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Holy Ranaivozanany: “Entre l’Europe et l’Afrique, il y a eu pendant très longtemps une logique de donneur-receveur en matière d’aide"


Rédigé par Soufiane Chahid Mardi 3 Juin 2025

En marge du Ibrahim Governance Weekend, qui se tient à Marrakech du 1 au 3 juin 2025, nous nous sommes entretenus avec Holy Ranaivozanany, directeur exécutif adjoint à la Fondation Afrique-Europe, sur la situation actuelle et les perspectives des relations entre les deux continents.



-Selon vous, l'Afrique est-elle toujours une priorité pour l'Union Européenne ? 
 

L'Afrique doit rester une priorité pour l'Union Européenne. Nous comprenons bien qu'aujourd'hui, on est dans une situation qui est très compliquée.
 

On voit très bien les changements au niveau géopolitique, les tensions au niveau des frontières de l'Union Européenne, la guerre en Ukraine, donc nous savons qu'il y a énormément de priorités, notamment concernant le volet défense qui devient vital.
 

En revanche, je pense que cette relation avec l'Afrique est absolument primordiale. Ce n'est pas juste une question d'histoire commune, c'est aussi une question d'un futur commun.
 

Si on parle aujourd'hui de l'Europe, en pensant par exemple à sa transition énergétique, l'Afrique est un partenaire clé pour aller dans cette direction. Les minéraux critiques qui se trouvent en Afrique sont évidemment clés pour cette transition énergétique. 
 

L’Europe est un continent qui vieillit, et aujourd'hui, on a besoin évidemment d'un continent qui est jeune, qui est dynamique, comme en Afrique où on sait que plus de 60% de la population africaine dans les prochaines années aura moins de 25 ans.
 

Il faut que l'Europe garde ce cap, que ça reste une priorité, et qu'elle définisse aussi les sujets sur lesquels elle va travailler encore plus avec l'Afrique. Pendant de très longues années, il y a eu cette approche un peu donneur-receveur en termes d'aide, donc ça c'est fini aujourd'hui, le monde a changé, l'Afrique a aussi d'autres partenaires, donc si ce n'est pas l'Europe, ça va être les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Brésil et ailleurs. 
 

Donc il faut approcher cette relation de manière complètement différente, et aussi, d'avoir vraiment une relation d'égal à égal. L'égal à égal, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l'Afrique a des choses à offrir, l'Europe a des choses à offrir, et il faut que ce soit sur des termes qui soient égaux, qui soient plus justes.
 

Je vais vous donner un exemple sur ce terme-là: quand on parle par exemple du secteur de l'énergie. Vous savez qu'aujourd'hui, en Afrique, il y a encore 600 millions de personnes qui n'ont pas accès à l'énergie. Ça veut dire qu'aujourd'hui, il faut qu'avec l'Europe, on puisse travailler sur des solutions communes.

Il est essentiel de faciliter la production d’énergie en Afrique et de se demander quelle expertise l’Europe peut y apporter. De nombreuses initiatives existent déjà sur ce sujet. Une des plus récentes, par exemple, a été lancée par la Banque mondiale et la Rockefeller Foundation. L’Europe pourrait s’en inspirer et travailler en collaboration avec ses partenaires pour renforcer l’expertise, apporter un soutien technique, financier et humain, afin de faire avancer cette problématique cruciale pour l’Afrique.

Lors du Mo Ibrahim Governance Weekend, la question de la technologie est largement abordée, notamment celle des données : leur disponibilité, leur utilisation, et le rôle que l’Europe peut jouer en matière d’intelligence artificielle pour contribuer au développement du continent. Le Maroc est d’ailleurs un très bel exemple de ces avancées. Il s’agit de réfléchir à comment renforcer les échanges sur les capacités, la formation, et comment accompagner la croissance des startups et des projets technologiques sur le continent pour les aider à passer à l’échelle supérieure.

Pensez-vous que les engagements pris lors des sommets Afrique-Europe sont véritablement respectés, ou s’agit-il simplement de promesses qui restent lettre morte ?

Les engagements, ils vont dans les deux sens. C'est vraiment un engagement côté africain et côté européen. Donc nous, au sein de la Fondation, nous suivons ces engagements qui ont été pris.
 

En février 2022 s’est tenu le sixième sommet Afrique-Europe, où des engagements très clairs ont été pris dans des domaines tels que la santé, l’agriculture, l’énergie, la jeunesse et le multilatéralisme. De notre côté, nous avons tenté d’évaluer les progrès réalisés depuis ce sommet.
 

Des progrès ont été réalisés, et je pense qu’il est important de le rappeler. Par exemple, dans le domaine de la santé, des avancées notables ont eu lieu, notamment avec le développement de la production de vaccins dans huit pays, en collaboration avec l’Europe.
 

Sur le plan du multilatéralisme et de la représentation de l’Afrique au sein des institutions internationales, des progrès ont également été réalisés. Par exemple, l’Union africaine est désormais membre du G20, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’Europe a d’ailleurs été l’un des premiers partenaires à soutenir cette avancée importante pour l’Afrique.
 

En revanche, il reste des domaines où des progrès sont encore nécessaires. C’est notamment le cas des projets de mobilité, des initiatives en faveur de la jeunesse, ou encore du financement global. Sur ce point, l’Europe a mis en place le paquet d’investissements Global Gateway, doté de 150 milliards d’euros pour l’Afrique.
 

Il est important de rappeler que ce projet s’étend jusqu’en 2027, et qu’il est essentiel de suivre sa mise en œuvre, notamment dans des domaines tels que l’agriculture et l’énergie. C’est justement en veillant à ce que les engagements pris soient effectivement respectés qu’on peut recréer une relation de confiance. C’est la base d’une relation saine et durable.
 

On ne sait pas encore si le prochain sommet se tiendra d’ici la fin de l’année, mais nous l’espérons. D’ailleurs, une réunion ministérielle s’est tenue récemment à Bruxelles pour préparer cet événement. Ce sommet sera au cœur des priorités, et il est crucial de continuer à avancer sur ces dossiers.
 

La question du suivi de ce partenariat, qui n’avait pas été abordée jusqu’à présent, est un sujet sur lequel, au sein de la Fondation Afrique-Europe, nous travaillons déjà depuis deux ans. Cela se concrétise notamment par un outil de suivi en ligne, que nous mettons régulièrement à jour, ainsi que par la publication du rapport Afrique-Europe, que nous publions à intervalles réguliers.
 

Pour nous, ce suivi est crucial, et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes très heureux d’être ici. La Fondation Mo Ibrahim nous a également encouragés dans ce sens, ce qui conforte notre engagement. Il est essentiel de continuer à insister sur la question du financement. Car, même si un paquet d’investissements de 150 milliards d’euros a été annoncé pour l’Afrique d’ici 2027, il est évident que cela ne suffira jamais à couvrir l’ensemble des besoins de développement du continent.
 

Comment peut-on mobiliser plus de financement pour l’Afrique ?
 

Le financement, c’est aussi réfléchir à la mobilisation des ressources internes en Afrique. Prenons par exemple le sujet des flux illicites de capitaux : il s’agit d’un enjeu majeur, puisque près de 100 milliards de dollars quittent le continent chaque année sans bénéficier à son développement.
 

L’Europe a déjà fait un pas important dans ce domaine, en lançant l’an dernier l’initiative « Team Europe » pour lutter contre ces flux illicites. En tant que continent destinataire de ces capitaux, l’Europe travaille sur des mécanismes de rapatriement, en définissant des cadres à mettre en place et en engageant le dialogue avec ses partenaires, en particulier africains. 
 

Ces avancées montrent qu’il est nécessaire de se pencher également sur la manière dont l’Afrique peut mobiliser davantage de ressources internes pour financer son propre développement. Cela va être le cas pour les marchés carbone. Cela va être aussi le cas si on regarde la mobilisation des ressources domestiques. 
 

Il y a une réelle volonté et une dynamique en Afrique pour se recentrer, d’une part, et, d’autre part, pour identifier les moyens nécessaires afin de financer son propre plan de développement. Cela vient bien sûr en complément des financements externes et des investissements économiques.
 

Vous avez dit que l'engagement était des deux côtés. On a parlé de l'Europe. Pensez-vous qu'il y ait des engagements par l'Afrique qui n'ont pas été tenus? 
 

Quand il sort un communiqué, c'est un communiqué signé des deux côtés.
 

Nous nous engageons à travailler ensemble pour mettre en place ces projets. Quand je parlais du Global Gateway, il s’agit avant tout d’un financement destiné aux infrastructures. C’est crucial, car le continent africain a un immense besoin dans ce domaine.
 

Cependant, la réalité est qu’il existe encore peu de projets véritablement « bankable », c’est-à-dire attractifs pour les investisseurs. Beaucoup d’entre eux accusent un retard, soit parce qu’ils n’ont pas été bien préparés ou présentés, soit parce qu’ils ne répondent pas encore aux critères requis pour bénéficier de ces financements.
 

Il faut donc un travail conjoint entre l’Afrique et l’Europe pour améliorer cet alignement. Il est essentiel de se demander si ce que propose le Global Gateway correspond bien aux besoins spécifiques de chaque pays, et si ces pays disposent des projets et des conditions nécessaires pour les concrétiser. Un travail en amont est sans doute nécessaire pour mieux préparer ces projets et favoriser leur mise en œuvre.
 

-Est-ce qu’il s’agit simplement d’une assistance ponctuelle ? Il faut réfléchir davantage pour que cela ait véritablement du sens.
 

Un autre point essentiel : il faut aussi prendre en compte la diversité de l’Afrique. Le continent compte 54 pays aux réalités très différentes. L’Afrique du Sud, par exemple, n’a rien à voir avec l’Afrique du Nord. Certaines zones géographiques présentent également des spécificités particulières. Comment un paquet d’investissements pourrait-il intégrer cette diversité et établir des passerelles adaptées entre ces différentes régions ?
 

À mon avis, pour atteindre les engagements pris, il faut un dialogue continu, d’abord entre les institutions et les États membres, ce qui se fait probablement déjà, mais aussi un dialogue plus inclusif, impliquant davantage d’acteurs et de voix








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