
De Rabat à Tunis, on navigue à vue. Rien n’augure une détente dans le contexte actuel. Même une accalmie n’est pas envisageable tellement le climat est nébuleux, à en croire les déclarations pessimistes d’un haut diplomate tunisien au journal Assahifa, dont les propos ont mis un terme à quelques spéculations qui ont couru ces derniers temps dans la presse sur de prétendus efforts de réconciliation dans les coulisses. Il n’en est rien pour l’instant, selon nos informations.
Le vide dure
Le vide diplomatique est condamné à durer faute d’ambassadeurs qui ne sont pas encore remplacés. Ils ne le seront pas, au moins à court terme. Le dernier ambassadeur marocain à Tunis, Hassan Tariq, est rentré en septembre 2022, son poste est toujours vacant.
Depuis le déclenchement de la crise suite à l'accueil de Brahim Ghali par le président Kaïs Saïed en août 2022, les représentations diplomatiques sont réduites à la portion congrue. N’empêche que les relations consulaires et les affaires commerciales fonctionnent correctement. Du point de vue tunisien, il s'agirait d’une crise passagère qui ne saurait nuire aux relations fraternelles entre les deux pays. C’est pour cette raison qu’on évite souvent de parler de rupture. La Tunisie s’est tirée elle-même une balle dans les pieds en rompant de façon impromptue et, surtout, irrationnelle, avec sa neutralité traditionnelle au Maghreb en prenant ouvertement le parti de l’Algérie. Ce tournant pro-alégrien a ouvert à la voie à une crise sans précédent d’autant que le président tunisien, Kais Saïed, a pris soin de montrer toute son hostilité au Maroc en réservant un accueil digne d’un chef d’Etat au chef du Polisario Brahim Ghali au Sommet de la TICAD en 2022 à Tunis.
Jamais un président tunisien n’est allé si loin. Une provocation impardonnable pour le Maroc dont la réaction fut aussi ferme que possible. Rappel des ambassadeurs, gel des contacts diplomatiques… Les liens sont coupés jusqu’à nouvel ordre. Une attitude devenue classique d’un pays dont on porte atteinte à son intégrité territoriale.
Kaïs Saïed prisonnier de ses choix
Depuis son arrivée au pouvoir, le locataire du Palais de Carthage s’est jeté sans précaution dans les bras de l’Algérie sur fond d’une dépendance économique et énergétique irréversible au point de devenir l’otage du régime des généraux qui tire tout le profit imaginable de cette emprise manifeste. Devant les caméras, on camoufle cette réalité amère pour les Tunisiens par les embrassades et les accolades entre les deux chefs d’Etat qui prennent soin à marcher main dans la main devant les journalistes.
Aujourd'hui, Tunis, acculé de toutes parts, s’est laissé entraîner dans une dépendance excessive vis-à-vis de son voisin qui multiplie les subsides conditionnés. Prêt de 150 millions de dollars en 2020, suivi d’un prêt de 30 millions de dollars l’année suivante. Puis un deuxième prêt de 200 millions de dollars assorti d’un cadeau de 100 millions de dollars en décembre 2022. Le carnet de chèques algérien bat son plein.
L'accueil de Brahim Ghali a été le prix à payer pour garder l’appui d’Alger qui, à coups de subventions, de crédits gratuits et de flux touristiques s’est payé l'alignement de Tunis sur sa politique étrangère. On s'est aperçu au grand jour lors des Sommets tripartites de l’axe Alger-Tunis-Tripoli pour ressusciter l’Union du Maghreb Arabe sans le Maroc. Ce projet frénétique était dès le début voué à l’échec avec trois pays au bord de la faillite qui n’ont même pas les moyens de former un bloc régional. D’une part, une Libye tiraillée entre deux gouvernements et minée par une lutte fratricide. De l’autre part, un régime militaire qui navigue à vue et qui tient par la gorge son voisin menacé de faillite.
Tunis s’est aligné incontestablement à tous les niveaux de sa politique étrangère et semble désormais emboîter le pas aux Algériens dans leur bras de fer avec la France, comme on s’en est aperçu dans l’affaire d’un délinquant tunisien tué par la police française à Marseille. La diplomatie tunisienne s’en est prise de façon inopinée aux autorités françaises en dénonçant un acte injustifié dans un communiqué d’une rare violence.
Une réaction peu habituelle de la part d’un pays avec lequel Paris entretenait de bonnes relations jusqu'à lors. De quoi étonner même les commentateurs en France dont certains y ont vu “une algérianisation” de l’attitude tunisienne. On a l’impression que Tunis est monté au créneau par mimétisme, voire même sous pression algérienne. L’inféodation de la Tunisie par l’Algérie est maintenant un secret de polichinelle. On parle d'inféodation. Certains prennent ce vocable au sérieux tandis que d'autres parlent de subordination.
On garde les apparences !
Malgré la crise, Rabat et Tunis ont su pourtant garder un minimum de courtoisie. Bien que si rares, les contacts de haut niveau sont maintenus. Le Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a félicité, il y a un an, son homologue tunisien, Mohamed Ali Nafti, à l'occasion de la nomination de ce dernier à son poste. Quelques jours plus tôt, son prédécesseur, Nabil Amar, avait rencontré, le 15 août 2024, à la dérobée le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch, en France en marge du 40ème anniversaire du Débarquement de Provence. En somme, on se contente de faire bonne mine. Le statu quo semble arranger tout le monde, y compris la Tunisie qui continue de récolter les dividendes de son commerce juteux avec le Maroc avec un excédent commercial estimé à 143,6 millions de dirhams.
L'intransigeance du Maroc qui assume le bras de fer
La réconciliation est loin de portée. Le Maroc reste intraitable quitte à ce que la crise dure très longtemps. La question du Sahara est le prisme par lequel le Royaume considère son environnement international et l’aune par laquelle il mesure les amitiés. Le régime tunisien peine à le comprendre.
L’élite tunisienne partagée !
Le virage pro-algérien du président Saïed n’est pas uniquement un choix personnel qui serait contre la volonté de toute l’opinion tunisienne. Certes, il reste contesté par une partie importance de l'intelligentsia tunisienne de l’ancienne génération, qui maîtrise encore les subtilités du Maghreb, et qui appelle à se rattraper avant qu’il ne soit trop tard.
Mais, le tropisme algérien du président reflète un nouveau courant de pensée qui fait son chemin au sein de l’élite médiatico-politique tunisienne qui croit à la “diplomatie des frontières”. Un courant qui croit que la priorité va au voisin avec qui on partage des frontières. C’est ainsi qu’on vend le rapprochement algéro-tunisien dans les médias. Ce courant voit d’un mauvais œil l'ascension économique du Maroc dans la région et son influence en Afrique au moment où Tunis sombre depuis la révolution de 2011 dans une crise financière sans précédent au point de frôler la banqueroute. Là, un parfum de complotisme se fait sentir chez les tenants de tels discours.
Certains commentateurs tunisiens, y compris des experts censés avoir le sens de la nuance, passent leur temps à blâmer le Maroc pour les échecs de leur pays. On va jusqu’à accuser le Royaume d’avoir volé des parts de marchés des phosphates et du tourisme depuis 2011. L’un des clichés qu’on retrouve souvent sur les plateaux de télévision.