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Interview avec Mohammed Benchaib : « L’agriculture de demain repose sur la connaissance, l’organisation et la numérisation »


Rédigé par L'Opinion Samedi 21 Juin 2025

L’Union Générale des Agriculteurs du Maroc tient, ce dimanche 22 juin, son sixième Congrès général, au cours duquel des questions cruciales sur l’avenir du secteur agricole au Maroc seront discutées. Interview avec son président, Mohammed Benchaib.



Mohammed Benchaib, Présient de l’Union Générale des Agriculteurs du Maroc ( Ph. Nidal)
Mohammed Benchaib, Présient de l’Union Générale des Agriculteurs du Maroc ( Ph. Nidal)
  • À la lumière des transformations majeures qu’a connues le secteur agricole au Maroc, ces dernières années, comment évaluez-vous leur impact sur la situation des agriculteurs ? Et dans quelle mesure l’agriculture durable et intelligente contribue-t-elle à la sécurité alimentaire et au développement rural, notamment avec l’orientation du Royaume vers une économie verte ?

L’Union Générale des Agriculteurs du Maroc se prépare à tenir son sixième congrès national, ce samedi 22 juin 2025, dans un contexte délicat, qui impose une profonde évolution de notre approche des questions agricoles et rurales. Ce rendez-vous important vise à mieux affronter les défis à venir, tout en renforçant le rôle de l’Union comme acteur dynamique et complémentaire dans la sphère politique nationale, à un moment où il devient impératif d’avoir une représentation forte et réaliste des agriculteurs et des travailleurs du secteur.

Cette étape s’inscrit également dans la vision du Parti de l’Istiqlal, dont l’Union constitue une émanation sociale et organisationnelle. Elle accompagne activement le parti, en incarnant une voix sincère et authentique des préoccupations des agriculteurs marocains. L’Union s’efforce, également, de formuler des propositions et des programmes concrets, à inscrire dans l’agenda gouvernemental du parti, notamment en lien avec les secteurs stratégiques liés aux politiques agricoles et au développement rural.

A cet effet, la politique agricole nationale a pris un nouvel élan grâce à la vision éclairée de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’Assiste, avec le lancement du Plan Maroc Vert, un projet ambitieux visant à moderniser l’agriculture et en faire un levier de croissance économique. Ce Plan a permis d’importants progrès, notamment en matière de sécurité alimentaire pour les légumes et les produits destinés à l’export. Toutefois, il n’a pas atteint tous ses objectifs, en raison de plusieurs facteurs, notamment la succession des années de sécheresse, la complexité des procédures administratives et les disparités entre différentes catégories d’agriculteurs aux niveaux de soutien et d’accompagnement accordés.

Le nouveau plan « Génération Green 2020-2030 » marque une transition vers une agriculture plus équitable et durable, centrée sur l’humain, et en particulier sur les jeunes. Il mise sur l’agriculture intelligente et durable comme levier pour assurer la sécurité alimentaire et créer des emplois. Mais cela suppose aussi une main-d’œuvre qualifiée, car l’agriculture moderne repose aujourd’hui sur la science, l’innovation et la formation continue, bien plus qu’elle ne repose sur les méthodes traditionnelles du passé.
 
  • Quel est le rôle des initiatives gouvernementales comme le plan « Génération Green » dans le soutien aux agriculteurs et le renforcement de leur productivité ?

On ne peut parler d’agriculture intelligente et durable sans un accompagnement réel de la part de l’État, tant sur le plan stratégique que sur le terrain, surtout dans un contexte de défis climatiques et structurels qui affectent directement la production agricole nationale.

Le Maroc dispose d’environ 8 millions d’hectares de terres agricoles, dont près de 70 % sont consacrés à la culture des céréales. Le reste est réparti entre légumes, arbres fruitiers et autres activités agricoles. Cette dépendance vis-à-vis des céréales rend le secteur vulnérable aux aléas climatiques, notamment aux sécheresses répétées, entraînant la dégradation du couvert végétal, une baisse de la productivité et l’extension des zones non irriguées au détriment des terres irriguées.

Dans ce contexte, la stratégie actuelle du gouvernement, qui prévoit la création de stations de dessalement d’eau de mer dans différentes régions, constitue une avancée notable, surtout pour l’eau potable. Mais il est aujourd’hui essentiel d’étendre cette approche au secteur agricole, pilier de notre souveraineté alimentaire.

Bien que le Maroc dispose de deux façades maritimes, l’océan Atlantique et la mer Méditerranée, l’exploitation de cette richesse marine à travers le dessalement de l’eau nécessite un soutien gouvernemental élargi. Il est donc impératif d’adopter un plan gouvernemental global et intégré pour le dessalement, qui ne se limite pas à la satisfaction des besoins domestiques, mais s’étende également au soutien des cultures essentielles comme les céréales et les légumineuses, ainsi qu’à l’élevage, en tant que secteurs stratégiques devant bénéficier d’une priorité absolue.

Nous avons besoin d’une vision claire, fondée sur les principes de durabilité et d’autosuffisance, ainsi que d’un soutien gouvernemental direct pour les projets de dessalement dédiés à l’agriculture. C’est à ce prix que nous pourrons protéger notre souveraineté alimentaire et faire face aux crises.
 
  • Existe-t-il des projets d’agriculture intelligente prêts à l’emploi qui ne nécessitent qu’un appui gouvernemental ?

L’agriculture intelligente est aujourd’hui l’un des principaux outils pour faire face aux défis climatiques, en particulier dans la culture céréalière, pilier de la sécurité alimentaire nationale. Plusieurs pays, confrontés à des conditions naturelles et climatiques difficiles, ont adopté avec succès des techniques telles que le semis direct, notamment en Asie, en Afrique et dans le Sud de l’Europe. Cette technique a prouvé son efficacité dans les zones arides et semiarides.

Bien que le Maroc ait commencé à s’orienter vers cette pratique, sa généralisation reste lente, malgré un soutien public atteignant 100.000 dirhams pour l’achat d’un semoir de semis direct. Le nombre d’agriculteurs engagés dans cette démarche reste cependant insuffisant au regard des enjeux. Il est donc urgent de mobiliser davantage les agriculteurs, car le semis direct n’est pas seulement une technique : c’est un choix stratégique face à la sécheresse.

Par ailleurs, il faut introduire des variétés de céréales résistantes à la sécheresse, et en même temps poussant rapidement, afin d’assurer une production décente, même en cas de faibles précipitations. Ainsi, si l’on parvient à produire 30 quintaux par hectare sur les 5 millions d’hectares cultivés en céréales, cela équivaudrait à 150 millions de quintaux, suffisants pour couvrir les besoins nationaux, voire dégager un excédent exportable.

Mais pour réussir ce pari, il faut des actions concrètes : semences sélectionnées, formation et encadrement, accès facilité aux financements et aux équipements agricoles modernes.

Il est aussi frappant de constater que les prix des céréales sur le marché national n’ont quasiment pas changé depuis plus de 40 ans. Le kilo reste à environ 2,5 dirhams, un prix inchangé depuis les années 1980, alors que les coûts de production ont explosé (semences, engrais, machines, maind’œuvre). Cela met les agriculteurs dans une situation financière précaire et compromet la rentabilité du secteur.

D’où la nécessité d’une réforme globale de la filière céréalière, pour rétablir l’équilibre entre coût de production et prix de vente, encourager l’investissement et garantir une juste rémunération du travail agricole.
 
  • La technologie s’installe de plus en plus dans le secteur agricole. Quel est le niveau d’adoption par les agriculteurs ? Y a-t-il des exemples réussis ?

Impossible de parler d’agriculture performante sans investissement dans le capital humain, ni accompagnement technique continu. Les technologies modernes sont complexes, et les sciences agricoles évoluent rapidement.

L’agriculteur marocain, surtout en milieu rural, travaille souvent avec des moyens simples, selon des méthodes héritées. D’où la nécessité de renforcer le rôle de l’Office National du Conseil Agricole (ONCA), en organisant des formations régulières, en vulgarisant l’information, et en assurant un accompagnement de proximité.

Les jeunes ruraux doivent être au cœur de cette transformation, car ils représentent le capital humain apte à porter l’agriculture de demain. Les coopératives peuvent aussi y jouer un rôle important en diffusant les connaissances et en facilitant la transmission des compétences.

Aujourd’hui, les outils rudimentaires ne suffisent plus. La digitalisation de l’agriculture est devenue incontournable : applications intelligentes pour suivre les saisons, systèmes d’irrigation automatisés, drones pour surveiller les cultures... autant de solutions pour optimiser les rendements, économiser l’eau, et accroître la valeur ajoutée.

Enfin, il ne faut pas oublier que la souveraineté alimentaire passe par la filière céréalière. Un stock stratégique de céréales est essentiel pour faire face aux chocs du marché mondial. Cela requiert une politique publique cohérente, intégrant soutien, conseil, technologie et conditions de production justes.

En résumé, le pari de demain ne repose pas seulement sur la terre et l’eau, mais aussi sur la connaissance, l’organisation et la numérisation : un véritable triangle de la réussite pour toute stratégie agricole nationale moderne.
 
  • Comment l’Union Générale des Agriculteurs perçoit-elle l’importance du soutien aux filières agricoles stratégiques telles que : les céréales, les légumineuses et la viande dans le renforcement de la souveraineté alimentaire et la garantie de la sécurité alimentaire au Maroc ?

Nous insistons sur la nécessité de soutenir les filières agricoles stratégiques, à commencer par les céréales, les légumineuses et la viande, car elles sont essentielles à la souveraineté alimentaire du Maroc et à la sécurité nutritionnelle de ses citoyens.

Les céréales occupent 70 % des surfaces agricoles et constituent la base alimentaire pour la majorité des ménages. Les légumineuses apportent des protéines végétales abordables, alternatives précieuses lors des hausses de prix de la viande. Quant à la filière viande (rouge et blanche), elle est cruciale pour l’alimentation et constitue une source de revenu pour des milliers d’éleveurs à travers le pays.

Compte tenu de l’importance de ces filières, nous appelons à la mise en place d’une politique de soutien globale et intégrée, incluant la réduction des coûts de production, la facilitation de l’accès aux semences et aux fourrages, ainsi que l’amélioration des conditions de stockage et de commercialisation, notamment à travers la création d’un stock national stratégique de céréales et de légumineuses. Le soutien à ces filières vitales ne doit pas être perçu comme une mesure conjoncturelle, mais comme un choix stratégique visant à protéger la sécurité alimentaire nationale, à ancrer les agriculteurs marocains sur leurs terres et à garantir la stabilité du marché intérieur face à des fluctuations internationales de plus en plus marquées. 







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