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Culture

Magazine : Khaled, le roi du raï déraille


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 28 Août 2022

S’il est dit que les limites sont faites pour être franchies, ici elles sont malmenées. Le chanteur lance le 19 août son dernier opus « Cheb Khaled », un mixe de mélanges qui ont du mal à fusionner. Entre nouvelles chansons et autres reprises malvenues, l’artiste s’éloigne progressivement du raï pour tutoyer l’improbable. Et ce fait n’est pas nouveau.



Après dix longues années de répit (forcé ou pas) et quelques duos par-ci par là, le chanteur refait surface avec un « nouvel » album qui intrigue et déboussole. Ce retour, il le nomme « Cheb Khaled », une espèce de renvoi à un passé de trime et de timide ascension avant l’éclat qui lui vaut le titre du roi du raï.

A ce jour, malgré des enregistrements variablement espacés, Khaled est l’unique artiste du genre dont la carrière perdure, enjambant des soucis plus personnels que professionnels. Sa poigne, son expérience et les choix de production qu’on lui concocte sont déterminants pour une longévité qui ravit les fans et surprend la concurrence. Khaled joue et gagne, globalement.

Son charisme et sa présence sur scène confortent un succès qui ne perd pas de sa superbe, ou presque. Khaled est acclamé là où il passe parce que Khaled n’oublie jamais de faire du Khaled. Avec quelques bémols constatés sur son avant dernier opus « C’est la vie », une grosse tache qui entache une assez longue et respectable carrière antérieure. En live, ce sont ses classiques qui font mouche. Jusqu’à ce qu’il dévoile la semaine dernière un « Cheb Khaled » loin de la perfection proche du rafistolage.

Le pétard éclate mou

L’album s’ouvre sur un renvoi d’ascenseur à Dj Snake. Il y a quelque temps, le mixeur français de mère algérienne décide de rendre hommage à sa partie maternelle en puisant dans le 3laoui un brin reggada à travers le single « Disco Maghreb » qu’il relève à la sauce électro. Pour crédibiliser son projet, il invite Khaled qui s’engage dans une outro en mawal de haut vol. Le titre est un réel succès.

Face à cet engouement, le Maroco-Algérien recourt aux services du Dj pour la énième reprise de « Trigue Lycee », histoire de la rafraîchir et de draguer un auditoire jeune. Seulement, le pétard éclate mou. Une belle oeuvre ratée dont l’approximation se confirme le long des autres pièces de l’opus. Khaled donne l’impression d’être étranger à la fabrication de l’album. On bute ensuite sur « Come Together (Asere Que Bola) » sur lequel il invite Alan Atias, un américain qui assure le chant pour ce qui reste de The Wailers, un acharné également de house. Ici, les ingrédients sont latino comme pour « Diamantes y oro » commis avec le douteux apport du Marocain Chawki.

Ce curieux regain latin se poursuit en compagnie d’un autre Marocain, Chico (Jahloul Bouchikhi) flanqué de ses Gypsies. La chanson rend explicitement hommage à la maman du chanteur disparue récemment, pourtant il l’intitule « Getano ». Khaled enchaîne par un cri d’amour envoyé à sa femme Samira Diabi, « Come Tonight ». Une telle déclaration enflammée n’est pas la première dans le parcours du chanteur. Mais cette fois, le contexte est autre. En 2019, l’interprète algérienne Fulla Al Jazairia évoque sur une chaîne de télévision de son pays une supposée ancienne idylle avec Khaled. Le voici contraint de se justifier auprès de la mère de ses enfants.

Cela se règle par un post sur un réseau social qu’il accompagne d’une photo où on la voit à ses côtés : « Mon premier et dernier amour qui éclaire ma vie. Tu m’as donné cinq enfants formidables et tu m’as surtout donné beaucoup de bonheur. Je t’aime Samira. » A cette écrit, il joint aujourd’hui la voix en vociférant le prénom de son épouse-manager. En somme, l’album « Cheb Khaled », estampillé « Since 1960 » (son année de naissance), est un brouhaha de styles qui éloignent (consciemment ?) le chanteur de son raï fondateur. On y croise du dancefloor mais également une touche indienne avec le concours de Riffat Sultana, fille de l’incontournable Salamat Ali Khan. Leur « Forever Love » n’est pas sans rappeler « Kiss Kiss » de Tarkan. Oups. L’album qui s’ouvre sur du réchauffé (« Trigue Lycee »), se referme en convoquant le même procédé : « Love to The People », enregistré en 2006 en duo avec Santana. Et vlan ! On est tristement loin d’un come-back tonitruant.

Entre passé et présent

Khaled, lauréat au milieu des années 1980 du festival de raï d’Oran, embrasse la technique professionnelle grâce au défunt colonel algérien Senoussi et au label Pathé Marconi. Le militaire à la retraite casse sa tirelire pour la production de l’album « Kutché » enregistré en 1987 à Londres et paru l’année suivante. Aux côtés de Khaled, le jazzman et arrangeur algérien Safi Boutella. L’opus est un succès d’estime, de qualité élevée mais ce n’est pas avec cet enregistrement que le chanteur gagne des mille et des cents.

Ce n’est qu’en signant plus tard chez Universal que les portes du succès commercial s’ouvrent. Il sort alors un album (1992) portant simplement son nom. Il est véhiculé par le solaire « Didi » et produit par l’Américain Don Was (Rolling Stones, Bob Dylan, Iggy Pop, Jackson Browne…) Les albums à succès se succèdent : « N’ssi N’ssi », « Sahra », « Kenza », « Ya-Rayi », « Liberté ». Jusque là, le bilan est honorable.

Entre raï authentique et raï modernisé, entre chansons originales et titres empruntés, entre producteurs de talent et arrangeurs intransigeants, entre compositeurs conservateurs (Mustapha Kadda) et faiseurs de tubes (Jean-Jacques Goldman), entre passé et présent. Et vient la rencontre avec le compositeur-producteur marocain RedOne, ce géniteur de hits pour des mastodontes tels Lady Gaga, Mary J. Blige, Usher, Shakira, Jennifer Lopez… Une collaboration endiablée nommée « C’est la vie » s’ensuit. Les fans de la première heure se bouchent les oreilles, excepté pour une belle réalisation qui n’inclut pas la patte de RedOne : « El Harraga ». Aujourd’hui, avec l’album « Cheb Khaled », le chanteur se perd dans les pas.




Anis HAJJAM