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Interview avec Mohammed Moussaoui : «Le Maroc n’est pas autant concerné par l’interdiction des imams détachés que l’Algérie et la Turquie»


Rédigé par Safaa KSAANI Samedi 6 Janvier 2024

En réaction à l’annonce de l’interdiction des nouveaux imams détachés par le gouvernement français, le Président de l’Union des mosquées de France, co-président du CFCM, Mohammed Moussaoui, estime que cette décision ne concerne pas beaucoup le Maroc. Dans cette interview, il livre ses appréciations. Entretien.



Président de l’Union des mosquées de France.
Président de l’Union des mosquées de France.
  • La France n’acceptera plus de nouveaux imams envoyés par d’autres pays, à partir du 1er janvier 2024. Etes-vous surpris par cette décision ?

Cette décision ne concerne que 180 imams sur les 3000 qui exercent en France. Elle a été annoncée en 2020 par le président de la République, M. Emmanuel Macron, en citant l’Algérie et la Turquie et pas le Maroc. Comme il était prévu, le ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, l’a mise en œuvre. Les imams détachés, actuellement en France (120 d’Algérie, 60 de Turquie) peuvent continuer à exercer s’ils changent leur statut avant le 1er avril 2024 et deviennent salariés de leurs mosquées d’affectation. Quant aux 27 imams venus du Maroc, ils n’ont jamais été fonctionnaires du Royaume. Dès leur arrivée en France en 2009, ils ont été recrutés par des associations françaises. Raison pour laquelle le Maroc n’est pas concerné par cette décision au même titre que l’Algérie et la Turquie.
 
  • Qu’est-ce qui explique cette position de l’État français à votre avis ?

Le Président de la République avait fait de la fin des imams détachés une promesse de sa politique de lutte contre ce qu’il appelle le « séparatisme ». Le statut de « fonctionnaires d’Etat étrangers » de ces imams est vécu comme une forme d’ingérence des pays concernés. La nécessité de développer un islam au plus près des préoccupations des musulmans de France appelle, pour le moins symboliquement, à ne pas pérenniser la présence d’imams détachés. La lutte contre les ingérences étrangères est évidemment légitime. Mais n’ayant aucun élément pour apprécier la situation des pays concernés, je ne vois pas clairement ce lien à l’ingérence.

Par ailleurs, de nombreux imams non détachés sont étrangers et tous les autres cultes de France font venir des rabbins, prêtres ou pasteurs de l’étranger. Ainsi, sur les 7000 prêtres catholiques de moins de 75 ans actifs en France, 2000 viennent de l’étranger et essentiellement de l’Afrique.
 
  • Combien d’imams marocains sont envoyés ou formés par le Maroc en France ?

En dehors des imams de Ramadan (près de 220 chaque année) et des 27 imams envoyés en 2009, tous non concernés par la dernière décision, le Maroc n’envoie pas d’imams détachés. Dès 2014, en accord avec l’Union des Mosquées de France (UMF), le Maroc avait accepté de faire profiter la France, comme d’autres pays, de son expertise mondialement reconnue pour former des jeunes français à l’imamat plutôt que de continuer à envoyer des imams marocains. En effet, le 31 juillet 2014, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’Assiste, a donné Son accord pour prendre en charge la formation de jeunes imams français à l’institut Mohammed VI de Rabat.

Dans la déclaration franco-marocaine, signée à Tanger le 19 septembre 2015 en présence de Sa Majesté et de M. François Hollande, alors président de la République, les autorités françaises ont accueilli favorablement cette décision royale. C’est ainsi que près de 80 imams français et 15 morchidates ont été formés à Rabat entre 2015 et 2021.

Pour l’UMF, il ne s’agit pas seulement d’une recherche d’autonomie nécessaire pour préserver l’identité spirituelle des musulmans de France, mais aussi par conviction qu’un imam français, connaissant le contexte du pays, est à même de mieux accompagner les fidèles français dans leur cheminement spirituel.
 
  • Craignez-vous l’émergence de nouveaux acteurs du culte musulman ?

Ces nouveaux acteurs sont déjà une réalité. Les « imams Youtubeurs », parfois sans réelle formation, ont un impact sur les jeunes en quête de connaissance religieuse. Le monde numérique et les réseaux sociaux offrent une facilité d’accès à ces imams avec le risque d’être exposés à des discours d’endoctrinement et de radicalisation. Toutes les études montrent que la radicalisation extrémiste s’opère essentiellement sur internet et les réseaux sociaux. Ce contexte doit nous amener à mieux former nos imams et à leur donner les moyens d’investir aussi d’autres espaces que la mosquée.
 
  • Comment pensez-vous que les relations entre l’État français et les musulmans de France vont évoluer ?

Les musulmans de France sont soumis aux mêmes principes qui gouvernent les relations entre l’État et les individus. La liberté religieuse est une liberté fondamentale garantie par la Constitution. Le principe de laïcité donne à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire et de pratiquer le culte de son choix. Il garantit également l’égalité entre tous les citoyens indépendamment de leurs convictions religieuses ou philosophiques. Comme tous leurs concitoyens, les musulmans continueront d’assumer leurs devoirs, dont le respect de la loi, et réclameront aussi leurs droits.
 
  • Trouvez-vous que c’est une méthode efficace pour “lutter contre le séparatisme”, comme l’avait annoncé Emmanuel Macron en 2020 lors d’un discours aux Mureaux (Yvelines) ?

Dans son discours aux Mureaux, le président de la République avait présenté le séparatisme comme un « projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République et qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société (…) et l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République ».

La plupart des imams, qu’ils soient français ou étrangers, se conforment à la loi de la république. Les imams formés au Maroc sont intrinsèquement apolitiques. Le seul message qu’ils ont diffusé en France a toujours été celui de respecter pleinement les lois du pays et s’adapter à son contexte. Aucun imam venu du Maroc, et je pourrais dire autant pour les autres pays, n’a fait l’objet d’un quelconque signalement ou infraction vis à vis de la loi.

Aussi, faire le lien entre séparatisme tel que défini par le président de la République dans son discours et les imams détachés ne me semble pas justifié.
 
  • Par ailleurs, en février 2023, Emmanuel Macron a annoncé vouloir mettre fin au rôle du CFCM dans le dialogue du culte musulman avec l’État, en choisissant un nouveau format incarné par le FORIF. Comment les choses avancent depuis ?

Le dialogue avec l’État Français est une des missions du CFCM parmi d’autres. Il continuera donc à défendre les intérêts du culte musulman, contribuer à son rayonnement en France, le représenter dans les instances et manifestations publiques et permettre aux musulmans d’avoir l’accompagnement spirituel qu’ils souhaitent. Sa réforme, validée à l’unanimité en mars 2023, a introduit des changements majeurs et ouvert une nouvelle page de son Histoire. L’islam s’organisera à partir des départements en s’appuyant sur les acteurs du terrain qui ont montré leur capacité à travailler ensemble. Ils sauront dépasser les divisions provoquées par son ancien système de gouvernance.

Le FORIF est un espace de réflexion sur des dossiers de l’islam de France, mais n’a pas vocation à représenter le culte musulman. Bien que ces membres soient animés par de bonnes intentions, force est de constater qu’il reste totalement absent du débat public sur les questions liées au culte musulman.

Islamophobie : La crainte d’un déchaînement sur fond de libération de la parole raciste

Actuellement, il va sans dire que la France connaît une véritable montée de l’islamophobie sur fond de libération du discours hostile aux musulmans qui est devenu de plus en plus décomplexé, surtout sur la scène médiatique. Un phénomène qui s’exacerbe au fur et à mesure que la scène politique française se droitise, comme on dit. A cet égard, Mohammed Moussaoui juge que la parole raciste s’est libérée d’une façon de plus en plus grave, donnant lieu à de véritables déchaînements tant médiatiques que politiques. « Les propos de certains politiques ou journalistes qui stigmatisent les musulmans ou entretiennent l’amalgame entre islam et extrémisme ne sont plus le fait d’une frange extrémiste », ajoute-t-il, rappelant que certains déclarent ouvertement que « l’Islam est incompatible avec les valeurs de la République, voire un danger pour la France »

Selon le renseignement intérieur de notre pays, poursuit notre interlocuteur, le risque d’attentat lié à l’extrême droite radicale en France est de plus en plus élevé. Entre 1500 et 2000 individus, qu’ils soient nationalistes, accélérationnistes (concept qui vise à provoquer une guerre civile) ou néonazis, sont considérés comme potentiellement violents. 

“Le silence d’une partie de la classe politique sur ce qui devrait être une véritable préoccupation collective et non seulement l’affaire des musulmans crée de la frustration et exacerbe le sentiment de « deux poids-deux mesures » chez les musulmans de France”, souligne M. Moussaoui qui fait part de sa crainte que les actes racistes ou antimusulmans se libèrent davantage et montent en intensité et en violence. “Nous gardons en mémoire que l’auteur de l’attentat de Christchurch, qui a fait 51 victimes parmi les fidèles de deux mosquées en nouvelle Zélande, a dit s’être inspiré de la théorie « du grand remplacement » promue par l’écrivain de l’extrême droite française, Renaud Camus”, conclut-il. 








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