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Interview avec Khalil Dekiki : Les agents de nettoyage et de gardiennage crient à la discrimination


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 18 Mai 2022

Oxfam Maroc jette, dans un récent plaidoyer, une lumière crue sur les multiples dysfonctionnements dont souffrent les deux secteurs de gardiennage et de nettoyage. Elle estime que la responsabilité est partagée entre société civile, politiques et individus.



Interview avec Khalil Dekiki : Les agents de nettoyage et de gardiennage crient à la discrimination
- Selon une note de plaidoyer rendue publique le 6 mai par Oxfam Maroc, les agents de gardiennage et les employés de nettoyage font partie des professionnels les plus touchés par la précarité de l’emploi et la dureté des conditions de travail. Pourtant, ces activités (gardiennage et nettoyage) sont définies dans le cadre de contrats de services établis selon un cahier de prescription spécial (CPS). Comment expliquez-vous ce dysfonctionnement et quel état des lieux dressez-vous ?

- Pour répondre à votre question, permettez-moi d’abord de vous remercier pour l’emploi du mot « dysfonctionnement » que je vais reprendre comme élément de réponse mais au pluriel en y ajoutant un grand S. Je vous énonce donc les multiples dysfonctionnements dont souffrent ces deux secteurs, et qui font que les contrats de services établis soient indignes et indécents ou non respectés dans le cas échéant. Premièrement, il y a le dysfonctionnement au niveau des marchés publics.

La pratique du moins-disant conduit à une perception des salaires de l’agent (e) de gardiennage ou de nettoyage comme étant des coûts de transaction, et peut même conduire à la non déclaration des travailleurs et travailleuses au niveau de la CNSS et des compagnies d’assurances, ce qui fragilise leur situation et conduit les patrons à signer des contrats avec des prix dérisoires. Le salaire devient donc la seule cible pour l’entreprise de nettoyage ou de gardiennage pour dégager un bénéfice sur la transaction. Résultat : des salaires nets entre 1200 et 2600 dirhams synonymes de précarité et d’incapabilité d’acheter toute paix sociale.

Notre plaidoyer appelle d’abord à bannir la pratique du moins-disant comme seule critère de décision, et à exiger au préalable dans les appels et termes de références des salaires qui respecteront les charges et risques de travail de cette catégorie de travailleurs et travailleuses. Opérationnellement, il faut donc spécifier, voire imposer une fourchette de marge bénéficiaire, au-delà du coût de revient des salariés - toutes charges confondues comprises - à arrêter et standardiser.

Le deuxième dysfonctionnement est au niveau de la conformité sociale. En effet, l’État est socialement responsable, en premier lieu, de l’assainissement d’une culture de respect de la législation sociale. Le fait de délaisser ces secteurs depuis des années ne peut qu’encourager les moins « responsables » d’entrer au marché et de maintenir le statu quo dans les pratiques de dévalorisation, d’exploitation des travailleurs au niveau opérationnel.

Dans ce sens, nous appelons à exiger des audits sociaux en amont des grands marchés et pour certaines catégories d’entreprises ayant une taille moyenne, voire grande ; nous appelons aussi à renforcer l’inspection du travail et mettre en place des cellules d’écoute de doléances d’agents de nettoyage et de gardiennage victimes de burnout ou de licenciements abusifs. Il faut aussi établir une charte d’éthique pour les donneurs d’ordre convertible en projet structurant en vue de cultiver des pratiques de conventions collectives pour ces secteurs.

Le troisième dysfonctionnement réside au niveau des ressources humaines. Reconquérir les collaborateurs et collaboratrices de ces secteurs est devenu l’un des défis majeurs pour les dirigeants des entreprises. L’intensité et la robustesse du lien symbolique durable entre l’entreprise de gardiennage ou de nettoyage et ses collaborateurs ont fortement diminué au fil du temps. La question du lien entre le recours à l’externalisation et cette perte mérite d’être posée, notamment quand le critère majeur visible de la décision du dirigeant-décideur est la diminution des coûts directs de main-d’oeuvre. Simple « ressource » à laquelle on accole le qualificatif d’ « humaine », le collaborateur n’est alors vu que comme une « charge » dite fixe. Face à la perception d’une menace existentielle, tout organisme vivant engage des stratégies de protection et de riposte.

Ainsi, nous appelons à assouplir et encourager les entreprises à participer dans la conception et la réalisation des formations sur mesure à l’intérieur de leurs structures. Il y a aussi nécessité pour les entreprises du gardiennage privé de la réalisation des enquêtes de satisfaction auprès du public, surtout dans des secteurs comme ceux de la Santé et de l’Education afin d’améliorer la qualité du service rendu.

Nous recommandons aussi d’encourager le travail d’équipe et former davantage le premier niveau de supervision en vue de le doter de compétences en dynamique de groupe et de communication ; d’exiger une formation de base (en gestion) pour l’employeur ou gérant, ainsi que d’exiger une carte professionnelle (avec un code national) pour tout agent opérant dans le secteur et une certification standard gérée par un établissement étatique en tant que formation de base nécessaire à la qualification pour ces métiers.
 
Le seul recours possible reste pour les travailleurs -tous secteurs confondus- de se diriger vers l’inspection du travail.

- En plus de voir élargi leur rôle à d’autres tâches non incluses dans sa fiche de poste, les agents de sécurité se trouvent souvent privés du droit au congé. Comment peuvent-ils faire entendre leur voix et à qui ?

- Notre note de plaidoyer publiée est la culmination d’un processus où les agents de gardiennage et de nettoyage ont tenté de faire entendre leurs voix. Ils/elles ont d’ailleurs fait des tentatives similaires auprès de l’ensemble des parties prenantes et des hautes instances du pays. La question de priver un travailleur ou une travailleuse de son congé payé est une enfreinte absurde au code du travail. Tout être raisonnable doit aujourd’hui réclamer droit pour cette catégorie de travailleurs. Le seul recours possible reste pour les travailleurs - touts secteurs confondus - de se diriger vers l’inspection du travail.


- En cas d’accidents de travail, comment peuvent-ils bénéficier de couverture sociale ?

- Avant que l’accident ne se produise, les employeurs doivent sécuriser les lieux de travail et fournir aux employés le matériel nécessaire pour se protéger et bien accomplir leurs missions. Le travail de cette catégorie de collaborateurs est assujetti à une grande probabilité que le sinistre ait lieu. Il est donc fondamental que les employeurs puissent prévoir et de faire adhérer leurs collaborateurs à des offres d’assurances complémentaires susceptibles de les protéger et de subvenir à leurs besoins en santé, même hors sinistre.

La couverture sociale est un droit dont les travailleurs de ce secteur doivent bénéficier automatiquement en informant leurs employeurs et managers directs sur le champ. Accepter tout oubli ou retard est synonyme de laisser tomber ses droits. Du côté de l’employeur, ne pas réagir rigoureusement et rapidement pour le plein droit des travailleurs est une honte et une enfreinte grave au code du travail.

Les compagnies d’assurances doivent aussi animer le débat et trouver la formule idéale susceptible d’engager l’ensemble des parties prenantes dans la protection non seulement des biens et des installations, mais aussi des hommes et des femmes qui veillent à le faire dans le jour comme dans la nuit. Il est primordial de garantir plus d’accompagnement et de support de la part des autorités locales et surtout dans un esprit de collaboration dans les sites sensibles et les situations difficiles.


- Quels efforts pourraient être mis en commun avec le ministère de l’Emploi pour mettre fin à ces inégalités ?

- Il est important de mentionner que le secteur du gardiennage privé est placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur aussi. Ces deux ministères doivent jouer un rôle de fond et de collaboration avec la société civile et les groupes parlementaires dans la réforme et l’amendement des textes juridiques en vigueur, dans la mise en place des dispositions de contrôle mais aussi dans la sensibilisation du grand public.

Nos recommandations en la matière sont comme suit : Pour la réforme des textes juridiques : fixer le nombre d’heures de travail des gardiennes/gardiens privés à huit heures par jour ; faire exclure les gardiennes/gardiens privés des articles 192, 191 et 190 du code du travail ; et intégrer un nouvel article au niveau du code du travail marocain, en harmonie avec la loi 27-06, qui prend en considération les contraintes des femmes gardiennes.

Pour la mise en place des dispositions de contrôles : mettre en place des dispositions de contrôle de l’application de la loi 27-06 dans les secteurs de la Santé publique et de l’Education ; mettre en place des dispositions juridiques permettant aux gardiennes/gardiens privés d’adhérer aux syndicats externes de leur choix sans restrictions politiques ou idéologiques. Il faut aussi garantir plus d’accompagnement et de support de la part des autorités locales et surtout dans un esprit de collaboration dans les sites sensibles et les situations difficiles.

Pour conclure, mon dernier point concerne la sensibilisation du grand public au rôle de l’agent de sécurité, le citoyen a également une grande responsabilité sociétale vis-à-vis des agents de sécurité. Il leur doit du respect pour le travail qu’ils sont censés accomplir, surtout pour des situations générales d’inconfort (comme la fouille, l’inspection des bagages, la tension des files d’accueil ou d’enregistrement…).

La culture de respect est de mise spécifiquement pour le genre féminin, à qui on a plus besoin dans des contextes réputés féminins de par leur nature d’activité, comme les crèches dans les écoles, les maternités ou bien les grandes surfaces de distribution.
 


Recueillis par Safaa KSAANI