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Culture

L’envers de l’été de Hajar Azell : Le territoire méconnu de celui qui ne parle pas


Rédigé par Khalid EL KHAMLICHI le Mercredi 22 Septembre 2021

Le premier roman de Hajar Azell est un voyage aux confins d’une terre familière et d’une mémoire familiale sous l’ardent soleil méditerranéen.



L’envers de l’été de Hajar Azell : Le territoire méconnu de celui qui ne parle pas
Et si l’on prenait l’été « à l’envers » ? Tel est le tour de force réussi par la jeune écrivaine marocaine Hajar Azell, dont le premier roman « l’envers de l’été » (Gallimard) a eu un succès d’estime en France. Dans ce livre tout à la fois solaire et sombre, se trame une intrigante « affaire » familiale dont les dessous sont révélés à travers des voix féminines prêtes à la révolte comme à la soumission.

May, personnage principal du livre, découvre petit à petit les drames familiaux sordides cachés derrière l’aveuglant soleil d’été parce qu’il empêche de voir toutes les tensions, les ressentiments et le mal dissimulés. Nommé subtilement Tephles (enfant en arabe), ce village où la jeune fille passe ses étés depuis des années dans la maison familiale, regorge d’ombres d’enfants disparus, adoptifs, offerts à la mer qui planent sur le roman lui conférant parfois une atmosphère macabre.

Le roman s’ouvre sur une scène de deuil suite à la mort de Gaîa, la matriarche au talent de conteuse dont la disparition est vécue comme un drame. A cette funèbre scène succèdent d’autres plus sensuelles et voluptueuses évoquant les amours d’été d’adolescentes en quête du plaisir et d’expérimentation.

C’est qu’à Tephles, on cultive les contacts charnels mais aussi la proximité avec les éléments de la nature : terre, sable, mer, soleil et figues.

Tout le roman est ainsi peint en clair-obscur notamment au moment où May décide de revenir à Tephles afin de passer quelques mois dans la maison familiale avant sa vente après la mort de sa grand-mère. Involontairement, elle va déterrer des secrets enfouis et des drames qu’elle ne soupçonnait guère. S’ensuit une longue série de révélations, de chocs, de confessions, de larmes de crises et de malheurs, et ce, malgré ce soleil qui était « d’une puissance insolente, de celles qui font culpabiliser d’être malheureux ».

Une écriture sans fioriture

Ecrit dans un style sobre et ascétique, le livre n’en garde pas moins cette part lumineuse et solaire exprimée parfois dans des passages lyriques chantant l’harmonie entre l’homme et sa terre. Certains fragments font penser d’ailleurs à « l’été » d’Albert Camus dont l’écrivaine ne cache pas l’admiration qu’elle lui voue.

A ceci près que la beauté de ce village situé « quelque part au bord de la Méditerranée », de ses paysages, de sa mer, de l’été, n’entrave pas la perception de l’envers du décor et la part de noirceur derrière cette gaieté estivale.

On aurait tort de réduire le roman de Hajar Azell à un chant nostalgique, une sorte de remémoration des souvenirs d’enfance passée en famille pendant les vacances d’été. Heureusement, l’ouvrage recèle une complexité beaucoup plus grande affichée dans les rapports familiaux, la question de l’héritage, les enfants abandonnés, les préjugés partagés entre les habitants de Tephles et les visiteurs d’été, les pressions qui pèsent sur les femmes, les interdits sociaux, les amours trahies… C’est aussi une exploration d’un territoire si proche et si lointain et une généalogie d’une mémoire familiale longtemps réduite au silence.

Ce texte voudrait peut-être donc donner la voix à ceux qu’on n’entend pas, qui sont privés de mots d’où le nom du village Tephles, enfant dont l’étymologie latine indique à juste titre qu’il s’agit de « celui qui ne parle pas »…

Khalid EL KHAMLICHI
Chercheur en littérature marocaine