À fin juin 2025, le Maroc et l’Égypte affichaient des chiffres quasi identiques en matière d’arrivées touristiques, avec 8,9 millions pour le premier et 8,7 millions pour le second. Pourtant, les recettes divergent radicalement, avec près de deux milliards de dollars de plus dans les caisses égyptiennes.Tandis que le pays des pharaons semble avoir bâti une offre touristique structurée, scénarisée et compétitive, le Maroc donne encore trop souvent l’impression de s’en remettre à son charme naturel, sans s’appuyer sur une véritable stratégie commerciale. « Ce qui nous a le plus choqués, ce sont les prix. On avait lu quelques commentaires, mais là, c’est vraiment abusé », confie un quarantenaire français venu en vacances avec sa femme et leurs deux enfants. Et la flambée ne concerne pas uniquement l’hébergement. À Marrakech, certaines vidéos devenues virales montrent des additions dépassant les 10.000 dirhams pour un simple dîner accompagné de quelques boissons, un café facturé 70 dirhams, ou encore la location d’un transat à 150 dirhams… et la liste est loin d’être exhaustive. Face à cette inflation jugée excessive, de nombreux Marocains choisissent de rester chez eux, ou, au mieux, de passer quelques jours à la plage pour faire plaisir aux enfants. Quant aux plus aisés, beaucoup préfèrent traverser les 14 kilomètres qui les séparent de l’Espagne pour profiter des tarifs plus raisonnables de la Costa del Sol. « Au moins, en Espagne ou au Portugal, on en a pour notre argent, et personne ne vient nous déranger à chaque coin de rue », explique Ahmed, habitué chaque été à prendre sa voiture et sa carte verte pour rejoindre, sans tarder, le Vieux Continent. Réduire cette décision à une simple fascination pour l’Occident serait une erreur. Le cœur du problème réside aussi, et surtout, dans la gestion défaillante de nos communes et l’anarchie qui règne dans nos villes, en particulier sur nos plages, souvent dépourvues d’équipements de base, de sanitaires, de poubelles, laissant les estivants livrés à eux-mêmes, sans autre choix que de dégrader malgré eux l’espace commun.
Dans de nombreuses zones balnéaires, des exploitants informels et des bataillons de pseudo-gardiens s’approprient illégalement les lieux, imposant leurs propres tarifs, parfois même sous le regard complaisant des autorités. De Martil à Agadir, en passant par M’diq, Saïdia, Taghazout ou Essaouira, les vacanciers témoignent d’un sentiment général d’être pris au piège du fait du harcèlement constant des démarcheurs et des services imposés sans accord préalable... Résultat des comptes : les réseaux sociaux regorgent de « bad buzz », ternissant l’image du pays au moment même où le Maroc investit massivement dans sa communication touristique, à l’approche de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030.
Dans de nombreuses zones balnéaires, des exploitants informels et des bataillons de pseudo-gardiens s’approprient illégalement les lieux, imposant leurs propres tarifs, parfois même sous le regard complaisant des autorités. De Martil à Agadir, en passant par M’diq, Saïdia, Taghazout ou Essaouira, les vacanciers témoignent d’un sentiment général d’être pris au piège du fait du harcèlement constant des démarcheurs et des services imposés sans accord préalable... Résultat des comptes : les réseaux sociaux regorgent de « bad buzz », ternissant l’image du pays au moment même où le Maroc investit massivement dans sa communication touristique, à l’approche de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030.
Des outils de signalement… mais une réactivité encore attendue
Face à la montée des abus, certains dispositifs de veille tentent de combler le vide institutionnel.
«Pour faire face aux abus constatés durant l’été 2025, nous avons renforcé notre dispositif de veille citoyenne. Grâce à notre plateforme de réclamation www.choubak-almoustahlik.ma, notre centre d’appel et nos guichets implantés dans 21 villes, les consommateurs peuvent signaler rapidement toute pratique abusive », nous indique Ouadie Madih, président de l’Association de la protection du consommateur. Chaque alerte fait l’objet d’un suivi. « Nous appelons également à la création d’un numéro national unique dédié aux abus touristiques, avec un engagement de réponse sous 48 heures. C’est en mobilisant les citoyens et en assurant un traitement rigoureux des plaintes que nous pourrons faire reculer l’impunité», souligne notre interlocuteur, qui appelle pourtant les autorités à redoubler les efforts pour capitaliser sur les acquis des dernières années.
Pour les professionnels du secteur, le problème est avant tout structurel, en raison d’une absence de vision harmonisée à l’échelle nationale. « Le Maroc dispose d’un potentiel touristique exceptionnel : une diversité naturelle remarquable, une richesse culturelle inestimable, un savoir-faire artisanal reconnu et une gastronomie raffinée. Pourtant, ce capital reste largement sous-exploité, faute de stratégie structurée », explique Sarah Ettalhaoui, experte des métiers du tourisme. Selon elle, l’offre reste trop morcelée, peu lisible et dépourvue de coordination ou de ligne directrice claire. « À cela s’ajoutent un déficit de professionnalisation dans plusieurs régions, l’absence de standards de qualité partagés, ainsi qu’un manque d’outils pour mesurer la satisfaction client ou la rentabilité », poursuit Ettalhaoui, notant que le résultat est une expérience souvent décevante, des prix mal justifiés et une destination qui peine à fidéliser malgré ses atouts.
Les professionnels pointent également un décalage croissant entre la réalité du terrain et le discours institutionnel. Tandis que les plaintes se multiplient, relayées par la presse étrangère et les plateformes spécialisées, la communication officielle continue de s’en tenir à des indicateurs bruts de fréquentation. Un discours perçu comme déconnecté, alors que l’expérience des visiteurs sur place se détériore visiblement.
Urgence d’un virage stratégique
Cela dit, le Royaume a prouvé par le passé sa capacité à se mobiliser avec des infrastructures modernes, de nouvelles dessertes aériennes et des campagnes de promotion ciblées. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus d’attirer les visiteurs, il faut les convaincre de revenir. Cela passe par une montée en gamme assumée, une offre lisible, des standards de qualité clairs et des mécanismes de contrôle efficaces. Sans une réforme profonde, le risque est réel de voir l’image du Maroc se fissurer, vidéo virale après vidéo virale, hashtag après hashtag. Cet été 2025 aurait pu être celui de la relance, mais il aura été celui du révélateur. Reste à savoir si, dans les mois à venir, le pays transformera cette alerte en électrochoc salutaire.
Yousra RHARDOUD
3 questions à Sarah Ettalhaoui : «Le Maroc mérite un tourisme pensé, sensible, structuré et inspirant»

Experte des métiers du tourisme, restauration et bien-être, Sarah Ettalhaoui a répondu à nos questions.
- Pourquoi le Maroc peine-t-il à transformer ses atouts touristiques en valeur ajoutée réelle ?
Le Maroc possède de riches atouts touristiques, mais peine à les transformer en bénéfices économiques durables à cause d’une offre dispersée, d’un manque de professionnalisation uniforme et de l’absence de données claires pour guider les stratégies. Pour y remédier, il faut structurer un écosystème coordonné avec des hubs régionaux, établir un référentiel qualité adapté et créer un Observatoire national du tourisme expérientiel. L’objectif est de passer d’un tourisme attirant à un tourisme rentable, durable et inspirant.
- Pourquoi observe-t-on un écart entre prix élevés et qualité d’expérience, et quelles en sont les conséquences ?
L’écart entre les prix élevés et la qualité réelle de l’expérience touristique au Maroc alimente souvent la frustration des clients, qui estiment ne pas en avoir pour leur argent. Ce décalage s’explique par une tarification inspirée de modèles étrangers sans lien avec la réalité du service, l’absence de normes de qualité partagées, et une approche court-termiste axée sur le profit immédiat plutôt que sur la fidélisation. Résultat : faible rétention des clients, perception de prix abusifs, notamment chez les Marocains et MRE, et risque de bad buzz amplifié par les réseaux sociaux. Pour y remédier, il faut repenser la promesse client en misant sur une expérience sincère et sensorielle, valoriser les attentions authentiques et former les équipes à comprendre les besoins variés des profils de voyageurs. Car aujourd’hui, ce qui marque et fidélise, c’est avant tout l’émotion ressentie.
- Quelles actions faut-il mettre en place pour structurer une offre touristique à la hauteur des attentes ?
Pour répondre aux attentes des voyageurs modernes, le Maroc doit offrir une expérience fluide, authentique et émotionnelle, en misant sur des parcours clients bien pensés, une formation humaine renforcée et des synergies locales entre hôtels, artisans, guides et producteurs. Des outils comme une application d’expériences ou des passeports sensoriels peuvent enrichir l’offre, tout comme une plateforme dédiée au “Made in Maroc”, valorisant les produits et savoirfaire locaux. Il est temps d’en finir avec le tourisme “copié-collé” ou figé. Le Maroc mérite mieux un tourisme pensé, sensible, structuré et inspirant.