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Interview avec le Général Dominique Trinquand «Le Sud global s’est constitué par opposition aux erreurs passées de l’Occident»


Rédigé par Anass MACHLOUKH Samedi 9 Décembre 2023

Auteur de “Ce qui nous attend : l’effet papillon des conflits mondiaux”, le Général Dominique Trinquand augure une multiplication des déflagrations dans un nouvel échiquier mondial chamboulé. Dans cet entretien, l’ex-Chef de la mission militaire de la délégation française à l’ONU nous dévoile ses convictions. Entretien.



-Dans votre livre, vous parlez d’une multiplication des conflits internationaux, au moment où la domination de l’Occident est contestée avec l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale. Faut-il s’attendre au pire ?
 
Il est clair qu’il y a beaucoup d’antagonismes au moment où plusieurs puissances émergentes contestent l’Ordre international hérité de 1945, sans proposer d’alternatives. Dans mon livre, je donne des clés de compréhension des chamboulements actuels. Ils sont nombreux. D’abord, l’Occident, dont la domination est contestée, s’est finalement départi de l’illusion de l’extension de la démocratie par la force des armes, comme ce fut le cas en Irak et en Afghanistan. Raison pour laquelle le modèle occidental est aujourd’hui remis en question. D’où la nécessité de travailler sur nos démocraties pour qu’elles deviennent à nouveau attrayantes.
L’Occident, dont la domination est contestée, s’est finalement départi de l’illusion de l’extension de la démocratie par la force des armes, comme ce fut le cas en Irak et en Afghanistan. 
 
-Pensez-vous que les pays occidentaux doivent cesser de vouloir imposer leurs modèles au reste du monde ?  

J’estime qu’il ne faut plus s’obstiner à imposer des modèles et il faut se garder de donner des leçons. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’incertitudes. On parle de plus en plus souvent du “Sud global”, dont on n’a pas encore défini la quintessence puisqu’il ne s’agit pas d’un bloc tout à fait homogène et qui parle d’une seule voix. Je me demande personnellement si les BRICS forment une force homogène vu leurs intérêts divergents sur plusieurs affaires.
 
-Dans ce cas, on comprend que le Sud global est constitué par opposition à l’Occident. Est-ce votre conclusion ?
 
Oui, j’en suis convaincu. Le Sud global s’est finalement résolu à contester l’Occident à cause des événements qui ont suivi le 11 septembre. J’étais aux Nations Unies à l’époque de la guerre en Irak, j’ai vu à quel point la communauté internationale était contre l’invasion américaine. Pourtant, l’Administration Bush l’a faite. Ce que le monde n’a jamais oublié. D’ailleurs, le président russe, Vladimir Poutine, le rappelle à chaque fois depuis 2007. Donc, dans l’esprit de plusieurs pays, les Américains ont multiplié les erreurs depuis 2001. Par conséquent, de moins en moins de pays veulent les suivre. Je trouve qu’il y a des ressentiments à l’égard de l’Occident qui remontent à l’Histoire. J’en parle dans mon livre où je cite la colonisation qui a laissé des traces indélébiles. Soixante ans après la décolonisation en Afrique, par exemple, je me demande si certains pays ont pu accéder à leur souveraineté totale. C’est une question à laquelle il faut répondre. A cela s’ajoute une méfiance plus large due aux fautes commises par les Européens et les Américains pendant ces vingt dernières années. Les Occidentaux doivent écouter ce ressentiment et se débarrasser des vieux réflexes tels que l’interventionnisme et la volonté d’exporter la démocratie partout. 
Le Sud global s’est finalement résolu à contester l’Occident à cause des événements qui ont suivi le 11 septembre.
 
-On a l’impression que la guerre en Ukraine, qui a un peu dévoilé le “deux poids deux mesures” de l’Occident, a été une sorte de déclencheur de ce ressentiment anti-occidental. Est-ce que vous en convenez ? 

J’en ai l’intime conviction parce que l’Europe s’est tellement accommodée de ce qu’on appelle “les dividendes de la paix” qu’elle a oublié la guerre qu’elle croyait révolue. Raison pour laquelle sa réaction européenne était perçue comme telle. 
 
-On parle depuis longtemps de la nécessité de réformer le Conseil de Sécurité. Est-il temps de le faire maintenant que le monde a changé par rapport à 1945 ?  
 
Il est évident qu’il faut le faire puisque l’Assemblée Générale n’a pas autant d’influence sur les cours des événements internationaux. Le Conseil de Sécurité ne peut être refait qu’avec la contribution des Etats-membres permanents. Je reprends l’expression d’un think-tank chinois qui dit qu’il faut que “les grands s’entendent”. 
 
-Concernant le conflit en Ukraine, la contre-offensive semble à l’arrêt. Kiev est-il dans l’impasse ?  
 
Il est clair que la contre-offensive n’a débouché sur rien, selon les aveux du Chef d’État -major de l’Armée, Valéri Zaloujny. Aujourd’hui, l’Ukraine est dans une situation difficile puisqu’elle est appelée à trouver une solution opérationnelle ou à se mettre en position de négocier. Je rappelle que les Ukrainiens n’ont pas autant de ressources que les Russes pour supporter une guerre de longue durée d’autant plus que les pertes humaines et matérielles sont nombreuses. A mon avis, l’Ukraine doit se poser la question de la pertinence de la poursuite de la guerre pour quelques centaines de milliers de kilomètres carrés au prix d’énormes pertes de soldats. C’est un débat d’autant plus nécessaire que l’Europe ouvre ses portes à l’Ukraine qui doit réfléchir à son avenir. 
 
-L’armée ukrainienne dit avoir besoin d’une rupture technologique pour changer le rapport de forces sur le terrain. Quelle forme peut prendre cette rupture ? 
 
En plus des drones, dont le monde réalise l’importance cruciale dans les conflits modernes, on peut songer à l’Intelligence Artificielle, les systèmes de brouillage et les systèmes tactiques, comme ce qui se passe actuellement au Dniepr où il y a une tête de pont sur la rive gauche, c’est l’endroit où la défense russe est la plus faible. N’oublions pas aussi le volet maritime. La Marine russe, je le rappelle, a dû quitter Sébastopol, à cause des attaques ukrainiennes, ce qui est incroyable. Actuellement, il n’y a pas de solutions magiques. A mon avis, il est temps que l’Ukraine se pose des questions existentielles sur son avenir pour trancher entre la poursuite de la guerre et la négociation. 
 
-L’armée russe a-t-elle appris de ses erreurs ou pensez-vous qu’elle ne tient que par l’énormité de ses ressources et de son armement ?
 
Il va sans dire que la Russie a appris de ses erreurs, sachant qu’elle s’est installée en position défensive, ce qu’elle sait faire mieux. J’ajoute que les Russes tiennent grâce à l’économie de guerre dans laquelle ils ont basculé rapidement. Toutefois, la Russie a échoué par rapport à ses objectifs initiaux qui consistaient à prendre Kiev et y installer un gouvernement vassal à l’image de la Biélorussie. 
 
-Aujourd’hui, les pays européens sont en train de se réarmer massivement. Croyez-vous qu’on se dirige vers une course généralisée ?
 
L’OTAN qu’on croyait morte est ressuscitée grâce à la Russie. A mon humble avis, le renforcement de l’OTAN implique indirectement un renforcement des capacités défensives de l’Europe parce que même en cas d’un engagement moins conséquent des Américains si Donald Trump est élu, les Européens garderont un outil qui donne capacité de travailler ensemble. Actuellement, nous avons en face de nous le défi de reconstituer un outil industriel européen. Là, il faut un véritable travail. 

Portrait - Dominique Trinquand : la géopolitique vue d’un général

Diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, de l’Ecole Supérieure de guerre du Staff college de Camberley et du Royal College of Defense Studies de Londres, le Général Dominique Trinquand a occupé, tout au long de sa carrière, des postes au sein de régiments, d’Etats-majors et d’organisations internationales. Il participe ainsi à plusieurs opérations, au Liban, en ex-Yougoslavie et en Afrique. Il a une longue expérience des relations internationales en milieu multinational à l’ONU, l’UE et l’OTAN.

En 2010, il rejoint en tant que Directeur des relations extérieures un groupe industriel français renommé spécialisé dans la conception d’uniformes, de cérémonie ou d’intervention, de vêtements d’image, d’accessoires et d’équipements de protection individuelle (EPI) qui habille et équipe aussi bien les entreprises privées que les institutions publiques, en France et à l’international, quel que soit le secteur d’activité : Armée, Défense, Sécurité Nationale et Territoriale, Grandes Ecoles, Accueil, Beauté, Luxe, Transport, Restauration et Distribution.








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