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Interview avec Mehdi Bennani : « Il me tient à cœur de montrer la vie ordinaire des Musulmans dans le cinéma américain »


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 14 Février 2024

Mehdi Bennani est une étoile montante de l’industrie cinématographique américaine. Faisant partie des équipes de conception de décors pour des films et des publicités à Hollywood, il se voit dans l’obligation de mettre en lumière la « vraie » image des spectateurs marocains et arabo-musulmans.



  • Depuis plus de 12 ans, vous travaillez sur plusieurs courts-métrages et publicités, en assurant notamment la direction artistique. D’abord, qu’est-ce qui a déterminé votre vocation pour le monde du 7ème Art ? 
 
 
- Lorsque j'étais au Lycée Lyautey, j'ai choisi une classe en option, appelée Cinéma Audiovisuel. Jusque-là, ma passion pour les films se manifestait principalement par le visionnage des films au Mégarama ou, à cette époque, au Cinéma Dawliz. Cette classe m'a plongé dans l'univers du film et m'a initié à la production cinématographique.
 
C'est là que j'ai réellement commencé à comprendre ce qu'est l’art du cinéma. En partant aux États-Unis pour étudier l'architecture, ma passion pour le cinéma restait présente dans un coin de ma tête. Il m’arrivait même parfois de prendre des cours de théâtre certains semestres. 
 
Lorsque l'idée de devenir architecte ne me satisfaisait plus, j'ai réalisé que ma passion pour le cinéma était toujours aussi forte. Pendant ma dernière année à l'université, alors que je cherchais ma voie, j'ai découvert un cours intitulé « Introduction to Art Direction ». C'est à ce moment précis que mes plans de carrière ont radicalement changé.
 
J'ai développé un amour pour l'art cinématographique, en particulier pour l'importance de la direction artistique. À ce moment-là, j'ai compris que je devais en apprendre le plus possible sur le métier. Cette vocation rassemblait ma passion pour le cinéma et tout ce que j'avais appris en école d'architecture, y compris les programmes de construction 3D et les dessins architecturaux.
 
Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai décidé de chercher du travail tout en envoyant des candidatures à des écoles proposant des programmes de Master en direction artistique. C'est ainsi que j'ai intégré l'American Film Institute.
 
  • Vous qui avez décroché votre Master à l’American Film Institute, qui a été nommé meilleure école de cinéma aux États-Unis 3 fois ces 4 dernières années et dans le top 5 de ces 10 dernières années, quel regard portez-vous sur la formation au Maroc dans ce domaine ? 
 
- Je pense que le Maroc est en train de connaître un développement cinématographique très rapide. Il y a une augmentation significative du nombre de passionnés, de festivals et d'activités qui rassemblent ces gens-là. Globalement, le public est beaucoup plus informé sur le cinéma qu'à l'époque de mon enfance.
 
À mes yeux, ce réveil est attribuable à divers éléments. On peut affirmer que l'accès aux films faisait défaut au Maroc, à l'exception des blockbusters hollywoodiens diffusés au Mégarama et à l'Imax, ou encore des DVDs piratés vendus devant mon lycée. Pour voir des films culte ou des œuvres d'auteur, il fallait se rendre au cœur de Casablanca, dans d'anciens cinémas tels que le Rialto ou le Lynx.
 
Aujourd'hui, malgré leur impact négatif sur les salles de cinéma, les plateformes de streaming offrent la possibilité de visionner tous ces films culte, suscitant peut-être ainsi un intérêt accru pour le cinéma en général. Il est également à noter que de plus en plus de films sont réalisés au Maroc, par des productions marocaines, et ces œuvres de grande qualité suscitent un véritable enthousiasme. 
 
  • Vous aspirez à ce que les spectateurs marocains et arabo-musulmans se sentent représentés dans les films hollywoodiens. Quel bilan tirez-vous de leur représentation jusqu’ici ? 
 
- Je suis d'avis que la représentation juste d'une culture autre qu’américaine aux États-Unis est encore loin d'être atteinte. Néanmoins, en tant que cinéastes originaires de pays arabo-musulmans, notre rôle est de changer la perception des gens et de briser les stéréotypes. Il devient de plus en plus crucial aux États-Unis de représenter de manière précise toute culture, sous peine de critiques sévères de la part du public.
 
Par exemple, il n'est plus acceptable d'associer la culture arabo-musulmane à une image renfermée, stricte, voire radicale. Avec environ 3,45 millions de musulmans aux États-Unis, cette population vivant une vie paisible ne se voit pas correctement représentée au cinéma. Pire, elle se sent souvent caricaturée et attaquée par une forme d'art censée rassembler les gens.
 
Notre mission est de présenter toutes les facettes des cultures qui composent le monde musulman et de montrer la beauté de ces cultures à travers le cinéma. Bien que le changement se fasse progressivement, cela dépendra de nous, les cinéastes issus du monde arabo-musulman. En ce qui concerne le Maroc et sa représentation aux Etats-Unis, je pense que le pays a émergé de l'ombre grâce à la Coupe du Monde. 
 
Beaucoup d'Américains ont découvert le Maroc grâce à son succès pendant la compétition, en particulier grâce à son public incroyable. Ce peuple a démontré sa passion et sa générosité, suscitant ainsi l'envie du monde entier d'en apprendre davantage sur ce magnifique pays qu'est le Maroc.
 
  • Qu’est-ce qui distingue la scénographie des productions hollywoodiennes ? 
 
 
- L'élément clé qui distingue les films hollywoodiens des autres productions dans le monde est principalement d'ordre financier. Aujourd'hui, certains films bénéficient de budgets dépassant les 200 millions de dollars, une somme jugée insensée par rapport au reste du monde. Cela implique que le développement cinématographique, que ce soit en termes de technologie ou de sélection des artistes travaillant sur un projet, doit être à la pointe de l'excellence.
 
En ce qui concerne la scénographie, les budgets attribués au département artistique peuvent atteindre plusieurs millions de dollars. De plus, les studios de production à Hollywood disposent de leurs propres espaces dédiés au tournage des films. Ces lieux abritent des équipes de professionnels chargés de construire les décors et les accessoires de films.
 
De manière significative, il existe des « prophouses » dispersés à travers Los Angeles, rassemblant des accessoires utilisés dans d'autres productions et disponibles à la location pour de nouveaux projets. L'industrie cinématographique est omniprésente dans les grandes villes aux États-Unis, simplifiant même les productions réalisées en dehors de Los Angeles. Ainsi, tout le matériel nécessaire pour créer un film artistiquement valorisé est à disposition, ce qui, à mon avis, constitue la véritable distinction entre les productions hollywoodiennes et celles du reste du monde.
 
 
  • L’industrie cinématographique est en perpétuelle mutation, compte tenu du développement technologique. Quelles en sont les tendances actuelles ?
 
 
- Il est indéniable qu'au cours des deux dernières années, une vague de craintes a entouré l’industrie du cinéma au sujet de l'Intelligence Artificielle. Bien que l'Intelligence Artificielle offre des avantages, elle comporte également des aspects négatifs majeurs pour les artistes. Les studios ont réalisé que l'Intelligence Artificielle peut créer des œuvres similaires à moindre coût, ce qui a conduit à une grève des scénaristes et acteurs pendant plus de 8 mois en 2023.
 
Cependant, je crois que la réalité réside dans le fait que rien ne peut égaler le travail humain. Ce travail est imprégné de passion et de sentiments, que ce soit dans l'élaboration d'un scénario ou dans l'interprétation d'un acteur. La clé réside dans l'utilisation de l'Intelligence Artificielle non pas comme source créative, mais plutôt comme un outil permettant d'améliorer les œuvres existantes. Personnellement, je perçois l'utilisation de l'IA comme un outil à intégrer dans notre processus créatif.
 
Par exemple, lorsque je dessine un décor sur des logiciels tels que Photoshop, et que je souhaite rendre mon dessin plus réaliste, je peux utiliser l'Intelligence Artificielle de manière similaire à l'application d'un filtre sur Instagram. C'est une façon d'incorporer cette technologie pour sublimer et enrichir notre travail artistique plutôt que de le remplacer.
 
 
  • Quels sont vos projets en cours ou en vue ? 
 
- Actuellement, je travaille sur un court métrage qui explore une histoire se déroulant dans une mosquée à Los Angeles. Il me tient à cœur de participer à des projets de cette nature afin de mettre en lumière la vie ordinaire de tous les musulmans aux États-Unis, mais également de représenter des populations souvent négligées dans le cinéma américain.
Mon espoir est également de m'impliquer dans d'autres projets, notamment des longs métrages, en particulier ceux produits par les studios hollywoodiens. L'année dernière a été particulièrement difficile en raison de la grève qui a sévi de mars à fin novembre, ce qui a affecté notre travail de manière significative.
 
Heureusement, le travail reprend progressivement à présent. J'ai actuellement deux courts métrages en tournée dans différents festivals, et j'espère avoir la possibilité de les inscrire éventuellement dans des festivals au Maroc. Parallèlement, je travaille sur le développement de deux scripts que j'écris actuellement, avec l'espoir de les produire un jour.
 
 
 








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