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Importation de pétrole : Rabat met le cap sur les barils russes [INTÉGRAL]


Rédigé par Mohamed ELKORRI Samedi 20 Septembre 2025

En février 2030, l'Union Européenne (UE) a entamé un embargo à l’encontre du pétrole russe, sur fond de la guerre russo-ukrainienne. Une aubaine pour certains pays non européens, notamment le Maroc qui multiplie ses importations depuis Moscou.



Depuis l’annonce de l’embargo européen sur le gaz russe, les pays d’Afrique du Nord sont devenus des clients « insatiables » des produits pétroliers russes, après l’exclusion de Moscou du marché européen. Comme les Vingt-Sept absorbaient 60 % des exportations russes de produits pétroliers, les sanctions de l’UE ont contraint la Russie à rediriger ses flux vers des marchés alternatifs afin d’amortir le choc économique. Au total, Moscou a exporté environ 994.000 tonnes de produits pétroliers vers les pays africains durant cette période. Le Maroc, à lui seul, en a importé près de 188.000 tonnes, soit une hausse de plus de 50.000 tonnes par rapport aux volumes enregistrés en juillet, selon le site spécialisé Inco. « Tanger Med, qui est le plus grand port d'hydrocarbures du Royaume et concentre le tiers des capacités nationales de stockage, est en passe de devenir une véritable plate-forme régionale en Méditerranée et en Afrique de l’Ouest », souligne Dr Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique à l’Université américaine des Émirats Arabes Unis à Dubaï. En février dernier, la Russie a d’ailleurs mis en place un nouveau point de transbordement en Méditerranée, au large des côtes marocaines. Le premier bénéficiaire fut le pétrolier VLCC Rolin, qui a chargé du brut de l’Oural transféré depuis le plus petit navire Serendi, au large de Nador.
 
Ce système permet d’acheminer le pétrole sur de longues distances tout en réduisant les coûts de transport. Mais il suscite de vives inquiétudes en Europe, particulièrement en Espagne, qui a déjà adopté des mesures pour freiner cette pratique. Auparavant, ces transbordements se faisaient près de Sebta, mais, sous la pression des autorités locales et de l’UE, ils ont quasiment cessé.
 
Le Maroc, plateforme régionale de redistribution
 
C’est ainsi que le Maroc s’est réservé une position stratégique dans le commerce régional des produits pétroliers, en sécurisant son marché intérieur tout en renforçant son rôle croissant de plateforme de redistribution. « En plus d’en tirer profit pour sa consommation interne, le Maroc peut servir de point de redistribution pour des pays d'Afrique subsaharienne. Il en a la capacité grâce à ses infrastructures portuaires de haut niveau, notamment Tanger Med et Mohammedia », explique El Yattioui, soulignant que le Royaume disposerait ainsi d’un atout supplémentaire en matière de diplomatie économique en Afrique.
 
Les données récentes de sociétés spécialisées comme Vortexa confirment cette tendance : depuis le début de l’année 2025, les importations marocaines de gasoil en provenance de Russie ont dépassé le million de tonnes, soit près de 25 % du total des importations de ce produit. À titre de comparaison, en 2024, le Maroc avait importé environ 6,5 millions de tonnes de gasoil, dont seulement 9 % d’origine russe. Cette évolution illustre donc une montée en puissance significative de la part russe dans l’approvisionnement du Royaume.
 
Parallèlement, le dynamisme à l’exportation est inédit. Entre mars et avril 2025, le Maroc a expédié près de 123.000 tonnes de diesel vers l’Espagne, soit davantage que le total cumulé des quatre années précédentes sur la même période. Plusieurs observateurs estiment qu’une partie de ce carburant pourrait provenir de Russie, même si l’origine exacte reste difficile à établir.
 
En 2023 déjà, la hausse des importations marocaines avait coïncidé avec une augmentation des exportations vers la Turquie et les îles Canaries, alimentant les soupçons de réacheminement de cargaisons russes vers l’Europe. Deux ans plus tard, ce scénario se confirme partiellement avec un Maroc qui se trouve désormais au cœur de ces flux de redistribution. Pour Rabat, la situation présente plusieurs avantages : sécurisation des approvisionnements à moindre coût, renforcement des stocks stratégiques dans un contexte de forte volatilité des prix, et consolidation de son rôle de hub énergétique régional, y compris à destination de l’Afrique subsaharienne.
 
Pragmatisme, mais vigilance
 
Sur le plan diplomatique, le Maroc tente tant bien que mal de maintenir l’équilibre. « Le Royaume ne fait pas partie des États qui ont imposé systématiquement un embargo complet sur les produits pétroliers russes, contrairement à l’Union Européenne. En maintenant cette latitude, le Maroc peut négocier ou importer selon les opportunités de marché tout en restant en conformité avec ses obligations internationales là où celles‑ci l’exigent, tout en évitant les risques excessifs de sanctions secondaires ou de ruptures d’approvisionnement », commente Yassine El Yattioui, Secrétaire général et chercheur associé à NejMaroc et enseignant-chercheur à l'Université Lumière Lyon 2. 
 
L’aspect pragmatique de cette position se manifeste également dans le coût différentiel entre les importations russes et celles provenant d’autres sources. Le prix négocié des produits russes s’établissait autour de 9.522 dirhams la tonne (≈ 916 USD), contre environ 10.138 dirhams (≈ 975 USD) pour les produits équivalents venant d’autres fournisseurs, ce qui représente une économie non négligeable dans un budget où les subventions aux carburants, la lutte contre l’inflation et la protection du pouvoir d’achat sont des priorités. « Cette marge contribue à atténuer les pressions inflationnistes dues à la hausse des prix du transport, de l’énergie et de la production, particulièrement sensibles dans les secteurs agricole ou industriel et dans les zones rurales ou moins favorisées », explique notre analyste.
 
Cela dit, l’aubaine semble pour le moment durable pour Rabat, tant que les sanctions occidentales demeurent en vigueur, le pétrole et les produits raffinés russes continueront à emprunter des circuits alternatifs, via une « flotte fantôme » et des pays de transit comme le Maroc.
 
Mohamed ELKORRI
 

3 questions à Yassine El Yattioui : « Rabat doit gérer cette stratégie en veillant à préserver sa souveraineté énergétique et diplomatique »

  • Pourquoi le Maroc continue-t-il d’importer du pétrole russe alors que ce dernier est soumis à des sanctions internationales ?
 
Le Maroc continue d’importer du pétrole russe, essentiellement du diesel ou des produits pétroliers raffinés, non par affinités idéologiques ou par simple défi vis-à-vis de la communauté internationale, mais parce que cette pratique s’inscrit dans une stratégie claire de préservation de ses intérêts nationaux, dans le cadre de la Vision Royale, où pragmatisme, sécurité énergétique et souveraineté priment. Dès lors, il est essentiel de comprendre que cette politique trouve sa justification dans trois ordres de réalités imbriquées : les nécessités économiques, les contraintes diplomatiques, et le rapport coût‑bénéfice évalué au plus haut niveau de responsabilité publique.
Le Maroc, en tant que pays importateur net d’énergie fossile, est fortement vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux de l’énergie. Le Royaume ne dispose plus de raffineries opérationnelles depuis 2016, ce qui le contraint à importer ses carburants raffinés. Dans ce contexte, les marchés pétroliers russes, soumis à des sanctions occidentales, proposent des produits à prix relativement réduits, parfois avec des coûts logistiques ou assurantiels amoindris, ou encore à travers des circuits indirects ou alternatifs, ce qui réduit le coût total borne‑usine ou borne‑port. 
 
  • Quelles sont les conséquences économiques et diplomatiques pour le Maroc liées à l’augmentation de ses importations de pétrole russe ?
 
L’augmentation des importations marocaines de pétrole russe, en particulier de gasoil et de diesel, produit à la fois des effets positifs et des risques dont Rabat doit tenir compte. Sur le plan économique, l’impact le plus immédiat est la baisse du coût d’approvisionnement. En achetant du carburant russe à des prix plus compétitifs, le Maroc limite l’effet des fluctuations internationales sur ses finances publiques, mais aussi sur le budget des importateurs privés et des secteurs fortement dépendants de l’énergie comme les transports, l’agriculture ou l’industrie. Cette stratégie permet par ailleurs d’épargner des devises étrangères, un enjeu crucial pour un pays importateur net de produits pétroliers, et elle contribue à stabiliser la balance commerciale et les réserves de change. Dans un contexte marqué par l’incertitude et les perturbations logistiques mondiales, disposer d’une source d’approvisionnement régulière constitue aussi un atout non négligeable. C’est dans ce cadre que le Maroc est devenu, dès 2023, l’un des plus grands importateurs de gasoil russe, profitant de la réorientation des flux après les sanctions européennes sur les produits raffinés.
 
Ces avantages ne doivent cependant pas masquer certaines vulnérabilités. La dépendance vis-à-vis d’un fournisseur placé sous sanctions comporte toujours une part d’incertitude. À court terme, les économies réalisées peuvent être érodées par la volatilité des prix russes, par l’augmentation des coûts de transport maritime ou encore par les frais supplémentaires liés aux assurances, à la conformité documentaire et aux risques logistiques. À long terme, un durcissement des sanctions ou le retrait d’intermédiaires clés comme les banques, les assureurs ou les transporteurs pourrait remettre en cause la continuité des approvisionnements et réduire les marges de manœuvre économiques.
 
  • Et sur le plan diplomatique ? 
 
Sur le plan diplomatique, la situation ouvre aussi des perspectives. Si le Maroc parvient à maintenir une transparence suffisante, à se conformer aux cadres internationaux et à diversifier ses sources, il peut transformer cette dépendance en levier. Il pourrait ainsi jouer un rôle d’intermédiaire entre différents blocs, se positionner comme un hub énergétique pour d’autres pays africains ou renforcer son dialogue avec l’Union Européenne en quête d’alternatives aux approvisionnements russes. Cela lui donnerait l’image d’un acteur pragmatique, capable de tirer parti des contraintes internationales pour renforcer son poids régional et global.
 
L’équilibre reste néanmoins délicat. Rabat doit gérer cette stratégie avec rigueur, en veillant à préserver sa souveraineté énergétique et diplomatique. Bien conduite, cette orientation peut générer des gains réels ; mal maîtrisée, elle risque de compromettre une partie de ces bénéfices et d’exposer le pays à des fragilités structurelles.
 

​Marché international : Malgré l’afflux africain, les recettes baisses !

L’Égypte a également doublé ses importations, atteignant 141.000 tonnes de diesel russe, tandis que la Tunisie a acquis près de 127.000 tonnes, selon le site spécialisé dans l’énergie et le pétrole Inco. Toutefois, malgré cette progression en Afrique du Nord, les exportations globales de diesel russe à l’international ont légèrement reculé en août, avec une baisse estimée à 3 %, pour s’établir à 3,8 millions de tonnes.Ce repli s’explique essentiellement par une réduction des livraisons vers deux grands clients traditionnels : le Brésil et la Turquie. Les importations brésiliennes ont chuté de 24 %, tandis que celles de la Turquie se sont réduites d’environ 1 %. En parallèle, les approvisionnements russes vers l’Asie ont enregistré une progression significative : plus de 542.000 tonnes de produits pétroliers y ont été exportées, dont près de la moitié à destination de la Chine.
 
Le site spécialisé souligne également un recul des importations de diesel et de gazole russes au Moyen-Orient. Le Liban n’a reçu que 6.000 tonnes, tandis que le Yémen en a importé 30.000 tonnes. Pourtant, à l’échelle globale, les exportations russes de produits pétroliers entre janvier et août ont progressé de près de 8 %, atteignant 32 millions de tonnes. Cette croissance est largement attribuable à la montée des expéditions vers l’Afrique.
 
Durant les huit premiers mois de l’année, les ports turcs ont accueilli plus de 10 millions de tonnes de produits pétroliers russes, soit une baisse annuelle de 7 % par rapport à la même période en 2024. De leur côté, les importations du Brésil ont diminué de 16 %, pour atteindre 5,2 millions de tonnes. Ce recul a ouvert la voie aux fournisseurs américains, qui ont multiplié leurs expéditions par quatre en près de sept mois, atteignant ainsi 2 millions de tonnes de carburants exportés vers le marché brésilien.



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