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[ Entretien avec Larbi Jaïdi, Senior Fellow au PCNS ] Maroc-UE, définir une feuille de route en fonction des priorités


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Jeudi 5 Août 2021

En marge de la conférence sur le thème : « Peut-on dire aujourd’hui que Covid-19 a imposé un autre regard dans la nouvelle politique européenne de voisinage, notamment avec le Maroc ? », organisée récemment par le Policy Center for the New South (PCNS), en partenariat avec l’EuroMeSCo, M. Larbi Jaïdi, Senior Fellow de ce think tank de l’OCP apporte un éclairage de vaste auquel l’UE apporte son soutien.



Aujourd’hui, peut-on dire aujourd’hui que Covid-19 a imposé un autre regard dans la nouvelle politique européenne, notamment avec le Maroc ?
 
- La Covid a été durement ressentie en Europe et ses effets sont loin d’être contrôlés. Après un début hésitant où chaque pays européen cherchait sa propre méthode de gestion de la pandémie, l’UE a fini par engager des actions en profondeur et donner une plus grande cohésion à sa lutte contre la pandémie : politique concertée de la vaccination, coordination des politiques sanitaires, mutualisation des dettes et plan de relance massif etc…
 
Cette vision d’ensemble a été déclinée dans la politique extérieure et de coopération de l’UE, plus particulièrement sa politique de voisinage qui était en attente d’un nouveau lifting imposé par le vieillissement de son profil et de la perte de pertinence de ses approches. La politique de voisinage est à son troisième réexamen après les révisions intervenus en 2011 et de 2015. 

Quel est le nouveau regard porté par le nouveau cru ? Il est évidemment imprégné par le contexte de la Covid. Après concertation avec les pays du voisinage sur l’état du partenariat et sur les priorités, la nouvelle politique de voisinage voudrait épouser un nouveau profil caractérisé par une plus grande différenciation, une atténuation des conditionnalités et une appropriation mutuelle plus accrue.
 
La distinction entre le voisinage de l’Est et le voisinage du sud est plus marquée. L’Est est plus dans une logique d’intégration approfondie dans l’espace européen, de gestion concertée des conflits et d’approfondissement de la gouvernance. Le Sud, en l’absence d’une vision régionale partagée, fait prévaloir les relations bilatérales avec l’Europe, chaque pays définissant sa feuille de route partenariale en fonction de ses priorités tout en les insérant dans le même cadre thématique : relance économique, développement humain, sécurité, migration, gouvernance.
 
La nouvelle version de la PEV se distingue des précédentes par la création d’un instrument unique de financement du voisinage sensé assurera une plus cohérence aux interventions européennes. L’efficacité dépendra de la capacité de la PEV à se débarrasser des contraintes qui ont limité l’impact de ses versions antérieurs : la vision technocratique, unilatérale, asymétrique et trop peu partenariale.

 
- Vous avez animé dernièrement un webinaire sur la généralisation de la couverture maladie en cette période de Coronavirus. Quels sont les défis majeurs pour le Maroc ?
 
- Un chantier est à la fois volontariste et ambitieux. Il s’impose par la nécessité de redresser les dysfonctionnements des régimes actuels et d’étendre l’accès aux soins à de nouvelles catégories sociales, jusqu’ici peu couvertes comme les ramedistes ou exclues.
 
Le grand défi est celui de tracer un chemin de mise en œuvre permettant de réaliser une refonte profonde de la réglementation, du financement et de la gouvernance d’un système complexe dans un horizon court de deux ans. Le principal défi est celui de basculer vers un régime universel, ce qui suppose de réformer et harmoniser les régimes actuels (CNOPS et CNSS), reconvertir ou refondre le Ramed dans le nouveau système, étendre la couverture à des catégories sociales hétérogènes aux facultés contributives très disparates.

 
- Vous avez animé dernièrement un webinaire sur la généralisation de la couverture maladie en cette période de Coronavirus. Quels sont les défis majeurs pour le Maroc ?
 
Un chantier est à la fois volontariste et ambitieux. Il s’impose par la nécessité de redresser les dysfonctionnements des régimes actuels et d’étendre l’accès aux soins à de nouvelles catégories sociales, jusqu’ici peu couvertes comme les ramedistes ou exclues.
 
Le grand défi est celui de tracer un chemin de mise en œuvre permettant de réaliser une refonte profonde de la réglementation, du financement et de la gouvernance d’un système complexe dans un horizon court de deux ans. Le principal défi est celui de basculer vers un régime universel, ce qui suppose de réformer et harmoniser les régimes actuels (CNOPS et CNSS), reconvertir ou refondre le Ramed dans le nouveau système, étendre la couverture à des catégories sociales hétérogènes aux facultés contributives très disparates.


- L’UE compte appuyer le Maroc dans ce chantier. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ?
 
- L’appui de l’UE à la réforme de la protection sociale et à la mise en place de la couverture médicale de base n’est pas nouveau. Ces deux secteurs ont bénéficié de programmes dans les années 2008-2018). Ces programmes s’inscrivaient dans l'objectif de contribuer à garantir à l’ensemble de la population du Maroc l’accès aux prestations de soins de santé par la mise en application de la Loi 65-00 selon les principes de solidarité et d'équité.

Spécifiquement, ils ont consisté en le renforcement de la gouvernance de la réforme ; la réalisation des objectifs de couverture universelle; et le renforcement de la régulation sectorielle visant l'adéquation des services de santé à la demande. Dans la perspective du nouvel appui à la généralisation de la couverture maladie il serait judicieux que la partie marocaine évalue ces actions pour en tirer des leçons. Cela permettra d’innover, de développer de nouvelles approches pour améliorer la qualité de l’appui européen.

Il peut être aussi intéressant de savoir que peuvent nous apporter les expériences européennes dans la couverture médicale. Ces expériences sont variées, elles renvoient à des trajectoires historiques et institutionnelles différenciées. Traditionnellement, on oppose les systèmes « beveridgiens » (gestion par l’Etat) et les systèmes « bismarkiens » (assurances sociales).

En réalité, cette distinction ne suffit pas à rendre compte de la diversité organisationnelle des systèmes de couverture médicale : le niveau de décentralisation,  les modes de rémunération des producteurs, les modalités de participation financière des usagers  ou d’autres éléments contribuent à tracer au sein de ces grands modèles des lignes de partage importantes. Au-delà des convergences et des divergences entre les différents systèmes, l’évolution récente dans un certain nombre de pays européens montre que les systèmes de couverture médicale se caractérisent par une intense activité réformatrice, qui témoigne de la préoccupation permanente d’améliorer la régulation de systèmes confrontés aux mêmes enjeux : maîtriser les coûts, améliorer l’efficience, garantir l’égal accès aux soins.

Dans ces approches de régulation, les questions de financement, de gestion des régimes spécifiques aux travailleurs indépendants, de digitalisation de l’information et de gouvernance des systèmes sont cruciales. Ce sont là quelques questions qui sont revenus au-devant de la scène en cette période de crise pandémique où les régimes ont été secoués dans leurs équilibres fondamentaux.

La réflexion sur les réactions des décideurs pour concevoir les bonnes réponses à la menace de déstabilisation des systèmes de couverture peut être une source d’inspiration pour anticiper les risques qui pourraient perturber le fonctionnement équilibré notre système universel de couverture maladie en phase de construction. 


- Faut-il parler de préalables dans cet accompagnement ou pour cet appui ?
 
- A mon avis, la question ne se pose pas sous forme de préalables. Il s’agit d’assurer à l’appui de l’UE l’atteinte des résultats qu’il se fixe. L’accompagnement de ce projet devrait s’inscrire dans la refondation de relations partenariales équilibrées. Des relations bâties sur la confiance et le respect mutuel.
 
Le Maroc va certainement veiller à ce que les programmes et actions arrêtés d’un commun accord soient en cohérence avec les priorités nationales. L’UE devrait être à l’écoute de la demande marocaine et y répondre dans un esprit de solidarité.
 
A l’offre européenne construite sur une vision de la relance verte, de la résilience, de l’inclusivité et du développement humain, le Maroc a répondu en précisant ses priorités économiques et sociales. Des convergences se dessinent notamment sur l’appui de l’UE à la couverture médicale ou à la digitalisation.
 
D’autres domaines de coopération nécessitent d’être examinées avec plus de profondeur comme la décarbonisation, le soutien au développement des énergies renouvelables ou la gestion de la mobilité humaine. Un maître-mot conditionne l’établissement d’une feuille de route lisible : le retour de la confiance envers une union européenne qui semble en manque de cohérence dans la conduite de ses relations avec son voisin du sud le plus stable et le plus crédible dans ses choix de développement.

Un mot sur la coopération entre l’UE et le Maroc ?
 
- La coopération entre l’UE et le Maroc a franchi le demi-siècle d’âge si on mesure son parcours depuis le premier accord commercial signé en 1969. Son espérance de vie peut être allongée si elle prend soin de sa santé. Cette coopération n’a jamais été un long fleuve tranquille, elle subit les vagues optimistes des flux et celles pessimistes des reflux.
 
Nous gardons tous en mémoire les bras de fer des négociations sur les accords de pêche ou de l’agriculture ; les actions déstabilisantes de certains lobbys anti-marocains sur la question de l’intégrité territoriale ; les initiatives ou résolutions d’institutions européennes comme la Cour de Justice ou le Parlement. Le paradoxe est que le Maroc présente dans le paysage sud méditerranéen, de l’avis même de l’UE, le pays qui s’est engagé le plus et le mieux dans la construction d’un partenariat stratégique, fondé sur des valeurs partagées, ouvert au dialogue et respectueux de ses engagements.
 
Ce partenariat compte de nombreux acquis, il a néanmoins besoin d’être actualisé, voir même d’être revisité. Il a subi un coup de refroidissement ces trois dernières années. Nous restons loin des ambitions tracées par les orientations et les plans d’action du Statut avancé, notamment sur les questions du dialogue politique, de la gestion de la migration, de l’intégration approfondie, du transfert de l’acquis communautaire, de l’implication de la société civile dans la prise ne charge et l’appropriation du partenariat.
 
Nous sommes aujourd’hui dans un tournant. La nouvelle politique de voisinage ouvre des perspectives d’un réchauffement des relations dans un contexte qui reste néanmoins traversé par des tensions dans les relations bilatérales avec des capitales européennes et non des moindres. A force d’être ballotée par les contradictions des intérêts de ses membres et des visions de ses instituons, l’Union Européenne court le risque d’être de moins en moins séduisante pour ses voisins dans une Mare Nostrum qui se globalise et ne laisse pas indifférentes d’autres puissances affirmées ou émergentes.
 
Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE


 

Bon à savoir
 
M. Larabi Jaïdi est Senior Fellow au Policy Center for the New South qui se concentre sur l'économie internationale, le développement social, les relations internationales et les études méditerranéennes. Il est également membre de la Commission spéciale du Maroc sur le modèle de développement, dirigée par l'ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa. 

Ancien professeur à l'université Mohamed V de Rabat-Agdal, son domaine d'expertise comprend la politique économique, les relations économiques internationales (Europe et monde arabe) et l'économie des régions.

Il est membre fondateur du Centre Marocain de Conjoncture et du Groupement d'Etudes et de Recherches sur la Méditerranée…Quant au Policy Center for the New South (PCNS), c’est un groupe de réflexion marocain visant à contribuer à l'amélioration des politiques publiques économiques et sociales qui défient le Maroc et le reste de l'Afrique en tant que parties intégrantes du Sud global.

Le PCNS plaide pour un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant qui définit ses propres récits et cartes mentales autour des bassins méditerranéen et sud-atlantique, dans le cadre d'une relation prospective avec le reste du monde.








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