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Entretien : « Les contrats de franchise au Maroc connaissent un vide juridique qu’il faut combler »


Rédigé par Mehdi SALMOUNI-ZERHOUNI, Mardi 24 Novembre 2020

La franchise est une forme d’entreprise qui a fait ses preuves en termes de rentabilité. Elle souffre d’absence de réglementation dans la législation marocaine. Eclairage de M. Mehdi SALMOUNI-ZERHOUNI.



M. Mehdi SALMOUNI-ZERHOUNI, Juriste, expert international en droit des franchises et membre de l’AEI
M. Mehdi SALMOUNI-ZERHOUNI, Juriste, expert international en droit des franchises et membre de l’AEI
- L’Opinion : Le contrat de franchise est-il prévu par le droit marocain ?
- M. Mehdi SALMOUNI-ZERHOUNI : Pour répondre à votre question, je dois examiner avec vous les textes marocains. D’abord, la loi N° 17/97 prévoit seulement les contrats de licence de marque de fabrique, de commerce et de service, de brevets d’invention et de dessins et modèles industriels. La loi n°2.00 relative aux droits d’auteur et droits voisins ne prévoit, quant à elle, que les contrats de licence et de droits d’auteur. Aucun texte sur la Propriété Intellectuelle ne prévoit de contrats de franchise. Ensuite, le code de commerce ne parle pas du contrat de franchise : les articles 43 et 46 de ce code ne citent que les brevets d’invention exploités et les marques de fabrique, ou de commerce ou de service déposés par le commerçant ou exploitées par les sociétés.

Or, dans la définition du fonds de commerce, l’article 80 du même code, listant les éléments de celui-ci ne cite pas les contrats de franchise. Il indique que « le fonds de commerce comprend obligatoirement la clientèle et l’achalandage ».

Il comprend aussi « le nom commercial, l’enseigne, le droit au bail, le mobilier commercial, les marchandises, le matériel et l’outillage, des brevets d’invention, les licences, les marques de fabrique, de commerce et de service, les dessins et modèles industriels et généralement tous droits de Propriété Industrielle, littéraire ou artistique qui y sont attachés». Le code a omis de parler des contrats de franchise.

Sur le plan fiscal, les articles 126 et suivants du code des impôts ne parlent ni des contrats de licence ni de contrats de franchise pour les droits d’enregistrement. Les articles 129 et suivants relatifs aux exonérations n’en parlent pas non plus.

L’instruction générale n° 714 relative aux droits d’enregistrements du ministère de Finances parle dans la définition du fonds de commerce et notamment des éléments incorporels, «du nom commercial, l’enseigne, les procédés de fabrication, les marques de fabrique».

La circulaire n° 717 est plus explicite et fait référence seulement à la cession des droits de brevets, marques et locations d’objet et à la cession de droits d’auteurs. Les contrats de franchise sont ainsi exclus du code des impôts et des circulaires de la Direction Générale des Impôts. Ils échappent à tout contrôle fiscal.

- Peut-on définir le contrat de franchise malgré ce vide juridique ?
- En l’absence d’une définition précise, on invoque souvent l’article 230 du Code des Obligations et des Contrats (COC) qui dispose que «les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi». On invoque aussi l’article 230 du COC pour l’appliquer à la franchise. Je rappelle que le COC date de 1913 et que cet article n’est pas adapté au contrat de franchise qui est une notion récente dans le monde juridique, économique et des affaires et un mode moderne dans la distribution.

Les 1ères franchises commerciales sont nées en France vers les années 1928-1929. Aux Etats Unis, la franchise est apparue en 1930 pour contourner les lois anti-trust intervenant dans la distribution automobile et prohibant la vente directe aux consommateurs.

Selon le professeur Michel Kahn, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, il existe 5 grandes périodes de la franchise. 1970-1971 a vu la naissance de la franchise dans le Nord de la France.1971-1977 a vu son développement, par la création de la Fédération Française de la Franchise (FFF). 1977-1989, elle a connu un développement remarquable avec 675 réseaux recensés. Enfin, de 1989 à 1994, le nombre de réseaux a chuté à 400.

Le législateur français a sécurisé la position du franchisé. La loi n° 89-1008, dite loi DOUBIN, et son décret d’application (n° 91-337) a vu le jour. Elle avait pour but de clarifier les relations entre franchiseur et franchisé.

D’autre part, le règlement d’exemption catégorielle n°4087/88 de la Commission des Communautés européennes, entré en vigueur en 1991, a défini la franchise qui ne relevait pas de cette stratégie. A partir de 1994, le nombre d’enseignes a progressé pour passer à 571.

Quant à la définition, il faut rappeler les dispositions du droit comparé et notamment français :
L’article 1er de la loi DOUBIN définit la franchise comme suit :»Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s’engager en connaissance de cause».

Son décret d’application impose au franchiseur d’indiquer son ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

Avant cette loi, la jurisprudence a précisé 2 points essentiels : le franchiseur doit pouvoir communiquer aux franchisés son savoir-faire et leur apporter l’assistance voulue pour les mettre en mesure d’appliquer ses méthodes sans risquer que le savoir-faire et cette assistance profitent aux concurrents.

D’autre part, le règlement n°4078- 88, remplacé par le règlement n° 330/2010, précise qu’un accord de franchise doit comprendre : «l’utilisation d’un nom ou d’une enseigne commune et une présentation uniforme des locaux et/ou moyens de transport visés au contrat. La communication par le franchiseur aux franchisés d’un savoir-faire. La fourniture continue par le franchiseur aux franchisés d’une assistance commerciale ou technique pendant la durée de l’accord.»

La Commission a pris le soin de définir la notion de savoir-faire. Il s’agit d’un ensemble secret, substantiel et identifié d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du fournisseur et testées par celui-ci. Le droit marocain, quant à lui, ne définit pas le savoir-faire.

- Les contrats de franchises sont-ils consultables au Maroc ? Si c’est le cas, où peut-on le faire ?
- L’article 157 de la loi n° 17/97 dispense les contrats de licence de marque de l’inscription sur un registre dit «registre national des marques», tenu par l’organisme chargé de la Propriété Industrielle. Du moment que le contrat de licence a une existence juridique en droit marocain, la dispense doit s’appliquer aussi en vertu de l’accord maroco-américain de libre-échange. Par contre, le texte ne dispense pas de l’inscription des contrats de licence de brevets d’invention et des dessins et modèles industriels, de savoir-faire. 

Il faut savoir que le contrat de franchise est particulier et répond à des critères précis. Il doit être inscrit à l’Office Marocain de la Propriété Industrielle pour qu’il soit opposable et consultable.Cette formalité va aider les hommes d’affaires et les professionnels marocains à identifier les contrats de franchise au Maroc.

D’ailleurs, l’article 425 du COC précise que «Les actes sous seing privé font foi de leur date entre les parties, leurs héritiers et leurs ayants cause à titre particulier, agissant au nom de leur débiteur. Ils n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, soit au Maroc, soit à l’étranger, ou du jour où l’acte a été déposé dans les mains d’un officier public, ou encore de la date du visa ou de la légalisation apposée sur l’acte par un officier autorisé ou par un magistrat, soit au Maroc, soit à l’étranger».

Au moins, cet article donne la possibilité d’une date certaine. Les contrats de franchise ne sont donc pas consultables au Maroc ni par l’administration ni pas les tribunaux.

- Pouvez-vous nous donner quelques statistiques sur la franchise et son importance sur le plan économique ?
- La France est le 1er pays européen en termes de réseaux de franchise. En 2018, elle comptait 2004 franchiseurs et 75193 franchises. Le CA réalisé en 2018 est de 62 milliards d’euros. Il est de 67,80 milliards d’euros en 2019. Durant la même année, le secteur y a créé 757852 emplois directs et indirects. 30% de son activité est destiné à l’export. Au niveau international, l’Europe se place en 1er rang mondial avec 13000 franchises. Les USA en comptent 3000, 4000 pour la Chine, 1200 au Canada, 2426 au Brésil et 1180 en Australie.

Au Maroc, entre 1990 et 2000, la franchise s’est développée considérablement. Selon les chiffres officieux, on compte 650 réseaux de franchises avec 5000 points de vente. On ne connaît pas le nombre d’emplois créés et le CA réalisé, mais, malgré tout, le Maroc se positionne en 1ère place en Afrique du Nord et en Afrique. Il faut dire que la franchise est l’un des moteurs de la croissance. Elle est encouragée par le ministère du Commerce et de l’Industrie, mais elle se heurte au manque de structuration de ce secteur, et au manque de visibilité sur le plan douanier et fiscal pour les investisseurs marocains et étrangers.

- Quelles sont les solutions que vous proposez pour palier à ces manques ?
- Je propose au Directeur de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC) de créer au sein de l’institution une Commission multiparties ou une cellule pour mener une réflexion sur la franchise post Coronavirus, sachant que les jeunes diplômés peuvent trouver dans ce créneau une activité et une rentabilité. La franchise commerciale, industrielle et de service est l’avenir pour les jeunes marocains.

L’Institut Marocain de Réseaux de Franchise et de Partenariat et l’Institut Français des Réseaux de Franchise et de partenariat (IREF) peuvent apporter leur aide et leur concours à la Commission pour la réalisation d’un projet de franchise à la hauteur de notre marché. 

Je propose aussi que l’OMPIC se charge de la formation sur le plan national et international. C’est l’organisme le mieux placé pour cette formation.

Enfin, je rappelle que la plupart des contrats de franchise signés par les entreprises marocaines sont soumis au droit étranger en raison du vide juridique qui existe actuellement au Maroc et échappent ainsi au contrôle de l’Etat et notamment de l’administration fiscale.

Je propose que la franchise soit également enseignée dans les Facultés de droit et d’économie et dans les grandes écoles de gestion et d’administration, y compris l’Institut Supérieur de la Magistrature ou l’Ecole Nationale d’Administration.

M. Mehdi SALMOUNI-ZERHOUNI, Juriste, expert international en droit des franchises et membre de l’AEI









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