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Interview avec Mohamed Lahbib Elkherraz : « Aujourd’hui encore, «L’Opinion» incarne le journalisme militant marocain »


Rédigé par Safaa KSAANI Lundi 27 Janvier 2025

Dans cette interview, Mohamed Lahbib Elkherraz, figure emblématique du paysage politique et intellectuel marocain, membre de la Commission d'Éthique et de Comportement du Parti de l’Istiqlal, met en lumière l'importance que revêtait la presse écrite dans la lutte pour l'Indépendance.



Mohamed Lahbib Elkherraz : ««L’Opinion» permettait de diffuser les idées indépendantistes au-delà des frontières du Maroc»
Mohamed Lahbib Elkherraz : ««L’Opinion» permettait de diffuser les idées indépendantistes au-delà des frontières du Maroc»
  • Le Mouvement national, qui a lutté pour l'Indépendance du Royaume face au colonialisme français, a accordé une importance capitale à la presse écrite. Quel rôle ont joué les médias dans cette lutte ? Comment ont-ils contribué à sensibiliser l'opinion publique et à mobiliser les masses ?

Les médias nationaux ont joué un rôle fondamental dans le réveil de la conscience nationale en guidant, en informant, en alertant et en mettant en garde tous les citoyens contre les machinations du colonialisme. Les cellules secrètes, fondées par le Parti de l'Istiqlal dans diverses régions du Maroc, ont également joué un rôle important, donnant ainsi naissance à un Mouvement de libération et de résistance, lequel a scellé le sort de l'Indépendance par le djihad et la lutte populaire, après l'exil de feu SM le Roi Mohammed V, le 20 août 1953. Un événement qui a poussé le Peuple marocain à se lever comme un seul homme, ne voulant pas d'autre que Mohammed V comme leader, et a fondé l'unité totale du Parti de l'Istiqlal avec les dirigeants nationaux. 
 
  • C'est dans ce contexte historique qu'a vu le jour « Nachra ikhbaria » (bulletin d’informations), qui a servi de tribune pour diffuser les idées du Mouvement national, en dénonçant les injustices du colonialisme et en appelant à la résistance. Pourriez-vous nous parler de l'importance de ce journal à l’époque ?

Dans un contexte où la presse était étroitement contrôlée par le pouvoir colonial, ces bulletins ont joué un rôle essentiel de relais entre le Mouvement national et la population. Ils ont permis de diffuser les idées indépendantistes, de dénoncer les exactions coloniales et de mobiliser les masses.

Le leader Allal El Fassi, dans son ouvrage « Les Mouvements d'indépendance au Maghreb », souligne l'importance cruciale de ces supports de communication. Il décrit ainsi une véritable chaîne de mobilisation : des bulletins affichés dans les rues, des chansons populaires qui relayaient les messages de la résistance, jusqu'à des publications plus savantes sur l'Histoire et la culture marocaines, ainsi que des recherches précieuses sur les Berbères et leur influence sur l'Islam. Ces outils ont permis de galvaniser les consciences et de renforcer le sentiment d'identité nationale.

Ces bulletins appelaient également au boycott de tous les produits français et à leur remplacement par des produits marocains et arabes.Il convient également de souligner l’importance de la revue francophone « Maghreb », fondée à Paris par feu Ahmed Balafrej. D'autres publications ont suivi pour imposer la langue arabe sur la scène, face à la presse française.
 
  • Comment les journaux du Parti de l'Istiqlal, « Al Alam » et « L'Opinion », ont-ils réussi à concurrencer les grands journaux français présents sur le marché marocain ?

Fondé le 11 septembre 1944, le journal « Al Alam » s'est rapidement imposé comme un fer de lance de la résistance nationale. Le journal a joué un rôle central dans la sensibilisation des Marocains face aux injustices du colonialisme et a exigé la mise en œuvre des réformes promises, lors du Pacte du Congrès d'Algésiras de 1906 (Conférence donnant lieu aux accords d'Algésiras et qui consacra l'internationalisation économique du Maroc, ndlr), à savoir : l'ouverture d'écoles, la construction d'hôpitaux, le renforcement des libertés et de la démocratie dans le pays, conformément aux principes de l'Islam, sous la direction de feu SM le Roi Mohammed V, au lieu du système militaire autoritaire et de l'administration directe de la communauté française qui s'était appropriée les richesses du pays. 

En dénonçant les abus de la puissance coloniale, « Al Alam » a renforcé le sentiment d'identité nationale et a contribué à mobiliser les masses en faveur de l'indépendance. Malgré les répressions, le journal a persévéré dans sa mission, devenant un symbole de la lutte pour la liberté au Maroc.

Véritable pont entre le Parti de l'Istiqlal et la communauté internationale, « L'Opinion » permettait de diffuser les idées indépendantistes au-delà des frontières du Maroc. Le journal s'adressait à une audience exigeante, composée d'intellectuels et d'acteurs politiques, en leur proposant une analyse éclairée des enjeux de l'époque.

Même après l'indépendance, « L'Opinion » a poursuivi son combat contre l'héritage du colonialisme. En s'opposant à la presse de masse, souvent au service des anciens intérêts coloniaux, le journal a défendu les valeurs de la démocratie et de la justice sociale. 

Aujourd'hui, encore, « L'Opinion » incarne le journalisme militant marocain, défendant avec constance les intérêts de la nation.Il est regrettable qu'aucune initiative officielle n'ait été prise pour rendre hommage à ces deux piliers de la presse nationale et pour valoriser leur rôle dans l'Histoire du Maroc. Je tiens à souligner, ici, le rôle particulier et important joué par M. Nizar Baraka pour la continuité de ces deux journaux.
 
  • Quelles stratégies ont-elles été mises en œuvre pour gagner l'adhésion du public et pour diffuser leurs idées ?

Grâce à la qualité de ses publications, le Parti de l'Istiqlal a réussi à mobiliser l'opinion publique et à créer un espace de dialogue où toutes les voix pouvaient s'exprimer. Cette dynamique a joué un rôle déterminant dans l'éveil des consciences nationales et dans la construction d'une société plus juste et plus équitable.

Enraciné dans les valeurs de la démocratie et de l'ouverture, le Parti de l'Istiqlal a toujours considéré que la diversité des opinions était une richesse. Cette conviction s'est traduite par une politique éditoriale inclusive, qui a permis aux journaux « Al Alam » et « L'Opinion » de devenir des références incontournables du paysage médiatique marocain.
 
  • Quels sont, selon vous, les nouveaux défis auxquels font face les médias marocains aujourd'hui ?

Avec l'avènement de l'audiovisuel, qui a envahi l'espace marocain, les médias écrits : les journaux, les magazines et les livres, ont vu leur audience diminuer. Les populations des pays arabes, y compris le Maroc, ont, sous l'effet de cette nouvelle vague médiatique, délaissé la lecture papier, contrairement aux pays développés qui ont maintenu leur attachement à la lecture imprimée, malgré les nouveaux défis posés par les médias audiovisuels. Nous nous référons, par exemple, aux journaux espagnols et français dont les ventes quotidiennes continuent d'augmenter. Ils sont allés plus loin en intégrant l'arabe dans leurs journaux quotidiens grâce à la traduction instantanée, ce qui montre qu'ils ne sont pas affectés par les changements qui se produisent dans leurs sociétés.

Je suis convaincu que la tendance actuelle nous poussera à redécouvrir le plaisir de la lecture et à apprécier à nouveau les livres, les journaux et les magazines. Malheureusement, les sites officiels et gouvernementaux ne semblent pas jouer pleinement leur rôle dans la promotion de la lecture. Il est urgent de prendre des mesures pour inverser cette tendance et préserver notre patrimoine littéraire, qui constitue un élément essentiel de notre identité culturelle.

Face à la surabondance de l'information numérique, je suis convaincu que nous assisterons à un retour en grâce de la lecture traditionnelle, suscitant un regain d'intérêt pour les supports papier.In fine, je remercie la rédaction de « L'Opinion » pour cette opportunité de s'adresser à ses chers lecteurs.
 
Recueillis par
Safaa KSAANI








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