ème édition de la prestigieuse Coupe du Monde du Slam Poésie de 2021.


- Quelles difficultés rencontrez-vous pour mener à bien cette aventure ?


- Les principaux problèmes sont d’ordre financier. Nous cherchons tous les trois mois des partenaires ou sponsors qui puissent financer les ateliers et se charger des cachets des artistes invités. Auparavant, nous travaillions avec Amnesty international comme bailleur de fonds, mais la situation s’est compliquée à l’ombre de la crise pandémique.

Recueillis par A. E.







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