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Peines alternatives : la réforme face aux réserves de l’administration pénitentiaire


Rédigé par Anass Machloukh Mercredi 8 Novembre 2023

Le patron de la DGAPR, Mohammed Tamek, a jugé “relatif” l’effet des peines alternatives sur la réduction de la surpopulation carcérale. De quoi relancer le débat sur l’efficacité du nouveau système dont la DGAPR sera l’une des chevilles ouvrières. Décryptage.



(Ph : Droits réservés)
(Ph : Droits réservés)

C’est un véritable exercice de franc-parler auquel s’est livré le Délégué général à l'Administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohammed Salah Tamek, lors de son passage, mardi, à la Commission de la Justice à la Chambre des Représentants. Le sombre portrait qu’il a brossé de l’environnement carcéral et de l’état des prisons n’a laissé personne indifférent. Le patron de l'Administration pénitentiaire a poussé un cri d’indignation contre les difficultés qui tenaillent les fonctionnaires des établissements pénitentiaires dont il s’est fait l’avocat. Sans langue de bois, Tamek a déploré l’inaction des gouvernements successifs qui n’auraient pas, selon lui, débloqué assez de budgets pour pouvoir gérer efficacement l’espace carcéral où les fonctionnaires font face à “l’engeance de la société”. Une expression qui n’est pas passée inaperçue dans les radars médiatiques. 

Le souci des moyens ! 

Les difficultés s’accumulent au fur et à mesure que la population carcérale augmente. Tamek a été clair quand il a reconnu qu’il n’a plus de place où mettre les nouveaux détenus si la cadence de la détention se poursuit dans son rythme actuel. Avec environ 103.302 prisonniers, les geôles du Royaume n’en peuvent plus, surtout que le nombre des taulards évolue si vite. 


Contrairement aux partisans de la réforme du Code pénal, Mohammed Tamek s’est montré peu enthousiaste quant aux peines alternatives qui viennent d’être insérées dans l’arsenal pénal après le vote de la loi au Parlement. 

Peines alternatives : le scepticisme de Tamek

Tamek n’y croit pas beaucoup. Du moins, elles n’auraient, selon lui, qu’un effet relatif sur la diminution de la population carcérale. Le patron de la DGAPR ne tarit pas d’arguments. S’il s’est montré dubitatif, c’est parce qu'il estime que les peines nouvellement insérées ne feront que compliquer la besogne du personnel pénitencier qui aura des tâches supplémentaires. Selon l’argumentaire de Tamek, il faudrait presque 4000 fonctionnaires pour gérer les procédures techniques liées à l’application des peines alternatives, et ce, au moment où la DGAPR manque terriblement de ressources humaines. Ce qui ne peut être comblé par les renforts puisque les postes budgétaires prévus chaque année tournent autour de 1000 fonctionnaires. 

En plus de cela, les peines alternatives auront d'autant moins d’effet qu'elles ne devraient bénéficier qu’à un nombre limité de détenus (près de 4000 par an), selon les estimations de Tamek. 

Cette réserve émane d’un haut responsable, dont la parole est respectée, qui connaît mieux que quiconque l’état des prisons du Royaume et qui sait à quel point l’encombrement dans les cellules complique la tâche aux gardiens qui travaillent dans des conditions difficiles. Raison pour laquelle Tamek a plaidé pour l’amélioration de leur statut. 

Si les mesures alternatives ne suffisent pas pour pallier la surpopulation carcérale, que faire donc ? Les réponses, tout le monde en cherche sans parvenir à une solution unanime. Pour sa part, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, reste intimement convaincu que la réforme qu’il a fait voter est la meilleure. Bien que censée faire l’objet d’un consensus national, la réforme liée aux peines alternatives, conçue depuis longtemps, continue de susciter des désaccords au sein même du monde judiciaire. Pour cause, le taux de détention est jugé élevé.  

Mohammed Tamek a rappelé aux députés que la moyenne de détention connaît une croissance exponentielle. Il suffit de constater que celle-ci est passée à 272 détenus pour 100.000 habitants au lieu de 265 l’année dernière. Le recours à la détention demeure un souci majeur de la politique pénale. Ceci a provoqué même une vive polémique entre le ministre de la Justice et les représentants de la magistrature lorsque le ministre a qualifié les peines prononcées par les juges de “sévères”. Des propos auxquels le Club des Magistrats a réagi immédiatement via un communiqué au ton sévère, dans lequel il a accusé le ministre d’avoir outragé la profession et d'avoir violé le caractère indépendant de la Justice. Les magistrats disent qu’ils ne font qu’appliquer le code pénal, tel que conçu par le législateur, et n'inventent pas leurs propres lois. 

Peines alternatives, plus de travail, moins de ressources !

De son côté, l’administration pénitentiaire voit dans l’arrivée des peines alternatives une nouvelle charge supplémentaire au moment où les prisons sont en sous-effectif. La loi 43.22, telle que votée par les députés, impartit l’application des mesures alternatives à l’emprisonnement à l’Administration pénitentiaire, comme l’indique l’article 647. 

Selon ledit article, il incombe à l’établissement pénitentiaire compétent, qu’il soit central ou local, de faire le suivi de l'application de la peine alternative après que le Juge d’application des peines ait fourni l’arrêté exécutif. Toutefois, la loi veille à ce que l’administration pénitentiaire ait les moyens nécessaires pour ce faire, c’est là où se situe le débat. 

Les établissements pénitentiaires devraient avoir plus de besogne lorsqu’il s’agit de la surveillance électronique qui requiert plus de travail de la part de la DGAPR. L’article 647 lui attribue la mission de suivre les déplacements et la mobilité de la personne soumise au bracelet électronique. En plus de cela, l'administration carcérale est appelée, le cas échéant, à fournir régulièrement des rapports à la demande du Juge d’application des peines ou quand c’est nécessaire. 

En attente de l’achèvement de la refonte de la politique pénale

Au milieu de ce débat, le dernier mot n’a pas encore été dit puisque le ministère de la Justice continue de mettre les dernières retouches sur le nouveau Code pénal et celui de la Procédure pénale qui devraient, à en croire les multiples indiscrétions de Ouahbi, assouplir davantage l’arsenal pénal avec la décriminalisation de certaines infractions, jugées disproportionnellement punies dans l’actuelle loi. Pour rappel, 457 articles ont fait l’objet de modifications. 

Quoiqu’il en soit, les peines alternatives ne semblent qu’une des solutions, mais pas “la” solution, à regarder le débat actuel. Tant que la surpopulation carcérale dure, ce débat continue. Deux pistes sont souvent évoquées pour sortir du marasme : l'élargissement de la capacité d'accueil des établissements et la refonte de la politique pénale de sorte à réduire le phénomène criminel. Ce qui est loin d’être un objectif réalisable à court terme. L’Administration pénitentiaire, par la voix de son patron, a, pour sa part, le mérite de la clarté. Son message consiste à dire qu’il faut traiter le fond du problème et extirper le mal à la racine en s’en prenant à la criminalité de façon plus large et en donnant plus de moyens humains et matériels aux établissements carcéraux. 
 








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