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Interview avec Soufiane El Khalidy, acteur, scénariste, réalisateur et auteur : « Il faut que le CCM révolutionne sa grille pour privilégier l’essor de nouveaux genres »


Rédigé par Safaa KSAANI Jeudi 26 Janvier 2023

A seulement 34 ans, l’acteur marocain Soufiane El Khalidy explose à Hollywood. Fort de son expérience dans le secteur cinématographique, il nous livre sa vision pour rattraper les faiblesses des productions nationales.



- Vous êtes acteur, scénariste, réalisateur et auteur. Vous avez tourné dans des dizaines de projets hollywoodiens et internationaux. Vous avez des références, des artistes qui vous ont influencé au point de décider de votre destinée ?
 
- Le premier acteur qui m’avait scotché petit à l’écran était Steve McQueen dans Bullitt. Steve McQueen avait cette faculté à résumer des lignes de dialogues avec un regard. Puis j’avais commencé à émuler son héritier, le mythique Tom Cruise, ou encore les grands comme Paul Newman et Clint Eastwood, Sydney Poitier, Peter O’Toole, James Coburn et Robert Redford que mon père adulait.
 
Grâce à ma mère qui m’achetait des collections d’encyclopédie à chaque début de vacances, je me suis intéressé très tôt aux arts plastiques. Je pouvais rester des heures à feuilleter les tableaux de Delacroix, Julian Schnabel ou encore des sculptures de l’époque gréco-romaine et de la Renaissance italienne. 
 
Je lisais aussi beaucoup de comic books, je visionnais tous les VHS du magasin du quartier, j’avais vu tous les Stanley Kubrick, les Ridley Scott, Kurosawa, les films d’action avec mes cousins. Au collège, j’ai découvert le rock avec Lenny Kravitz, Prince, Jimi Hendrix, les Rolling Stones, Led Zeppelin, Metallica, NineInch Nails, Nirvana, Guns N Roses, Velvet Revolver, Soundgarden et Stone Temple Pilots.
 
- Qu’est-ce qui est le plus inspirant pour vous : être devant ou derrière la caméra ?
 
- Je suis plus à l’aise devant la caméra, car mon travail dans ce cas précis ne se résume qu’à aider le réalisateur à réussir sa vision. Même si, bien sûr, je me prépare en avance pendant des semaines, je m’isole, je me coupe de mes amis et du reste du monde, je relis les textes avec ma femme, Nadia Benzakour, des centaines de fois. Je m’entraîne aussi, entre 12h-15h par semaine, à la salle de sport si mon personnage a besoin d’avoir des aptitudes physiques particulières. 
Pour ma part, je pense qu’écrire ou réaliser sont à la fois un plaisir et une torture car c’est plus personnel, j’ai toujours cette peur que mes proches et le public interprètent mal mon message.
Depuis tout petit, j’ai été sous les feux des projecteurs, comme quand je faisais du théâtre amateur à l’école primaire Al Hanane ou quand j’étais le bon élève au lycée Français d’Agadir. J’étais vu comme l’alien ou l’enfant prodige, j’avais souffert de cet isolement, qu’on me met dans une case, j’étais populaire pour les bonnes ou mauvaises raisons, tout dépend où vous vous situez dans le prisme. Je me sentais souvent seul ou incompris. Le jeu d’acteur m’avait aidé à sublimer une partie de moi-même ou carrément de me déconnecter de la réalité que je n’aimais pas.
 
 
- Quelles leçons retenez-vous de votre expérience dans le cinéma hollywoodien ? 
 
- Hollywood est un business, il faut savoir se démarquer de la concurrence tout en restant authentique, moderne et frais. C’est ce que j’avais fait et c’est ce qui m’a permis de faire d’abord des études à Full Sail University puis de travailler avec certains maîtres du 7ème art alors que personne à Al Akhawayn n’avait misé sur moi à part mon professeur Nicolas Hamelin.
 
- Les réalisateurs marocains sont-ils compatibles avec Hollywood ?
 
- Ce n’est pas une question de nationalité, c’est une question de mentalité. De ce que j’ai vu jusqu’à présent, personne n’est compatible avec Hollywood car sur tous les films, les investissements sur le marketing d’un film sont inférieurs à 20 % du budget total, ce qui est anormal. On a aussi cette paresse à ne pas chercher en amont des distributeurs qui veulent autre chose qu’un film social.
 
D’un autre côté, beaucoup de réalisateurs et de producteurs marocains font cette grave erreur de prendre des faux acteurs ou des influenceurs qui ne sont ni présentables à la télé étrangère, ni intellectuellement forts pour exposer un film à une conférence ou à un marché du film sérieux comme Cannes ou même d’aller à TIFF, Sundance pour vendre aux distributeurs au prix fort. Certains de ces réalisateurs et producteurs veulent garder la couverture sur eux par ego et soif d’attention, ils sont souvent en concurrence avec leurs stars. Ils desservent le film avec cette prise de position, alors qu’un acteur, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, est à la fois le vaisseau de la vision d’un réalisateur, mais aussi l’étincelle qui va attirer le public qu’il soit marocain ou international. Est-ce que vous avez vu Brad Pitt ou Tom Cruise faire des Tik Tok ?
 
Si j’ai des films à petit budget qui ont marché à l’international et que je recommande aux professionnels au Maroc, ca serait Capharnaum, le film de SF Monsters et la franchise d’action, Tropa de Elite. On est capable de grandes idées mais il faut sortir du conservatisme de la pensée et du film uniquement à but social. Apprenons d’abord à faire de bons burgers, de délicieux steak frites, des films qui divertissent les spectateurs de toutes les nationalités avant d’essayer de jouer aux grands chefs gastronomiques. On doit avoir peur de faire de mauvais films au départ si on s’aventure dans de nouveaux sentiers, mais il faut oser pour qu’on s’améliore et qu’on progresse.
 
- Le racisme dans l'industrie du cinéma américain est-il une réalité ?
 
- Le racisme existe fortement mais le problème est bien plus complexe que ça. Que ce soit moi ou la nouvelle génération de jeunes marocains qui a fait des études de cinéma aux US, en UE ou en Angleterre et en Corée, on souffre des erreurs de nos prédécesseurs. Les Européens et les Américains ont souvent dans leur inconscient des clichés liés au cinéma d’action, des séries B, ou encore carrément de mauvaises expériences avec certains Marocains liées à la malice et des accidents. Donc, c’est normal quand un jeune comme moi arrive sur un plateau, ça leur prend du temps à intégrer le fait que je sois aussi cultivé, sérieux, sophistiqué dans le travail et passionné qu’eux par le cinéma et l’art. De plus, il n’ya pas assez d’investisseurs et de scénaristes d’origine arabe ou africaine qui ont une place forte à Hollywood. Par exemple, sur 20 ans de télé américaine, il n’y a eu qu’un grand scénariste égyptien, Sam Ismaïl, qui avait créé l’excellent Mr. Robot. Il y a donc un problème d’exposition. Mais j’ai espoir que l’argent investi dans le cinéma venant des pays du Golfe puisse résoudre en partie ce problème et offrir de nouvelles opportunités aux jeunes artistes.
 
 
- Les films d’action/thrillers manquent dans l’industrie marocaine. Comment expliquez-vous cela ?
 
- C’est normal car le Centre Cinématographique Marocain n’aide qu’au financement de documentaires ou de films à but social, sans oublier que certains producteurs marocains cherchent la facilité. Ils préfèrent filmer dans une chambre avec deux acteurs mal maquillés en larmes, que dans une banque avec des Kalachnikov et des 4x4.  C’est dommage car on a au Maroc certains des meilleurs cascadeurs au monde et des histoires marocaines qui sont dignes de la série The Wire et du film Traffic de Soderbegh. Si on veut plus de diversité, il faut que le CCM révolutionne ses conditions de financement et sa grille afin de privilégier l’essor de nouveaux genres. Pourquoi pas dire aux cinéastes : on financera, en cette année 2023, les trois meilleurs scénarios de film d’action ou d’horreur.
 
- Continuez-vous beaucoup à aller au cinéma ou privilégiez-vous la vidéo et les plateformes? Y a-t-il des salles de cinéma que vous fréquentez particulièrement ?
 
- A Los Angeles, je pars souvent à Arc Light Cinemas à côté de Los Angeles Film School. En France, j’allais souvent aux UGC. A Casablanca, je pars souvent au Ciné Lutétia quand il y a un film indépendant, et pour le reste Megarama.
 
Je vois Netflix ou Amazon comme une chaîne de télé des années 90 avec des séries, parfois des matchs, des documentaires, des films et des téléfilms. Je m’explique : il y a des films qu’on ne peut apprécier totalement qu’au cinéma comme Top Gun ou Avatar, et d’autres qui sont très bons même s’ils sont diffusés sur le petit écran, comme le dernier Bardo d’Alejandro Innaritu. Je pense que les deux écosystèmes peuvent coexister en toute harmonie.
 
- Par rapport au clivage Cinéma/Télévision, pensez-vous qu’il existe toujours une certaine condescendance envers les productions télévisuelles ?
 
- Aujourd’hui, des séries comme Lord of The Rings, The Mandalorian, The Last Of Us et House of The Dragon ont des budgets dignes des James Bond et Mission Impossible, donc la condescendance n’existe pas. La seule question qu’on peut se poser : pour combien de temps ça va durer ?
 
- Quel regard portez-vous sur la production télévisuelle marocaine actuelle ? Et sur la production cinématographique actuelle ? 
 
- Je ne regarde presque jamais les séries marocaines car j’ai du mal à m’y identifier alors que j’ai grandi à Agadir. Les rares fois que je les regarde, ça me rappelle la radio marocaine qui ne fait que repasser les mêmes disques de Gipsy Kings, George Michael, Cher et Britney Spears pendant 30 ans. C’est comme si le Monde s’est arrêté en 2000, c’est aussi une torture après la millième écoute ! J’aimerais qu’un jour on fasse une étude sérieuse auprès des jeunes marocains avec des questionnaires et qu’on leur demande ce qu’ils aiment vraiment. Je pense qu’ils regardent autant les programmes de Netflix que les jeunes américains. 
 
Pour le cinéma, j’attends de voir un génie éclore qui ne plagie pas les Costa Gavras  pour juste être payé et qui s’affirme avec son univers cinématique.
 
- Vos projets actuels ?
 
- Je viens de boucler le tournage d’un long métrage avec l’icône Lambert Wilson, qui s’appelle Klandestinet  une série américaine Beirut du réalisateur Greg Barker où j’y incarne un rôle plus qu’intéressant. J’ai aussi joué un des rôles principaux du clip Tatooine du rappeur français JXSH. Maintenant, je me prépare pour une série étrangère et je vais peut-être aussi signer pour un long métrage d’un grand producteur italien.
 
 
- Un message aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le cinéma ? 
 
- Je vous souhaite beaucoup de patience, de courage et, bien sûr, un gros volume de travail. Il en faut !

 
Recueillis par Safaa KSAANI 








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