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Interview avec Elias Suhail : « Mon objectif est de faire réfléchir sur la situation des mères célibataires »


Rédigé par Safaa KSAANI Jeudi 8 Septembre 2022

Le jeune cinéaste Elias Suhail a lancé une campagne de financement via Internet pour finaliser le budget nécessaire à son prochain court-métrage «Wedad», dans lequel il rend hommage aux mères célibataires.



Elias Suhail, réalisateur britanno-marocain
Elias Suhail, réalisateur britanno-marocain
- «Wedad» est inspiré de votre vécu et montre les luttes d’une jeune mère, la vôtre, qui a décidé de s’éloigner de ses enfants pour leur construire un avenir meilleur. Pouvez-vous nous en dire plus ?

- Le concept original du film est inspiré de l’expérience de ma propre mère. Étudiante brillante, elle avait été retirée prématurément de l’école pour se marier. Quelques années plus tard, elle s’est retrouvée seule à élever deux enfants, suite au divorce. Elle était obligée de vivre avec ses parents dans leur modeste bungalow d’une pièce à M’diq.

Ma mère a ensuite pris la décision difficile de tout laisser derrière elle, y compris ses enfants. Elle vendit subrepticement les bracelets en or de sa dot, obtint un passeport avec l’aide de la famille d’un de ses anciens camarades de classe. Sous prétexte de rendre visite à sa grand-tante à Tanger, elle a quitté le pays pour se rendre au Royaume-Uni. Ma mère pensait qu’elle offrait ainsi à ses enfants et à elle-même une vie meilleure. Or, elle s’est retrouvée divorcée pour la deuxième fois, s’occupant de plusieurs enfants cette foisci, dans une culture qui lui était étrangère et sans soutien familial.


- La société véhicule toujours l’idée qu’il faut se marier à la trentaine, quitte à faire de mauvais choix motivés par l’urgence. Pensez- vous que c’est le principal facteur de l’augmentation du nombre des mères célibataires ?

-Les taux de mères célibataires ont considérablement augmenté au cours des 50 dernières années. Les raisons en sont multiples et complexes. Je pense que les préjugés, les stéréotypes de genre, les rôles prescrits, sont à l’origine de la construction sociale de l’inégalité des sexes. Nous devons réévaluer cette construction sociale traditionnelle, ainsi que les institutions du mariage et de la famille. Sans doute, il faudrait placer la famille au centre de l’économie politique, et donc au coeur du système de valeurs de la société.

Au Royaume-Uni, par exemple, il fut un temps où une famille ouvrière pouvait se permettre de vivre confortablement avec le revenu d’un seul parent. Au fil du temps, les deux parents sont souvent obligés de travailler. Placer la famille au centre du système de valeurs de la société conduirait à un changement progressif et inclusif en accordant aux hommes et aux femmes le droit de concilier travail et famille sans stigmatisation.

En encourageant activement les hommes à partager à parts égales la responsabilité de l’éducation des enfants, en valorisant une transition du secteur des entreprises vers des modèles de travail flexibles, ainsi qu’en offrant un congé de maternité/ paternité partagé et en plaidant pour des services de garde d’enfants abordables, ne pourrait que contribuer à l’instauration d’une égalité des sexes. Cela pourrait potentiellement conduire à une baisse du taux de divorce et des mères célibataires.


- Le féminisme en est-il une solution ?

- Le féminisme est souvent décrit à tort comme un mouvement de femmes ou une « bataille des sexes ». Cependant, c’est un concept de coexistence égalitaire qui profite à la fois aux hommes et aux femmes. Cela dit, mon film ne se veut pas une déclaration sociale ou politique. Les parents de Wedad l’ont forcée à un mariage qu’elle ne voulait pas. Ils pourraient facilement être dépeints comme des malfaisants pour avoir causé cette situation difficile, mais je ne souhaite pas porter de jugement sur eux. J’espère que mon public comprenne également que ces parents ont agit dans un cadre culturel qui veut qu’une femme doit suivre un certain chemin dans la vie. Donc, dans leur propre esprit, en mariant leur fille, ils s’efforcent d’obtenir le meilleur résultat pour elle. Mon seul objectif est de peindre une image complexe et engager le public intellectuellement en réfléchissant à cette situation.
 
Placer la famille au centre du système de valeurs de la société conduirait à la baisse du taux de divorce et des mères célibataires.

- Il y a très peu de modèles de femmes épanouies professionnellement et mères célibataires. Comment faire évoluer les représentations ?

- Je suis moi-même marié et père de deux jeunes filles. Ma femme et moi-même travaillons et partageons la responsabilité d’élever nos enfants à parts égales. J’ai une grande admiration et un grand respect pour les familles monoparentales. La monoparentalité est particulièrement difficile, quel que soit le statut socio-économique du parent.

Les mères sont souvent discriminées par leurs employeurs lorsqu’elles commencent à fonder une famille. Ma femme a vécu cela après la naissance de notre deuxième enfant. Et j’ai entendu d’innombrables histoires de mes amies dont les relations avec leurs employeurs se sont tendues après leur retour de congé de maternité.

L’inclusion est intégrée dans les stratégies commerciales des grandes entreprises. Des discussions sur l’équilibre travail-vie personnelle et sur le fait de rendre le travail moins hostile aux parents au sein de l’industrie du cinéma et de la télévision sont menées par des organisations comme «Raising Films» et syndicats tels que BECTU. Si l’État mettait en place un système de soutien qui place le bien-être des familles au centre de son intérêt, nous pourrions assister à un changement de paradigme.


- Selon vous, que faut-il dire à son enfant sur l’histoire de sa conception ?

- J’ai deux jeunes filles, elles sont donc peut-être trop jeunes pour que nous ayons une discussion approfondie avec elles sur ce sujet. Cependant, ma femme et moi sommes d’accord sur le fait qu’il est important de leur apprendre dès leur plus jeune âge le concept de limites relatives à leur espace personnel. Je suis convaincu que, en tant qu’êtres humains, nous avons le droit à l’autonomie sur notre corps. C’est quelque chose que je souhaite transmettre à nos filles.

En enseignant à mes filles des valeurs saines, elles pourront, espérons-le, définir leurs propres limites, avoir confiance en leurs opinions et se défendre si nécessaire. Cela va au-delà des frontières physiques ; cela s’applique également aux limites matérielles, émotionnelles et mentales. Il est également important d’enseigner aux enfants, d’une manière adaptée à leur âge, leur propre corps, leur conception, leur santé reproductive.


- Comment comptez-vous transformer votre message en images ?

- Le scénario a été développé sur une période de deux ans grâce à divers programmes de développement gérés par le British Film Institute et l’Arab British Centre. Le film est basé sur beaucoup d’images et très peu de dialogues. Ce que j’ai trouvé en écrivant le scénario, c’est un intérêt personnel à évoquer des souvenirs des moments que j’ai passés au Maroc pendant ma propre enfance.


- Vous avez lancé une campagne de financement via Internet pour finaliser le budget nécessaire à votre prochain court-métrage. Quel est l’intérêt des personnes qui seront éventuellement associées au financement de votre court métrage?

- Tous ceux qui auront la gentillesse de contribuer au film seront mentionnés sur nos réseaux sociaux (Twitter, Instagram) et dans le générique de fin du film. Faire un don à ce court métrage c’est aider un cinéaste indépendant à donner vie à un projet soigneusement élaboré pendant deux ans à travers divers programmes de développement. Nous avons de grandes ambitions, dont élever la réputation du cinéma marocain à l’international.


- Le montant que vous demandez s’élève à un peu plus de 18.000 dollars. Quelles techniques justifient ce montant?

- Nous demandons 18.000 USD pour nous aider à réaliser nos ambitions cinématographiques grâce à l’utilisation d’effets visuels. C’est une technique qui coûte cher. Les artistes d’effets visuels 3D peuvent facilement atteindre des dizaines de milliers pour le nombre d’effets visuels qui nous faut. L’imagerie et le symbolisme sont utilisés tout au long du film pour désigner les thèmes liés à la maternité, ainsi que pour faire allusion au conflit intérieur avec lequel notre personnage central se bat autour de la décision qu’elle a prise de fuir ses enfants.

Les effets visuels sont subtilement entrecoupés tout au long du film et jouent un rôle central dans le récit de cette histoire. Nous avons de grandes ambitions cinématographiques, et il est important de ne pas lésiner sur cet élément pour avoir l’impact souhaité.




Recueillis par Safaa KSAANI