Le 28 octobre 2025, une intervention au Parlement a suffi à rallumer la controverse autour de la farine subventionnée, ce produit de base dont dépend une large partie des foyers modestes. En évoquant publiquement, dans une formule choc, une farine «mélangée à du papier moulu», l’orateur a frappé l’opinion par la brutalité de l’image. Mais le lendemain, il est revenu sur ses propos à travers une déclaration publiée sur ses réseaux sociaux, expliquant qu’il s’agissait d’une métaphore pour dénoncer les dérives et le manque de transparence dans la chaîne de subvention. L’épisode, largement commenté, a mis en évidence un malaise plus profond : celui d’un système perçu comme coûteux, mal contrôlé et peu transparent. Depuis plusieurs années, les associations de consommateurs dénoncent un dispositif dont les bénéficiaires réels se perdent entre l’État, les minoteries et les circuits parallèles. Cette affaire n’aura fait que révéler au grand jour un doute ancien : celui de la confiance dans la gouvernance même du pain quotidien.
Dispositif opaque ?
La farine nationale de blé tendre demeure l’un des piliers du système de compensation. Créée pour garantir un pain à prix abordable, elle repose sur une prime publique versée aux minoteries agréées. À fin 2024, l’Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses recensait 141 unités industrielles actives, dont 113 spécialisées dans le blé tendre, pour une capacité d’écrasement annuelle de 10,7 millions de tonnes, tandis qu’en 2023, la charge budgétaire liée au blé tendre et à la farine a dépassé 1,3 milliard de dirhams. Chaque quintal de farine subventionnée ouvre droit à une compensation de 143 dirhams versée aux minoteries par la Caisse de Compensation. Ce dispositif, censé amortir les chocs des marchés et soutenir les ménages vulnérables, reste difficile à lire pour le grand public : les chiffres sont connus, mais le parcours réel de la subvention entre l’État, les industriels et le consommateur final demeure flou.
Contrôle et suivi
Pourtant, les mécanismes de contrôle existent bel et bien : les minoteries sont tenues de déclarer leurs stocks et leurs ventes, et l’office dispose de services d’inspection chargés de vérifier la conformité des circuits subventionnés. Mais les résultats de ces contrôles ne sont pas rendus publics, entretenant la méfiance. Aucune analyse officielle n’a confirmé la présence d’éléments étrangers dans la farine, mais le simple fait qu’une telle idée ait trouvé un écho national montre combien la confiance est fragile. Des associations de consommateurs rappellent aussi que la gouvernance du secteur reste concentrée entre quelques grandes minoteries, ce qui complique la transparence et la traçabilité. Selon le ministère des Finances, plusieurs millions de quintaux de farine nationale ont été distribués en 2024 à prix réduit, principalement dans les zones rurales et montagneuses. Dans ces marchés, où le pain à 1,20 dirham reste le repère du quotidien, la moindre rumeur suffit à troubler la confiance envers un système que beaucoup ne comprennent plus vraiment.
Un système à revoir ?
La controverse éclate alors que le gouvernement engage une refonte du système de compensation. Pour stabiliser les prix, un mécanisme de soutien à la constitution de stocks de blé tendre importé a été instauré, plafonné à dix millions de quintaux. Le Projet de Loi de Finances 2026 prévoit une enveloppe de près de vingt-trois milliards de dirhams pour l’ensemble des produits subventionnés, signe que la facture sociale reste lourde. Mais au-delà des chiffres, la question est celle de l’efficacité. Plusieurs voix plaident pour l’ouverture réelle du marché : une concurrence encadrée, transparente et surveillée, qui garantirait à la fois la qualité et le juste prix. Dans le même temps, d’autres insistent sur la nécessité d’un registre social fiable, de lois économiques appliquées et d’une volonté politique capable de traduire les principes en actes. Sans ces réformes, la confiance restera le maillon manquant entre le budget public et la table des foyers.
Omar ASSIF
3 questions à Ouadie Madih, président de la FNAC : « Malheureusement, sur le terrain, on constate souvent qu’il n’y a pas de contrôle »
Président de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur (FNAC), Ouadie Madih répond à nos questions concernant le débat sur la farine subventionnée.
- Y a-t-il des mécanismes suffisants pour vérifier la qualité et la traçabilité des produits subventionnés comme la farine ?
Oui, en théorie et sur papier, la réglementation, les procédures de l’ONSSA, l’autocontrôle effectué par la minoterie… Il y a des lois, il y a des textes. Maintenant, la question est : est-ce que ces procédures se font réellement et exactement comme elles devraient ? Malheureusement, sur le terrain, on constate souvent qu’il n’y a pas de contrôle. Le débat actuel tourne autour de la farine nationale, un produit réglementé, dont le prix est fixé, et qui devrait être distribué à une catégorie vulnérable de la population. Selon les données collectées par notre réseau local d’associations, ce produit se vend plus cher que le prix théorique. Et surtout, il ne parvient pas toujours à la cible prévue, car il est souvent détourné. Il arrive que des sacs destinés aux régions éloignées reviennent dans les centres urbains pour être revendus à des fours clandestins. Nous avons dénoncé cela à plusieurs reprises.
- Vos relais sur le terrain vous signalent-ils aussi des problèmes de qualité ?
La qualité n’est pas aussi bonne que celle des produits vendus dans les centres commerciaux, c’est certain. Mais c’est normal : il existe plusieurs qualités de farine. La vraie question, c’est de savoir si cette farine subventionnée répond aux exigences normatives. En principe, elle devrait. Vérifier cette conformité incombe à l’ONSSA. Je rappelle aussi que ce qui a été dit au Parlement est réel : au-delà du quiproquo sur le papier et la farine, le problème de fond existe. Aujourd’hui, la subvention ne bénéficie pas entièrement aux populations cibles, ce sont surtout les minoteries qui en profitent. Les subventions dédiées à la farine ne profitent qu’en partie aux ménages concernés : selon nos estimations, seuls 20% des bénéficiaires réels sont ceux visés. Le système, en l’état, ne fonctionne pas.
- Faut-il alors passer à une aide directe ?
Oui, à terme. Le Registre social unifié peut être un outil efficace, à condition d’y mettre les garde-fous nécessaires. Il faut identifier clairement les ménages éligibles. Pour l’instant, nous n’en avons pas les conditions : le registre n’est pas totalement opérationnel, la loi sur la concurrence et celle sur la protection du consommateur sont mal appliquées. Tant que ces trois leviers ne fonctionnent pas ensemble, la subvention directe restera une bonne idée, mais impossible à mettre en œuvre correctement. Ce qu’il faut avant tout, c’est la volonté politique de faire appliquer les lois et les normes existantes et déployer les efforts nécessaires pour que le dispositif fonctionne efficacement et équitablement.
Réseau de distribution : Dans le monde rural, un pain sous tension logistique
Dans le monde rural, le pain quotidien dépend presque entièrement de la farine nationale subventionnée. Livrée par les dépôts communaux, cette farine est parfois acheminée avec retard, en raison des distances, de l’état des routes ou de la rareté des moyens de transport. Selon plusieurs associations locales de consommateurs, ces retards peuvent entraîner des ruptures temporaires d’approvisionnement, obligeant les boulangers à adapter leur production. Certains utilisent des mélanges de farines pour maintenir la qualité ou prolonger les stocks.Dans les provinces rurales, la FNBT (farine nationale de blé tendre) reste le principal levier pour maintenir le prix du pain autour de 1,20 dirham, conformément au prix plafonné par les autorités. Mais la qualité varie selon les lots, les conditions de stockage et la régularité des livraisons. Les représentants d’associations signalent aussi des écarts de prix ou de disponibilité liés à des intermédiaires, notamment quand la farine revient dans les centres urbains pour être revendue.
Dispositif : Du blé au pain, la mécanique d’un système public encadré
Derrière le prix stable du pain se cache un dispositif administratif destiné à maintenir l’accès des foyers modestes à un produit de base. La farine nationale de blé tendre (FNBT) provient du blé local ou importé, dont les prix de référence et les importations sont encadrés par l’Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL), qui supervise la chaîne de l’achat à la distribution et attribue des quotas aux minoteries agréées selon des volumes déterminés à l’avance. Ces minoteries reçoivent le grain à un tarif réglementé et produisent la FNBT selon un cahier des charges technique. Chaque quintal ouvre droit à une compensation publique de 143 dirhams, versée par la Caisse de Compensation, afin de maintenir le prix du pain autour de 1,20 dirham dans les zones rurales. En 2023, cette subvention a représenté plus de 1,3 milliard de dirhams pour l’État, auxquels s’ajoutent les aides à la constitution de stocks de blé tendre importé, estimés à environ dix millions de quintaux selon les dispositifs en vigueur.Une fois produite, la farine transite par des grossistes et dépôts communaux agréés, chargés de la distribuer dans les zones rurales et montagneuses. Les quotas provinciaux sont fixés par l’ONICL sur la base des besoins estimés par les délégations régionales. L’ONICL encadre le processus par des circulaires d’inspection et des contrôles périodiques. Le dispositif repose sur des déclarations administratives des minoteries et des délégations régionales. Un système utile, mais dont la lisibilité incomplète continue d’entretenir la méfiance du public.










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