Déposé en 2018, le projet de loi n° 10-23 relatif à l’organisation et à la gestion des établissements pénitentiaires n’a été promulgué qu’en juillet 2024, après plusieurs années de concertation et de débats. Ce nouveau texte, qui se substitue à la loi n° 23-98, vise à placer les droits des détenus au cœur du système carcéral marocain, en cohérence avec la Constitution de 2011, notamment son article 23, et avec les standards internationaux tels que les Règles Nelson Mandela de l’ONU.
Composée de 222 articles, cette loi est entrée en vigueur dès sa publication, à l’exception des dispositions relatives au bracelet électronique, en attente de textes d'application. Malgré ses objectifs louables, elle fait l’objet de critiques récurrentes portant sur des lacunes tant formelles que de fond, notamment en ce qui concerne les garanties effectives des droits humains en détention.
Un atelier organisé à Rabat le 13 juin 2025 par l’OMP et «Avocats sans frontières» a réuni divers acteurs pour débattre de cette réforme, sensibiliser aux enjeux qu’elle soulève et questionner les rôles confiés aux institutions officielles et aux organisations de la société civile dans l’accompagnement du milieu carcéral.
Dans cette dynamique, certaines dispositions de la loi suscitent de vives interrogations, notamment le pouvoir élargi accordé aux directeurs des établissements pénitentiaires, comme le souligne Abderrahim Jamai, bâtonnier de l’OMP. Ce pouvoir discrétionnaire, en particulier celui prévu à l’article 212 concernant l’octroi ou la suspension d’avantages aux détenus, nécessite la mise en place de mécanismes de contrôle plus transparents et rigoureux. La large marge d’interprétation laissée à l’administration, associée à la multiplication des textes réglementaires (au nombre de 17), est perçue comme une source d’insécurité juridique. Cela appelle à une clarification des règles, fondée sur la transparence, la proportionnalité et le respect des droits fondamentaux, ainsi qu’à une plus grande implication de la société civile dans le suivi des conditions de détention.
En réaction, Zaher Abou Taleb, représentant de la Délégation Générale à l'Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR), a souligné que "ce qui donne vie et portée aux textes juridiques ce sont les textes réglementaires", lesquels constituent, selon lui, le socle opérationnel du travail au sein des établissements pénitentiaires. Il a néanmoins précisé que la nouvelle loi a intégré certaines révisions qui, auparavant, figuraient dans le décret d’application du 3 novembre 2000, précisant les modalités de mise en œuvre de l’ancienne loi n° 23-98, et qui ont désormais été érigées au rang de dispositions législatives.
Sur cette problématique d’ambiguïté normative, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) avait, à travers ses avis et publications, formulé des réserves dès la phase d’examen parlementaire du projet de loi par la Commission de la justice et de la législation. L’institution avait en particulier dénoncé le recours à des expressions vagues telles que «il est permis», «en cas de nécessité», «en fonction des moyens disponibles», «dans la limite des moyens» ou encore «l’ordre et la sécurité». De telles formulations, selon le CNDH, confèrent à l’administration pénitentiaire une latitude d’interprétation excessive, ouvrant la voie à d’éventuels abus susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux.
Composée de 222 articles, cette loi est entrée en vigueur dès sa publication, à l’exception des dispositions relatives au bracelet électronique, en attente de textes d'application. Malgré ses objectifs louables, elle fait l’objet de critiques récurrentes portant sur des lacunes tant formelles que de fond, notamment en ce qui concerne les garanties effectives des droits humains en détention.
Un atelier organisé à Rabat le 13 juin 2025 par l’OMP et «Avocats sans frontières» a réuni divers acteurs pour débattre de cette réforme, sensibiliser aux enjeux qu’elle soulève et questionner les rôles confiés aux institutions officielles et aux organisations de la société civile dans l’accompagnement du milieu carcéral.
Dans cette dynamique, certaines dispositions de la loi suscitent de vives interrogations, notamment le pouvoir élargi accordé aux directeurs des établissements pénitentiaires, comme le souligne Abderrahim Jamai, bâtonnier de l’OMP. Ce pouvoir discrétionnaire, en particulier celui prévu à l’article 212 concernant l’octroi ou la suspension d’avantages aux détenus, nécessite la mise en place de mécanismes de contrôle plus transparents et rigoureux. La large marge d’interprétation laissée à l’administration, associée à la multiplication des textes réglementaires (au nombre de 17), est perçue comme une source d’insécurité juridique. Cela appelle à une clarification des règles, fondée sur la transparence, la proportionnalité et le respect des droits fondamentaux, ainsi qu’à une plus grande implication de la société civile dans le suivi des conditions de détention.
En réaction, Zaher Abou Taleb, représentant de la Délégation Générale à l'Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR), a souligné que "ce qui donne vie et portée aux textes juridiques ce sont les textes réglementaires", lesquels constituent, selon lui, le socle opérationnel du travail au sein des établissements pénitentiaires. Il a néanmoins précisé que la nouvelle loi a intégré certaines révisions qui, auparavant, figuraient dans le décret d’application du 3 novembre 2000, précisant les modalités de mise en œuvre de l’ancienne loi n° 23-98, et qui ont désormais été érigées au rang de dispositions législatives.
Sur cette problématique d’ambiguïté normative, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) avait, à travers ses avis et publications, formulé des réserves dès la phase d’examen parlementaire du projet de loi par la Commission de la justice et de la législation. L’institution avait en particulier dénoncé le recours à des expressions vagues telles que «il est permis», «en cas de nécessité», «en fonction des moyens disponibles», «dans la limite des moyens» ou encore «l’ordre et la sécurité». De telles formulations, selon le CNDH, confèrent à l’administration pénitentiaire une latitude d’interprétation excessive, ouvrant la voie à d’éventuels abus susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux.
Base juridique renouvelée : humanisation de la détention ?
La loi 10.23 s’inscrit dans une volonté claire d’humaniser la détention. Elle précise les droits des personnes détenues en matière de santé, d’hygiène, de communication, de formation et de réinsertion. Elle impose également la séparation des catégories (mineurs, femmes, malades, etc.) et prévoit des mécanismes de recours contre les décisions disciplinaires. En ce sens, elle reflète les normes contenues dans les Règles Nelson Mandela des Nations Unies.
Cependant, l’OMP estime que l’application de ces dispositions dans les établissements pénitentiaires reste, à ce jour, partielle et inégale. Sur le terrain, de nombreux obstacles structurels et budgétaires empêchent une mise en œuvre efficace. Selon Nadia Benhida, membre de l’Observatoire, des écarts significatifs persistent entre les ambitions de la loi et la réalité vécue au quotidien dans les établissements pénitentiaires. Certains centres souffrent encore de ressources insuffisantes pour assurer des soins de qualité ou organiser des activités éducatives régulières.
Impératif de gouvernance partagée et contrôle renforcé
La loi 10.23 intègre plusieurs mécanismes de contrôle judiciaire, administratif et institutionnel. Elle reconnaît explicitement le rôle des ONG dans le suivi des conditions de détention et de réinsertion ce qui constitue, selon l’OMP, une avancée notable. Le CNDH et la Commission nationale de prévention de la torture disposent désormais de prérogatives renforcées.
Pour autant, l’OMP souligne que l’effectivité de ces mécanismes reste étroitement liée à deux conditions essentielles : d’une part, la promulgation rapide des textes réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de la loi, d’autre part, le niveau de coopération réel entre les établissements pénitentiaires et les instances de contrôle.
La DGAPR a, de son côté, réaffirmé sa détermination à faire aboutir cette collaboration. Elle a mis en avant plusieurs avancées notables, en particulier la généralisation de la digitalisation des procédures et des mécanismes de travail, dans une optique de transparence accrue. Elle a également souligné l’ouverture manifestée à l’égard des différentes institutions habilitées à effectuer des visites régulières et à participer aux activités internes des établissements (associations, médias, ONG...).
Cependant, cette affirmation est vivement contestée par la présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), qui dénonce le silence persistant de l’administration pénitentiaire face aux demandes répétées de l’association pour accéder aux prisons. Selon elle, cette absence de réponse remet en question la sincérité de l’ouverture revendiquée par la DGAPR.
Dialogue institutionnel et complémentarité avec les peines alternatives
La promulgation concomitante de la loi 43.22 relative aux peines alternatives, en août 2024, ouvre la voie à de nouvelles pistes pour atténuer progressivement la surpopulation carcérale et proposer des réponses adaptées aux profils non dangereux. Si l’articulation réglementaire entre cette loi et la loi 10.23 reste à clarifier, leur complémentarité apparaît d’ores et déjà manifeste.
L’OMP insiste sur le fait que l’efficacité de cette synergie repose sur l’instauration d’un dialogue permanent entre les institutions concernées. Sur ce point, l’Observatoire a salué l’ouverture et la disponibilité de la DGAPR, qui a toujours répondu présent à ses activités thématiques, en participant activement aux ateliers et aux débats publics.
Force est d’affirmer que les réformes et les acquis enregistrés reflètent une volonté politique matérialisée par la volonté Royale de promouvoir la situation des prisons à travers des visites directes, la création de la Fondation Mohammed VI pour la Réinsertion des Détenus, la promotion du statut juridique de l’administration pénitentiaire et bien d’autres mesures prises dans ce sens. Par ailleurs, il convient de rappeler que la Constitution de 2011 a développé une nouvelle vision couvrant les établissements pénitentiaires et le contrôle des lois relatives à la détention et à la privation de liberté, dans le respect des droits de l’Homme, dont font partie les droits des détenus.
Cependant, la politique pénale dans sa globalité est aujourd’hui dans un tournant inédit et a besoin d’être complètement révisée des points de vue philosophique, législatif et politique, notamment à travers la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale. C’est ce chantier, reporté depuis plusieurs années, qui nous montrera dans quelle mesure le gouvernement est disposé à traduire sa volonté politique, annoncée en plans d’action et en une stratégie de qualité dans ce domaine.
3 questions à Nadia Benhida : « Sans une volonté politique renforcée, sans coordination réelle avec la société civile et sans ressources adéquates, la réforme pénitentiaire restera incomplète »

La coordinatrice nationale de l’Observatoire marocain des prisons (OMP), Nadia Benhida, répond à nos questions.
- Depuis l'entrée en vigueur de la loi n°10-23 quelles sont les observations récoltées de l'Observatoire concernant son application concrète au sein des établissements pénitentiaires ?
- Les dispositions relatives à la réinsertion des détenus vous paraissent-elles concrètes et réalisables ?
- De quelle manière les ONG participent-elles actuellement à la transparence et à la réforme du système pénitentiaire ?
Réhabilitation des jeunes détenus condamnés en vertu de la loi antiterroriste
Le Centre Moussalaha a lancé, le jeudi 12 juin 2025 à la prison locale de Salé, un programme de réhabilitation destiné aux jeunes détenus de moins de 20 ans condamnés pour des actes de terrorisme. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la stratégie du Centre visant à promouvoir la tolérance, à prévenir la radicalisation et à favoriser la réinsertion sociale de ces jeunes. Encadré par des experts spécialisés de la Rabita Mohammadia des Oulémas et du Centre Moussalaha, sous la supervision du Secrétaire général de la Rabita et président du Centre, Ahmed Abbadi, ce programme bénéficie à 19 détenus et s’étale sur 5 mois. Il repose sur deux axes majeurs : un accompagnement religieux et intellectuel et un suivi psychologique individualisé, avec l’implication des familles dans le processus de réhabilitation. À l’occasion du lancement, Ahmed Abbadi a animé une conférence sur des thématiques spirituelles et éducatives, à laquelle les jeunes ont réagi positivement, exprimant leur engagement à poursuivre ce parcours de transformation.