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Culture

MAGAZINE : Hossein Tallal, l’artiste aux cieux doux


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 3 Mars 2024

Il y a deux années, le créateur qui aura vécu intensément, fréquenté de belles âmes, connu le succès tôt dans son parcours, nous quittait. Il avait 80 ans, de grosses décennies desquels jaillissaient maestria, bonhommie, sympathie et générosité. Il est parti en silence en février 2022. Nous lui consacrions ce texte qu’on espère à sa hauteur.



Pour Tallal, « Picasso est LE peintre du XXe siècle. »
Pour Tallal, « Picasso est LE peintre du XXe siècle. »
Raffiné, élégant, cet artiste qui respire l’art de tout son être marie son passage sur terre avec la finesse de ses aspirations, avec le ton des voix qui habitent son ouïe, avec la fulgurance des couleurs qui éblouissent son regard. Il est fort et ferme, fragile et gracile à la fois. Le «fils de Chaïbia» -identification qui lui colle à l’épiderme- fusionne avec sa maman, se détache de la reine du brut et plonge dans une contemporanéité fascinante, chez lui cousine éloignée de la figuration. Fils unique, il l’est également par son œuvre. Le flamboyant jeune homme qu’il devient lors de son séjour parisien dans les années soixante traîne derrière lui une enfance et une adolescence douloureuses. Ce qui justifie par endroits un train de vie ultérieur gravé dans la démesure plantureuse. Son ami et défunt critique d’art Jamal Boushaba écrit en 2000 dans la chic et éphémère revue Au Maroc : «Dans les années 70, Tallal réside à Casablanca dans une espèce de loft, un grand rez-de-chaussée, mi atelier mi entrepôt ou l'artiste qui s'est découvert une autre vocation -collectionneur- entasse frénétiquement toutes sortes d'objets anciens. Cela va du gracieux secrétaire de style Ruhlman aux encyclopédies du XIXème siècle en passant par toutes sortes de bustes en bronze et autres luminaires 50. Des rideaux rouges et une multitude de miroirs dorés participent à conférer au lieu son caractère baroque, théâtral. Tallal y reçoit beaucoup et bien. Le champagne coule et l'assistance est cosmopolite. Les mercredis, on déclame des poèmes, les samedis, on joue du piano. Tallal est une figure de la ville. Il porte toujours un smoking dont le revers s'orne d'un œillet rouge et une chemise à col cassé sans cravate. Il sort également beaucoup : ‘j'ai toujours aimé la nuit et les personnages de la nuit’». En sortant la nuit, il garnit son smoking de grosses baskets.

 
Cherkaoui, Gainsbourg, Rembrandt, Picasso  

Le petit Hossein grandit sans eau courante ni électricité. Il finit par faire jaillir par averses des flots de lumières sur des œuvres convoquant pourtant une nette tristesse. Technicien en ferronnerie, il pratique la peinture en autodidacte. Vers la fin des années cinquante, Tallal fait la connaissance du peintre Ahmed Cherkaoui. Les deux hommes se lient d’amitié. Cherkaoui propose en 1965 à Hossein de participer au Salon d’hivers de Marrakech où il obtient le Grand prix, volant la vedette à plus de 160 participants majoritairement européens. Le voilà à Paris, la ville qui le forge en lui ouvrant les portes d’autres destinations. Sa première exposition dans la capitale française a lieu en 1967 à la galerie La Roue. La critique est dithyrambique. Tallal est sur un nuage, celui qui absorbe la même année son ami et mentor Cherkaoui grâce à qui il commence à fréquenter nombre de critiques et d’historiens d’art dont Pierre Gaudibert, penseur attitré de la mouvance L’Ecole de Paris et découvreur du talent de Chaïbia. A cette époque, Tallal devient ami avec Serge Gainsbourg (peintre du dimanche) et croise à la Cité des arts la fille de Modigliani : «Elle était aussi filiforme qu’un tableau de son père», s’amuse l’artiste. Hossein reste immobile un jour devant «La ronde de nuit» de Rembrandt à Amsterdam. Subjugué par l’œuvre et ses personnages, il ne voit pas le temps passer, à tel point que dans la rue on s’occupe de soulager sa voiture de quelques objets. Mais son maître demeure Picasso : «C’est LE peintre du XXe siècle. Il ne se posait pas de questions inutiles, il ne s’encombrait pas de paroles superflues. Il disait qu’il voulait peindre comme un enfant et il y parvenait», raconte le patron de la galerie casablancaise Alif Ba (créé en 1982), il y a quelques années, sur les colonnes du défunt hebdomadaire marocain Actuel.

 
Fraîcheur et portraits de femmes
 
Pendant son parcours, Hossein Tallal est d’abord interpelé par le mal-être du clown qu’il figure sous différentes coutures, qu’il essaie de consoler avec dévotion, le « démaquillant », lui faisant ressortir les maux les plus enfouis, lui déstructurant le corps. Il met en scène ensuite des visages dont il gratouille les traits après de légers effacements. En noir et blanc ou en couleurs, Tallal s’attaque plus tard à des têtes qu’il mortifie, ceux d’enfants notamment. Il enchaîne avec des silhouettes animales greffées sur des corps humains, féminins de préférence. Et enfin la fraîcheur, celles de portraits de femmes auxquelles il ajuste des coiffes et dont il caresse le visage jusqu’à lui navrer les lèvres, lui désoler le nez, lui tourmenter les yeux. La fraîcheur est également celle des couleurs prononcées et tellement joyeuses qui viennent souligner un bonheur broyé. En définitive, une production aussi fournie -malgré une semi-retraite dictée par le souci de s’occuper pleinement de la carrière de sa mère partie en 2004- que la riche vie de l’artiste.
 
 
Anis HAJJAM   
 







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