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Culture

Festival Gnaoua 2025 : Essaouira, au rythme des fusions du monde


Rédigé par Yassine Elalami le Dimanche 22 Juin 2025

Du 19 au 21 juin, la 26ème édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde a transformé Essaouira en un carrefour vibrant de traditions et d’avant-gardes. Concerts, rencontres et fusions inédites ont célébré un patrimoine vivant en dialogue avec le monde.



Sous un ciel drapé d’embruns atlantiques, Essaouira s’est une nouvelle fois métamorphosée en une grande scène à ciel ouvert. Du 19 au 21 juin 2025, la ville portuaire a accueilli la 26ème édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, célébration incontournable d’un patrimoine vivant, à la croisée du spirituel, du festif et de l’universel. Dans les ruelles de la médina, sur les remparts battus par les vents, aux abords des grandes scènes comme dans les espaces intimistes des lilas et des jam-sessions improvisées, résonnaient les voix, les cordes et les percussions d’une culture plurielle.

Dès l’ouverture, la traditionnelle parade des Maâlems, menée tambour battant dans les artères de la ville, a donné le ton. Des bannières colorées, des guembris en bandoulière, des crotales tintant à l’unisson, et une foule compacte, émerveillée, parfois émue. Le festival a renoué avec ses foules enthousiastes, renouant avec l’élan collectif, après plusieurs éditions marquées par les incertitudes sanitaires ou les contraintes logistiques. Cette année, la fréquentation a battu de nouveaux records.

Sur scène, la promesse était celle du dialogue. Celui des cultures, des générations, des genres musicaux. La fusion, qui est l’ADN du festival, s’est exprimée sous mille formes. Le légendaire Maâlem Majid Bekkas, enfant du Festival et figure tutélaire du genre, a livré une prestation mémorable avec son Joudour Project. Le groove gnaoui s’est ainsi frotté aux sonorités jazz, funk et indiennes, dans un maelström jubilatoire qui résume à lui seul l’ambition du festival : relier les traditions aux avant-gardes.

Au-delà des concerts, le festival continue d’investir le champ du dialogue et de la réflexion. Dans les « rencontres du festival », intellectuels, artistes, activistes et chercheurs ont débattu des mutations du monde, de la circulation des mémoires africaines, du rôle des femmes dans la transmission culturelle. Des moments plus feutrés, mais non moins vibrants, qui prolongent l’expérience artistique en une quête de sens.

Quand les artistes s’approprient l’héritage gnaoua…
 
Mais ce qui donne au Festival Gnaoua d’Essaouira toute sa vitalité, c’est cette capacité à susciter des relectures, à inviter des regards neufs sur une tradition séculaire. À l’image de Fehd Benchemsi, comédien reconnu sur les scènes marocaines et internationales, mais également musicien chevronné, qui a choisi d’explorer l’univers gnaoui à travers une approche volontairement décentrée.

« Je ne parle pas de fusion. Je parle d’échange, de rencontre. Je veux éviter d’absorber la musique gnaoua dans un univers autre que le sien. Ce que je propose, c’est une conversation entre sensibilités, où chacun reste entier », explique-t-il en marge de sa prestation à la scène de la plage, tout juste après un set intime mêlant chant, percussion et texte poétique.

Ce respect profond pour l’identité musicale gnaoua traverse également le travail de Majid Bekkas, figure pionnière des croisements entre jazz et musique gnaoua depuis plus de quatre décennies. Né à Salé mais originaire de Zagora, cet infatigable explorateur des sonorités africaines revendique une trajectoire enracinée dans la mémoire, mais tournée vers le monde.

« Le Gnaoua, pour moi, c’est une racine. Mais j’ai toujours voulu qu’il puisse dialoguer avec ses cousins africains. Le blues, c’est l’Afrique. Le jazz aussi. Avec le concept d’ « African Gnaoua Blues », j’ai cherché à retrouver ce lien profond, ce battement commun », confie-t-il après un concert enflammé donné au à la place Moulay Hassan, accompagné de son fidèle guembri.

Autre exemple de cette dynamique créative nourrie par la diversité marocaine : The Leila. Native d’Oujda, formée dans les méandres des musiques populaires de l’Est – du reggada à la mechiakha en passant par le chaâbi algérien –, cette jeune artiste incarne une nouvelle génération libre, intuitive, affranchie des cadres rigides. Sa performance sur la scène de la plage a conquis un public jeune, avide de sons hybrides et d’expériences sonores singulières.

« J’ai longtemps cherché une identité musicale, avant de comprendre que je n’avais pas à choisir. Mon inspiration vient de partout : la reggada, le gharnati, le raï, le gnaoui… Je suis Marocaine, donc multiple. Et c’est ça que je veux faire entendre », raconte-t-elle avec une énergie contagieuse.

La clôture en apothéose à la Place Moulay El Hassan
 
Il est un lieu qui, chaque année, cristallise l’essence du Festival Gnaoua : la Place Moulay El Hassan. Cœur battant d’Essaouira, elle s’est transformée, samedi soir, en un théâtre à ciel ouvert pour le concert de clôture. Les remparts vibraient, la foule affluait de tous les quartiers de la ville et au-delà. Il y avait dans l’air une ferveur collective, un sentiment d’être à la fois témoin et acteur d’un moment suspendu, à la frontière du profane et du sacré.

La soirée a démarré avec la chanteuse Hind Ennaira, enfant du pays, qui incarne avec panache la relève féminine de la scène gnaoua. Entourée de ses musiciens, elle a livré une prestation habitée, à la fois fidèle à la tradition et empreinte d’une énergie contemporaine. Son timbre, grave et puissant, a enveloppé la place dans une transe douce, magnifiée par les rythmes chaloupés de son guembri.

Puis vint l’un des temps forts artistiques de cette édition : la fusion orchestrée par le Maâlem Mohamed Boumezzough, figure respectée de la confrérie gnaouie. Entouré d’un casting cosmopolite – Anas Chlih (Maroc), Aly Keïta (Balafon, Côte d’Ivoire), Tao Ehrlich (batterie, France), Martin Guerpin (saxophone, France), Quentin Ghomari (trompette, France) et Hajar Alaoui (chant, Maroc) – il a proposé un dialogue exigeant, résolument contemporain. Un échange polyphonique, jouissif, où le guembri s’entrelace aux notes cuivrées du jazz européen, au balafon ouest-africain et aux envolées vocales d’un Maroc métissé.

Le relais fut ensuite pris par le charismatique Maâlem Omar Hayat, connu pour son sens de la scène et sa capacité à embarquer les foules. Vêtu de ses habits rituels scintillants, ses crotales claquant dans la nuit, il a transformé la place en un immense lila populaire, entre danse, chant, et invocation. La foule, compacte mais fluide, ondulait à l’unisson, entre ferveur spirituelle et joie profane.

Puis le ton a changé avec l’arrivée sur scène du phénomène cubain Cimafunk, star montante de l’afro-funk. Sa présence électrisante, son groove incandescent et ses clins d’œil à James Brown ou à la soul caribéenne ont transcendé les barrières linguistiques. Les corps ont suivi le rythme, en cadence ou en transe, dans une euphorie collective qui ne s’est jamais démentie.

La soirée s’est conclue sur une ultime fusion, symbole de la vocation du festival : Maâlem Khalid Sansi, maître respecté de Casablanca, est monté sur scène aux côtés de Cimafunk pour une performance fusionnelle inédite. Guembri et basse électrique, crotales et cuivres, transe gnaoua et pulsation funk ont cohabité sans jamais s’effacer, dessinant une passerelle musicale entre Essaouira et La Havane, entre mémoire africaine et modernité planétaire.

Lorsque les dernières notes se sont tues, que les projecteurs se sont éteints, il restait dans l’air une vibration sourde, comme un écho à la promesse du festival : faire du patrimoine une matière vivante, ouverte à tous les vents.



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