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Médias : L’émergence discrète des podcasts au Maroc [INTÉGRAL]


Rédigé par David LE DOARÉ Mardi 12 Mars 2024

En parallèle des médias dominants, plus d'une vingtaine de podcasts made in Morocco sont apparus ces dernières années. Si ce format séduit un public de plus en plus large, l'écosystème économique doit être accompagné pour perdurer.



Le podcast, nouveau média tendance ? Alors que la presse écrite et la radio-télévision sont en perte de vitesse, ces séries d'épisodes audio disponibles en ligne s’installent progressivement dans le paysage. Elles couvrent un éventail de sujets toujours plus large - du football à la géopolitique, en passant par le développement personnel - et sont disponibles en arabe, en français et en anglais. 

Actuellement, il n’existe pas de données officielles sur les audiences et les parts de marché d’un secteur en éclosion, ce qui n’empêche pas quelques podcasts de toucher un grand nombre d’auditeurs dans le Royaume et au-delà. 

Le plus populaire ? Probablement Radio Maârif. Lancé en 2018 à Casablanca par Reda Allali et Hamza Chioua, spécialisé dans l’Histoire du Maroc, il compte plus de 300 épisodes et aurait atteint le seuil symbolique des 5 millions d’écoutes! Autre success story plus confidentielle, le podcast Shape your career - anciennement « Les inspiratrices » - créé et animé par Leïla Bazzi : précurseur au Maroc et en Afrique pour la promotion du leadership féminin, les deux premières saisons cumulent 60.000 écoutes sur les seules plateformes Spotify et Apple Podcast.
 
Atouts et spécificités 

Accessible à tout moment sur internet, où il se distingue face à la surabondance des contenus vidéos, le podcast a la particularité de proposer une ambiance intime, sans fioritures ni artifice. À travers l’ouïe, les auditeurs se sentent proches des intervenants et s'immergent facilement dans les contenus proposés. 

De plus, “sans caméra, nos invités sont nettement plus à l’aise”, explique Hamza Chioua. ”Ça fluidifie les échanges et c’est moins cher”, poursuit-il. Loin des sentiers exposés de l’audiovisuel classique, la simplicité de ce média émergent contribue à offrir un nouvel espace de liberté et d’échanges.

Toutefois, avis aux amateurs : si produire un podcast peut sembler chose aisée, il ne suffit pas d’acheter un micro et une table de mixage. “Il y a énormément de compétences à acquérir : dans quel matériel investir, comment enregistrer un son propre, comment construire un récit à partir des rushs… Au début, j’ai essayé de tout faire seule et heureusement maintenant je délègue !”, nous confie Leïla Bazzi.

Tous deux membres du groupe HobaHoba Spirit, les co-fondateurs de Radio Maârif avaient un temps d’avance dans le domaine du son : “On s’est basé sur ce qu’on savait déjà faire. Reda connaît bien le micro et j’ai l’habitude de produire du contenu audio. Il y a quand même des aspects qui nous échappent : on est très centré sur la production et même si on est conscient que c’est important, on ne fait pratiquement aucune promotion”, constate Hamza Chioua.
 
Un métier passion

Dans certains pays étrangers, le secteur des podcasts constitue déjà une industrie lucrative. À titre d’exemple, la plateforme de streaming Spotify vient de renouveler son contrat avec le célèbre podcasteur américain Joe Rogan pour la coquette somme de 250 millions de dollars. Une preuve de la manne financière que peut constituer ce média pour les producteurs comme pour les diffuseurs (Spotify, Deezer, Apple Podcasts…).

Au Maroc, en revanche, rares sont les podcasts qui génèrent assez de revenus pour faire vivre leurs auteurs. “La première année on a gagné zéro dirham. Ça a changé depuis et c’est important de gagner de l’argent pour exister mais ça reste dur d’en vivre”, reconnaît Hamza Chioua. 

Des millions d’auditeurs et des contenus variés (séries sur l’équipe nationale de football, la musique et le patrimoine marocain) ont retenu l'attention d’annonceurs institutionnels convaincus par “la mission citoyenne“ de Radio Maârif. 

Reda Allali n’en est pas moins lucide : “On parle de métiers passions, comme les gens qui écrivent des bouquins ou jouent de la musique. Tu ne rentres pas là-dedans avec l’ambition de gagner de l’argent. Tu essayes juste de fabriquer une machine qui produit régulièrement des résultats sans te faire souffrir toi et ta famille”.

Même son de cloche chez Leïla Bazzi qui a travaillé pro bono avant de trouver un partenaire pour accompagner son projet. “Les efforts payent dans la durée, par contre, il ne faut pas s’attendre à des résultats immédiats… il y a un côté ingrat et il faut s’accrocher fort avant que le projet ne devienne pérenne !”, admet-elle. Aujourd’hui, Shape your career a le soutien du groupe français Engie, ce qui permet “de financer les coûts, mais en réalité ce sont les encouragements des auditeurs et auditrices qui me nourrissent !”, se réjouit Leïla Bazzi.
 
Une filière à structurer

Certains podcasteurs tirent donc leur épingle du jeu et se constituent une communauté d’auditeurs fidèles, mais à l’échelle nationale le secteur est encore brouillon. Et l’explosion concomitante du nombre d’influenceurs et d’auteurs de vidéos sur internet ne fait qu’ajouter à la confusion. 

“Il y a tout un écosystème à créer”, déclare Leïla Bazzi. “Quand je me suis lancée, je n’y connaissais rien et les infos je les ai glanées comme je pouvais. On voit bien des incubateurs accompagner des start-ups, ça marche, alors pourquoi ne pas en faire autant avec les podcasts ? ”, poursuit-elle.

Autre frein au développement du podcast : le manque de visibilité de ce secteur émergent. Le travail d’écriture, d’enregistrement, de montage, de sound-design… ne représente que la moitié du chemin à parcourir. Viennent ensuite les étapes de diffusion et de promotion du podcast. 

Au Maroc, une bonne partie de la population écoute encore peu de podcasts, voire ignore complètement l’existence de ce média. “Six ans après nos débuts, la visibilité a augmenté, néanmoins, ça reste un défi. Et quand bien même on parle à des gens connectés qui écoutent des podcasts, ils ne connaissent pas forcément l’existence des podcasteurs marocains”, commente Hamza Chioua.

Premier festival dédié à la radio, aux podcasts et à la création sonore, le festival Amwaj s’est tenu à Casablanca du 14 au 17 décembre dernier. Avec parmi ses objectifs de rassembler les professionnels et de développer leur visibilité auprès du grand public. “Il faut continuer d’encourager ce type d’initiative, y compris pour pousser les podcasteurs à sortir de leur studio”, prône Mehdi El Kindi, co-fondateur du studio de podcast « Les Bonnes Ondes » (LBO) et co-organisateur du festival Amwaj. ”Parfois, les gens qui travaillent dans le son ont un petit côté rat de bibliothèque!”, conclut-il.
 

3 questions à Mehdi El Kindi “Le principal challenge c’est le financement !”

Mehdi El Kindi, co-fondateur du studio de podcast Les Bonnes Ondes (LBO), répond à nos questions concernant l’évolution et l’avenir du secteur des podcasts au Maroc.
Mehdi El Kindi, co-fondateur du studio de podcast Les Bonnes Ondes (LBO), répond à nos questions concernant l’évolution et l’avenir du secteur des podcasts au Maroc.
 
  • Pourquoi le format podcast connaît-il un tel succès dans de nombreux pays et reste confidentiel au Maroc ?
 
Je ne pense pas que le podcast soit si peu connu, j’ai l’impression que de plus en plus de gens sont « piqués » et consomment régulièrement non pas un mais plusieurs podcasts. C’est vrai que c’est un format émergent et la réalité est qu’on ne dispose pas de statistiques précises sur le nombre d’écoutes au niveau national. Les grosses plateformes de diffusion fournissent peu de données à cette échelle, elles regardent plutôt au niveau de toute la région MENA. C’est un problème, et pour qu’il y ait un changement d’approche, il faudrait que ces plateformes y voient une opportunité économique : donc que les grandes entreprises et les institutions nationales sollicitent davantage leur régie publicitaire.
 
  • Quels sont les enjeux propres au Maroc pour le développement du format podcast ?
 
Le principal challenge c’est le financement ! De nombreux métiers interviennent dans la fabrication et la diffusion d’un podcast (rédacteur, producteur, ingénieur son, graphiste, webmaster, traducteur…), et parfois il faut payer des droits pour utiliser des archives sonores ou de la musique. Tout ça coûte de l’argent, les producteurs recherchent souvent des partenaires pour les soutenir. Il y a peut-être de nouvelles pistes à creuser : les consommateurs pourraient payer pour écouter, comme c’est le cas avec les livres audio. Le développement du crowdfunding pourrait également représenter une opportunité. Ceci dit, il y a un côté fun à chercher son propre modèle économique et ça permet de jouir d’une grande liberté de ton. C’est notre supplément d’âme !
 
  • Quelle est la position des institutions et du secteur privé sur la question du développement du podcast ?
 
En ce qui concerne les institutions je ne saurais dire, cependant, je constate que les grandes entreprises s’intéressent de plus en plus à ce format et plusieurs d’entre-elles soutiennent des producteurs : la MDJS avec Kalimat Riyadia (Les Bonnes Ondes), le CIH avec Studio Code 30 (JAWJAB), Maroc Telecom avec Radio Maârif, ENGIE avec Shape your career… Progressivement, c’est une filière qui est en train de se structurer. La première édition du festival Amwaj à Casablanca (14 au 17 décembre dernier) est venue poser une pierre dans ce sens en rassemblant les professionnels. Il faudrait encourager ce type d’initiative pour sortir les podcasteurs de leur studio, car, parfois, les gens qui travaillent dans le son ont un petit côté rat de bibliothèque !

Service de streaming : La domination des plateformes

La tendance croissante de la domination des géants du net sur les médias s'étend également aux podcasts. Alors que les GAFAM détiennent le monopole de l’intermédiation entre presse écrite et lecteurs, et que des sites web d'hébergement de vidéos marginalisent progressivement les chaînes de télévision, les podcasts ne sont pas en reste.
 
Le marché de la diffusion des podcasts est largement dominé par quelques acteurs majeurs tels que Spotify, Deezer, Apple Podcasts et Google Podcasts, qui cumulent ensemble près de 80% de part de marché. Parmi eux, Apple Podcasts se distingue en capturant plus de la moitié de ce marché.
 
Ces plateformes se rémunèrent, d’une part, via les abonnements des auditeurs et, d’autre part, en touchant des droits sur la publicité générée par ces podcasts. De plus, elles peuvent également percevoir une commission sur les abonnements des créateurs indépendants qui utilisent leur plateforme pour distribuer leurs podcasts payants.

Taxe streaming : Une redistribution plus équitable

L'appropriation des revenus par les plateformes, que ce soit pour les podcasts ou les créations musicales, suscite des préoccupations croissantes dans plusieurs pays. La France a été le premier Etat à mettre en place, dès début 2024, une taxe streaming. Cette nouvelle taxe sur le chiffre d'affaires des plateformes d'écoute de musique en ligne devrait rapporter 15 millions d'euros, selon les prévisions du gouvernement français.
 
La contribution fiscale des plateformes de streaming par abonnement et des plateformes gratuites de partage de contenu sera d'un taux de 1,2% de leur chiffre d'affaires réalisé en France. Objectif de cette taxe : financer le Centre National de la Musique (CNM), une instance créée en 2020 pour soutenir la filière musicale française, à l'instar du CNC pour le cinéma.
 
Les opposants à la taxe plaident de leur côté pour une contribution volontaire, affirmant qu’ils avaient atteint un accord, réunissant notamment Apple, Deezer, Meta, Spotify, YouTube et TikTok, pour mobiliser plus de 14 millions d’euros en 2025. Ce montant promis n’a été malheureusement pas suffisant, pour le ministère de la Culture français.
 
En représailles, la plateforme Spotify a décidé de répercuter cette taxe sur les consommateurs. Le 7 mars, le service de streaming a annoncé devoir augmenter ses prix en France pour les abonnées de Spotify Premium.
 








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