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Interview avec Dr Meryam Lemrani : Sur les sentiers d’un parcours tissé de science et de passion


Rédigé par Mina ELKHODARI Mardi 5 Août 2025

Ayant partagé son parcours entre microscopes et missions de terrain pour explorer les énigmes de la leishmaniose, un défi majeur de santé publique au Maroc, la chercheuse Dr Meryam Lemrani, de l’Institut Pasteur, s’est distinguée à l’échelle internationale comme une pionnière dans son domaine. Entretien avec une scientifique engagée, qui allie passion et rigueur pour faire avancer la recherche aux côtés de la relève scientifique.



  • Vous avez été distinguée parmi 12 chercheurs par le programme européen MEDNIGHT pour votre parcours exceptionnel de chercheuse. Quel effet cette distinction internationale vous a fait ? 
 
Être distinguée parmi des chercheurs euro-méditerranéens est une immense fierté, dans la mesure où elle marque l’ouverture d’un nouveau chapitre pour moi en tant que chercheuse marocaine. Cet hommage engage mon avenir, celui de mériter, par mes recherches, la confiance de l’Institut Pasteur et de mon pays, et de montrer aux jeunes que la science telle qu’elle est développée au Maroc peut rayonner au-delà des frontières. 
 
  • Cette distinction prime l'excellence de vos travaux dans le domaine de la parasitologie et de la santé mondiale. Comment vos travaux profitent-ils au Maroc ? 
 
La leishmaniose, maladie parasitaire complexe, représente un défi majeur de santé publique dans notre pays. Notre programme de recherche, développé sur trois décennies, s’articule autour de stratégies scientifiques multidimensionnelles, dont l’objectif est de transformer la science en solutions concrètes pour protéger les communautés. 
 
Les travaux menés au cœur des laboratoires de l’Institut Pasteur visent, d’une part, à développer des tests innovants et des outils d’Intelligence Artificielle qui aident au diagnostic pour assurer une meilleure détection de la maladie. D’autre part, cela consiste à identifier les facteurs qui influencent la transmission de la maladie dans différents écosystèmes, en étudiant, par approches génétique et génomique, les interactions entre le parasite, le vecteur et leur environnement. De plus, les travaux sont axés sur la prévention durable de la maladie en cartographiant celle-ci pour développer des stratégies adaptées à chaque région.
 
  • Vous avez consacré votre parcours pour la leishmaniose au laboratoire de recherche de l’Institut Pasteur. D’où est venu votre intérêt pour cette maladie ? 
     
Mon parcours dédié à la leishmaniose est né d'une fascination pour la complexité de cette maladie. Les leishmanioses ne sont pas une entité unique, mais un ensemble de syndromes liés à des parasites, vecteurs et réservoirs spécifiques. Ce qui m'a véritablement captivée, c'est la nécessité d'une approche systémique : il est impossible d'étudier le parasite sans comprendre son vecteur et son réservoir. Ce défi m'a naturellement conduite à me spécialiser, en préparant des diplômes complémentaires en entomologie, en immunologie, en bio-informatique...Aujourd'hui, notre équipe à l'Institut Pasteur se concentre sur le développement de solutions innovantes, notamment des modèles d'Intelligence Artificielle capables de prédire les flambées épidémiques en croisant données environnementales, indicateurs cliniques et paramètres épidémiologiques. Notre objectif est de transformer la surveillance sanitaire dans les zones endémiques, en anticipant plutôt qu'en réagissant.  Grâce à des collaborations multidisciplinaires, nous développons des tests de diagnostic rapides et surtout adaptés aux régions endémiques rurales. 
 
  • En tant que femme chercheuse, quels sont les moments clés qui ont façonné votre parcours de chercheuse ? 
 
A vrai dire, mon parcours est ponctué de moments clés qui reflètent à la fois les défis et les satisfactions de la recherche scientifique. Les appels à projets nationaux et internationaux constituent des jalons fondamentaux. Chaque projet accepté est bien plus qu'un simple financement, c’est la transformation d'une idée théorique en action concrète, validant notre approche scientifique et notre potentiel d'innovation.
 
Mon équipe, principalement composée de doctorants, incarne la dimension humaine de la recherche. Chaque soutenance de thèse est un moment de fierté et d'accomplissement, symbolisant la transmission du savoir et l'émergence de nouveaux talents scientifiques. Ces expériences illustrent que la recherche est un processus dynamique où la passion, la persévérance et le partage sont aussi importants que la rigueur académique.
 
  • D’après votre parcours, quel est aujourd’hui le profil d’un bon chercheur ? 
     
D’après mon parcours, un bon chercheur allie trois qualités fondamentales : une curiosité intellectuelle insatiable, une ténacité face aux défis scientifiques, et une persévérance à toute épreuve. Au-delà de ces traits, il doit s’adapter aux réalités de son écosystème de recherche, notamment dans des contextes comme le nôtre où les ressources sont limitées.
 
Cela implique une capacité à identifier des financements pertinents (appels d’offres locaux, collaborations internationales, fondations) pour transformer ses idées en projets concrets et  une agilité à changer d’approche si besoin, sans jamais sacrifier la rigueur ni l’éthique. En somme, un bon chercheur doit transformer les contraintes en leviers et  créer  des solutions utiles pour sa communauté tout en visant l’excellence scientifique globale.
 
  • Comment comptez-vous faire bénéficier votre expérience dans le domaine de la recherche scientifique aux jeunes générations de chercheurs ? 
     
Transmettre la passion avant tout ! À travers mes années de recherche, j’ai formé de jeunes scientifiques qui brillent aujourd’hui au Maroc ou à l’étranger. J’espère leur avoir insufflé cette étincelle qui fait aimer la découverte : la curiosité, le goût de l’effort, et l’audace de poser de nouvelles questions.
 
  • Quelles thématiques comptez-vous explorer dans vos futurs projets ?
 
Nos futurs projets s'articulent autour d'une collaboration internationale ambitieuse qui vise à repenser fondamentalement les stratégies thérapeutiques contre la leishmaniose,face aux limites croissantes des médicaments actuels encore utilisés dans les pays d'endémie.Notre objectif final est de proposer des solutions thérapeutiques et préventives adaptées aux réalités épidémiologiques actuelles, en particulier dans les contextes où les ressources médicales sont limitées.
 
  • Quel regard portez-vous sur l’évolution de la recherche scientifique au Maroc à la lumière des réformes entreprises dans ce domaine ?  
 
La recherche au Maroc traverse actuellement une phase de transformation significative, marquée par une évolution progressive de ses paradigmes traditionnels. Historiquement fragmentaire et largement dépendante des financements internationaux, la recherche marocaine connaît aujourd'hui un renouveau prometteur, particulièrement depuis la pandémie de Covid-19. 
 
Les discours de Sa Majesté appelant à renforcer la souveraineté nationale, et singulièrement la souveraineté sanitaire, ont joué un rôle de catalyseur décisif. Cette impulsion royale a généré une dynamique nouvelle, visible tant au niveau des universités et établissements publics de recherche que dans l'émergence de fondations dédiées à la recherche, au développement et à l'innovation.
 
Un exemple emblématique de cette transformation est le récent Programme National d'Appui à la Recherche & Innovation (PNARDI), qui mobilise un investissement substantiel d'un milliard de dirhams sur quatre ans. Ce programme symbolise la volonté nationale de passer d'une logique de recherche passive à une stratégie proactive d'innovation. Mais cela n'empêche que la recherche demeure encore trop éclatée, les financements nationaux insuffisants pour mener à bien les travaux de recherche au sein des laboratoires. 
 
Néanmoins, les signaux sont encourageants, particulièrement suite à la transformation de la recherche, d’un domaine académique à un outil stratégique de développement et de souveraineté. Conscients de cette réalité, les universités, les centres de recherche et les acteurs institutionnels semblent désormais alignés sur un objectif commun : faire de la recherche un véritable levier de développement économique et technologique.
 
Recueillis par
Mina ELKHODARI
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 







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