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Interview avec Abderazak kabouri : Décryptage des enjeux de la réforme électorale


Rédigé par Anass MACHLOUKH Samedi 23 Août 2025

La nouvelle réforme électorale que le ministère de l'Intérieur prépare en concertation avec les partis politiques a pour défi de garantir une meilleure représentativité aux niveaux locale et national. Découpage, mode de scrutin, représentativité des jeunes et des MRE... Plusieurs questions épineuses restent à trancher. Abderazak kabouri
, Professeur de sciences politiques à l'ENCG-Kenitra, explique les enjeux de la reconfiguration de l'équation électorale et ses répercussions éventuelles sur la scène politique.



 

-Le ministère de l'intérieur continue de mener les discussions avec les parties politiques en vue d'une nouvelle réforme du Code des élections. Cela signifie que la réforme précédente a montré ses limites. Quel bilan en faites-vous ?

 

La réforme électorale de 2021 a constitue une étape importante dans l’histoire du système politique marocain. Elle est intervenue dans un contexte politique, social et économique sensible, marqué par la nécessité de renforcer la légitimité démocratique et de lutter contre la baisse du taux de participation électorale.

 

En effet, l’État a adopté une réforme juridico-institutionnelle, intégrant d’une part la révision du quotient électoral, l’élargissement de la base représentative, ainsi qu’un redécoupage électoral fondé sur des critères démographiques précis. La Chambre des représentants demeure composée de 395 sièges répartis sur 92 circonscriptions locales et 12 régionales réservées aux femmes, conformément aux dispositions constitutionnelles.

 

Force est de constater que cette réforme tend à renforcer la représentation politique en offrant davantage de possibilités aux formations politiques et aux catégories sociales diversifiées. Toutefois, sa pleine efficacité reste conditionnée à la capacité des partis à moderniser leurs programmes et à élargir leur base électorale, ce qui demeure, à ce jour, partiellement réalisé.

 

De plus, les modifications adoptées, notamment en matière de quotient électoral, de seuil et de découpage, visent à préserver l’identité politique plurielle du Royaume et à garantir l’alternance dans la gestion des affaires publiques. Les résultats du scrutin de 2021 confirment cet objectif : la scène politique reste dominée par trois formations principales, illustrant ainsi la vitalité du pluralisme et écartant le spectre de la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul parti.

 

Ce pluralisme, en tant que principe constitutionnel, assure un élargissement du champ représentatif au sein des institutions et des organes décisionnels, reflétant la diversité sociale, culturelle, identitaire et territoriale du pays.

 

Par ailleurs, la réforme a également révélé les limites de la gouvernance locale. Malgré le renforcement du cadre électoral national, la dynamique de décentralisation peine à s’imposer dans les faits. Une articulation plus cohérente entre la réforme électorale et la régionalisation avancée permettrait d’ancrer les institutions territoriales dans une logique de performance, de proximité et de redevabilité.

 

-Le découpage électoral figure parmi les sujets prioritaires. Est ce qu’il y a un besoin à redéfinir la carte actuelle ?

 

Une chose est certaine, la révision du découpage électoral doit impérativement tenir compte des mutations démographiques mises en lumière par le dernier recensement de 2024. Certaines villes et centres urbains ou ruraux connaissent une croissance démographique notable, tandis que d’autres voient leur population décliner. Maintenir le découpage actuel porterait atteinte au principe d’égalité politique, en créant un déséquilibre dans le poids représentatif des circonscriptions.
 

Certaines villes et centres urbains ou ruraux connaissent une croissance démographique notable, tandis que d’autres voient leur population décliner. Maintenir le découpage actuel porterait atteinte au principe d’égalité politique,

 

En effet, une réforme pertinente devrait reposer sur des critères transparents et objectifs : population, homogénéité démographique, représentation équilibrée des femmes, des jeunes et des Marocains résidant à l’étranger, tout en évitant tout usage partisan du redécoupage.

 

Malgré la prise en compte de facteurs géographiques et sociaux, l’évolution inégale de l’urbanisation et de la croissance démographique impose une révision périodique garantissant la justice spatiale dans la représentation. Le plafond constitutionnel du nombre de sièges à la Chambre des représentants limite toutefois toute refonte structurelle majeure, mais il n’empêche pas des ajustements territoriaux ciblés respectant la logique de la représentation équitable.

 

Il est aussi essentiel de réfléchir à une meilleure intégration des zones rurales, historiquement défavorisées en termes de représentativité. Le déséquilibre entre la densité urbaine et la sous-représentation rurale alimente un sentiment de marginalisation politique. Une réforme plus audacieuse pourrait instaurer des correctifs territoriaux temporaires pour garantir une représentation équilibrée, conforme aux principes de l’équité démocratique.

 

-Le quotient électoral a été profondément changé lors de la réforme précédente de 2021 et demeure toujours contesté sous prétexte qu’il garantit peu de représentativité et de proportionnalité surtout en cas de forte abstention. Qu’en pensez-vous ?

 

 

Le passage du calcul du quotient électoral sur la base des inscrits, et non plus des suffrages exprimés, a été officialisé et institutionnalisé. Ce choix vise à favoriser la pluralité politique et à éviter la domination d’un seul parti, tout en donnant une meilleure visibilité aux petites et moyennes formations partisanes.
 

Cependant, à la lumière de la théorie de la légitimité développée par Max Weber, ce mode de calcul soulève un questionnement en cas d’abstention massive, quant à la légitimité des résultats. Une évaluation sur plusieurs cycles électoraux s’impose avant toute conclusion définitive.

 

Ce système, bien qu’imparfait, reflète la volonté de représenter l’ensemble des inscrits, qu’ils aient ou non voté, et d’éviter qu’une minorité active ne concentre seule le pouvoir législatif. Il fait du Parlement le reflet de la volonté citoyenne, l’inscription sur les listes électorales étant considérée comme un acte d’adhésion aux droits politiques fondamentaux.
 

Le mode de calcul du quotient électoral soulève des interrogations en cas d’abstention massive, quant à la légitimité des résultats.

 

Toutefois, certains observateurs soulignent que ce système a engendré une fragmentation excessive, rendant parfois difficile la formation de majorités parlementaires cohérentes. Ce phénomène peut freiner la production législative et compliquer la gouvernance. Une piste serait d’introduire un système mixte, combinant représentation proportionnelle et scrutin majoritaire à certains niveaux, afin de réconcilier représentativité et efficacité politique.

 

-Lors de la réforme électorale précédente, la base de calcul du quotient a fait couler beaucoup d'encre. On a finalement opté pour inscrits au lieu du nombre des bulletins valides qui fut en vigueur. Laquelle des deux méthodes permet le plus de représentativité ?

 

Il est à noter que d’un point de vue normatif, un calcul basé sur les suffrages valides reflète plus fidèlement la volonté réelle des électeurs. Cependant, l’option retenue par l’État privilégie la pluralité et prévient l’exclusion politique.

 

La réussite de toute formule électorale dépend étroitement du niveau de conscience civique et de l’engagement citoyen, nécessitant des efforts coordonnés de l’État et des partis pour promouvoir l’éducation à la citoyenneté et élargir les espaces de débat public si on croit à l’approche de développement politique.

 

De ce fait, le débat sur le mode de calcul ne doit pas occulter un autre enjeu fondamental : celui de la crédibilité des partis eux-mêmes. Un quotient, qu’il repose sur les inscrits ou sur les bulletins valides, ne peut compenser l’absence de renouvellement des élites, la faiblesse des programmes ou le manque de proximité avec les citoyens. C’est sur ce terrain que se joue, en réalité, la qualité de la représentation.
 

Le débat sur le mode de calcul ne doit pas occulter un autre enjeu fondamental : celui de la crédibilité des partis eux-mêmes.

 

-Les MRE sont toujours exclus de la représentation nationale. Pensez-vous qu’il faut les intégrer et qu’en seraient les avantages ?

 

Force est de constater que la Constitution reconnaît pleinement aux Marocains résidant à l’étranger le droit de participation politique, que ce soit par le vote direct lorsqu’ils se trouvent au Maroc, ou par procuration lorsqu’ils sont à l’étranger. Ce dispositif illustre le principe de citoyenneté étendue, maintenant un lien politique fort avec la diaspora.

 

En effet, le défi réside dans la mise en œuvre effective des orientations de Sa Majesté et des dispositions constitutionnelles, notamment pour garantir leur représentation parlementaire directe. Cela exige des ajustements techniques et juridiques, ainsi qu’un engagement accru des partis pour intégrer les compétences issues de la diaspora et élaborer des programmes répondant à leurs réalités, au-delà de simples discours de circonstance.

 

Intégrer pleinement les MRE dans le système représentatif permettrait aussi de renforcer la diplomatie parallèle du Royaume, en valorisant leur rôle dans les relations bilatérales, les investissements extérieurs et le rayonnement culturel du Maroc. Une telle démarche offrirait un nouveau souffle à la politique nationale et valoriserait l’apport stratégique de cette communauté.

 

-On parle aujourd’hui de l’abstention qui risque de peser lourd sur les prochaines élections. Partagez-vous ce constat sur la base de votre perception de la scène politique actuelle ? ?

 

Il est vrai de dire que l’abstention constitue grandement un obstacle structurel à la démocratie représentative. Si l’État porte la responsabilité de garantir des élections libres et équitables, la mission d’encadrement et de formation politique incombe principalement aux partis politiques.
 

Comme le souligne David Beetham dans The Legitimation of Power, la participation populaire est un pilier fondamental de la légitimité des institutions politiques. Un faible taux de participation fragilise le choix démocratique consacré par la Constitution de 2011 et ouvre la voie à des discours radicaux visant à délégitimer les institutions, réduisant ainsi l’adhésion citoyenne.

 

Ce phénomène d’abstention, observable de manière structurelle depuis au moins 2007, varie selon les circonscriptions mais reste globalement manifeste. La conjoncture économique et sociale difficile pourrait accentuer ce désengagement lors des prochaines élections. Une faible mobilisation favoriserait mécaniquement le parti obtenant la majorité relative des suffrages exprimés, même limités, et perpétuerait une configuration électorale insatisfaisante pour la majorité silencieuse des citoyens non votants.

 

Les jeunes représentent une catégorie particulièrement touchée par ce désengagement. Leur faible représentation sur les listes électorales et l’absence de relais politiques adaptés à leurs aspirations alimentent une forme de désaffiliation civique. Encourager l’engagement des jeunes, via des mesures de discrimination positive ou des quotas sur certaines listes, pourrait inverser cette tendance et revitaliser le lien entre citoyens et institutions.

 

-La réforme électorale a produit une assemblée parlementaire que certains jugent déséquilibrée avec trois partis ultra puissants qui forment la majorité aujourd’hui et une opposition très affaiblie. Quel est votre avis là-dessus ?

 

La réforme électorale a produit une assemblée parlementaire que certains jugent déséquilibrée avec trois partis ultra puissants qui forment la majorité aujourd’hui et une opposition très affaiblie.
 

Ce déséquilibre, bien qu’inscrit dans les règles du jeu démocratique, soulève des inquiétudes quant à la vitalité du débat parlementaire et au rôle de contre-pouvoir de l’opposition.

 

En effet, on se trouve devant un double vide. D’une part, les partis politiques, qui paraissaient solides sur le plan électoral, se trouvent fragilisés par l’absence d’un discours convaincant dans l’arène politique. D’autre part, le Parlement souffre d’une faiblesse structurelle : sa bipolarité est jugée largement formelle, l’opposition étant marginalisée et l’initiative législative concentrée entre les mains des groupes majoritaires, à l’exception de quelques voix isolées, actives dans les débats mais sans impact substantiel.

 








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