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Culture

MAGAZINE : Abdallah El Hariri, peintre à pinceaux tirés


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 5 Mai 2024

La galerie Comptoir des Mines de Marrakech accueille à partir du 11 mai une exposition où l’artiste rappelle son long parcours. Pas une rétrospective, plutôt l’histoire ininterrompue d’une vie artistique teintée de changements dans la continuité. Sans forcément caresser dans le sens du poil. A 75 belles années, il continue à rêver en nous transmettant ses songes.



Son retour est imminent, même s’il exècre le terme « retour ». Et il a raison. Puisqu’en terme de production, il ne lâche pas prise, travaille tous les jours, rumine tous les soirs. Des images le submergent en amont du songe, le maintiennent en éveil jusqu’à ce que création s’ensuive. Lui, c’est ce doux battant traversant les décennies en leur claquant la bise, en les qualifiant de périodes. Abdallah El Hariri tombe très jeune dans la rêvasserie d’un lendemain boursouflé d’art. Il y baigne depuis et continue à le faire comme si cela le renvoyait à son premier contact avec un médium fort et doux à la fois. Un brin espiègle, l’artiste se raconte, furieux d’être lui-même, heureux de ne jamais se trahir. Une complexité qui l’habite, qui fait de lui un fin cogneur à l’esprit passeur, aux veines vaines à l’endroit d’imposteurs vifs dans les salons et mous dans les ateliers. Une rencontre à bâtons ininterrompus montre que l’humain et l’homme n’en font qu’un, celle de l’incroyable décortication du beau. El Hariri est cette bête à ne jamais essayer d’apprivoiser, sinon cela se saurait. Jovial jusqu’à ne plus le définir, il connaît tout, sait tout et évite d’en disserter. Soixante années d’exercice pour soixante-quinze ans d’existence, cela provoque une curiosité, disons, zoologique.
 
L’univers du noir
 
Abdallah El Hariri connaît moult vies artistiques. Pourtant, celle qui continue à le marquer est cette grosse ballade dans l’univers du NOIR. Cela commence au milieu des années 1960 à l’Ecole des Beaux-arts de Casablanca lorsque Mohamed Chebâa propose à Abdallah et à quelques autres étudiants de s’occuper de la force du noir. « J’ai retrouvé le noir en Italie où j’ai séjourné pendant quelque temps », raconte-t-il. Abdallah rejoint les Beaux-arts, sous la direction de Farid Belkahia, premier directeur de cette institution en manque de tout. Parmi les encadreurs qui le marquent, il cite Mohamed Melehi et Chebâa que le patron des lieux fait venir pour redorer l’image de la peinture marocaine, engloutie dans la vision française qui étiquette comme elle le souhaite la création « locale ». Seulement, c’est vers Melehi que Hariri penche, reconnaissant qu’il est celui qui a révolutionné le cours de l’art plastique marocain des années 1960-1970, l’introduisant à son tour dans la philosophie du noir. Et la suite n’est pas muette quand l’ondulation ne cesse de faire des vagues. Abdallah qui refuse que cette exposition soit retenue comme rétrospective, explique que les nombreuses œuvres qui y figurent relatent un parcours, des périodes de son cheminement avec pratiquement 50% de nouvelles productions. Mieux : il dit qu’il ne tombera jamais dans ce processus de fin de carrière ou de reconnaissance post-mortem.
 
L’art de l’effacement
 
Dans l’une des périodes marquantes de ce peintre prolifique, figure son amour pour la lettre arabe. Par grande méconnaissance, le voici classé calligraphe. « A mes débuts, je m’y suis amusé comme Cherkaoui et d’autres. Ce que je fais, c’est du lettrisme. Je prends une lettre et je la fais vivre à ma guise. Le ‘’HA’’ m’a toujours inspiré. Et puis, je prends un mot et je le vide de son sens. Il ne faut pas oublier que je suis également dans l’effacement. Je peints sachant que je suis prêt à me séparer de ce qui est la base d’une création. Et cela donne un autre cours à ce que je fais. » Abdallah El Hariri investit ce bel espace du Comptoir des Mines pour une durée respectable. Le lieu le lui rend bien, sachant que son maître, Hicham Daoudi, est connaissant et reconnaissant. Le peintre qui se lie d’art-amour, pendant huit ans, avec une fille jetée tôt dans la dramaturgie n’est pas avare de bons mots à son endroit : « Touria Jabrane était une grande artiste. Elle avait un grand cœur. Elle a laissé des traces immuables dans l’univers du théâtre, tel le maître Tayeb Saddiki. » Et puis, nous voilà nous éloigner de notre thème principal. Abdallah El Hariri ne joue pas sur les tendances, il évolue en regardant les tendances. Dans son atelier casablancais, il reçoit des assistants prêts à devenir artistes prenant graine d’une expérience de soixante fortes années. S’il ne se mêle de rien, il voit tout. Il reste le peintre de ce qui bouillonne dans l’esprit, de ce qui fait frémir les neurones. Pourtant, dans le calme apparent de ses œuvres, tout un brouhaha s’y installe pour ne plus nous quitter. C’est ainsi que l’arme devient âme.
 
Anis HAJJAM
 



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