Ces dernières années, un enchaînement d’affaires de violences sexuelles sur des mineurs a provoqué un profond émoi au sein de la société marocaine. Le pédophile d’El Jadida, le viol de la fillette Sanaa à Tiflet, le meurtre du petit Adnane… tous ces horribles crimes ont remis sur la table la question de la protection de l’enfance au Maroc. En effet, le système judiciaire marocain s’est montré peu efficace dans la lutte contre ce fléau.
Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a été interpellé dernièrement sur la législation marocaine en matière de répression de ce genre de crimes. Lors de son passage à l’hémicycle, Ouahbi a suggéré aux députés l’établissement d’un Code spécifique à l’enfance, promettant ainsi un meilleur accès des victimes à la Justice.
Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a été interpellé dernièrement sur la législation marocaine en matière de répression de ce genre de crimes. Lors de son passage à l’hémicycle, Ouahbi a suggéré aux députés l’établissement d’un Code spécifique à l’enfance, promettant ainsi un meilleur accès des victimes à la Justice.
Situation alarmante
Abdellatif Ouahbi avait admis précédemment qu’en examinant l’arsenal législatif marocain, “il ressort que la situation de l’enfant et sa protection pénale nécessitent des efforts de réforme supplémentaires”.
Situation d’autant plus inquiétante que pour y remédier, le responsable gouvernemental dit consacrer “de grands chantiers législatifs”, notamment le projet de révision du Code pénal, du Code de la procédure pénale, et la loi sur les peines alternatives. L’objectif étant le durcissement des peines à l’encontre des auteurs de violences contre les enfants.
Ainsi, comme il existe un Code de la famille, un Code du travail et un Code de la route, il y aurait lieu de mettre en place un Code de l’enfance. Il est surtout étonnant que ce ne soit pas déjà le cas, alors que 41% des crimes violents qui ont été commis en 2022 l’ont été contre des enfants, portant à 3.295 le total des agressions sexuelles recensées la même année. En 2021, 6.314 cas ont été enregistrés : de l’attentat à la pudeur sur mineur, à la violence physique, l’enlèvement des mineurs, l’homicide volontaire. En 2020, 4.328 affaires ont été recensées.
Le constat alarmant selon lequel 9 enfants sur 10 sont victimes de violences au Maroc, tel que rapporté par l’UNICEF en 2020, confirme l’urgence et la gravité de la situation. A fortiori dans un pays où près d’un tiers de la population sont des enfants âgés entre 0 et 17 ans.
Un texte cohérent
Au fil des années, le Royaume a certes pu asseoir un arsenal juridique structurant. En plus des dispositions de la Moudawana, qui consacre une soixantaine d’articles à la protection de l’enfance, le Code pénal et le Code de la procédure pénale ont également consacré plusieurs articles à cette question.
Cependant, ces lois restent éparpillées et ne permettent pas d’avoir une approche globale de cette problématique, pourtant centrale pour le droit et la société marocaine. Selon les experts juridiques consultés par « L’Opinion », l’établissement d’un Code de l’enfance permettrait surtout de réorganiser les textes existants, et de concrétiser certaines avancées, notamment en mettant en cohérence les lois consacrées aux mineurs.
Mettre en place un Code de l’enfance aura aussi une portée symbolique certaine, et permettrait d’avoir une référence commune. Ce nouveau texte fondamental renforcera ainsi la protection de l’enfance dans notre pays.
“Compte tenu de l’évolution de la société, une loi spécifique protégerait l’enfant contre certaines violations, telles que celles qui portent atteinte à son droit à l’image, notamment sur Internet, ainsi que l’atteinte à son intégrité physique et psychologique”, nous a affirmé Rabii Chekkouri, ancien avocat du Barreau de Lyon, inscrit actuellement au Barreau de Rabat.
Mais, la concrétisation d’une telle action nécessite des ressources humaines importantes et des moyens à mettre à disposition des juridictions spécialisées, des juges des enfants, des assistants sociaux, des psychologues…
“Cette initiative s’ajouterait aux efforts que le Maroc a déployés depuis plusieurs années en matière de protection pénale de l’enfance, notamment par la création de parquets spécialisés au sein des juridictions”, poursuit notre expert.
Nonobstant les énormes défis, le projet de Code de l’enfance s’affirme comme l’une des pièces manquantes pour compléter le puzzle et boucler définitivement le processus d’harmonisation de la législation nationale aux standards internationaux de protection de l’enfant. Mais pour y parvenir, le chemin à parcourir est bien plus long qu’il n’y paraît.
Trois questions à Rabii Chekkouri : “Les difficultés que le Maroc pourrait rencontrer seraient d’ordre pratique”
Ancien avocat du Barreau de Lyon et membre de l’Association Européenne des Avocats “International Lawyers Network”, Maître Rabii Chekkouri répond à nos questions.
- Quelle serait l’utilité d’établir un Code spécifique à l’enfant au Maroc ?
Étant partie à la Convention onusienne relative aux droits de l’enfant de 1989, le Maroc se rallierait aux États qui ont adopté des lois internes davantage plus précises en matière de protection de l’enfant. En effet, un Code de l’enfant serait une concentration de mesures protectrices de l’enfance permettant de prévenir certaines violations de droits fondamentaux. Compte tenu de l’évolution de la société, une loi spécifique protégerait l’enfant contre certaines violations, telles que celles qui portent atteinte à son droit à l’image. Partant, ce Code pourrait prévoir un certain nombre de dispositions pénales qui répriment de manière spécifique certaines atteintes à l’enfance.
- Quelles sont les difficultés que le Maroc pourrait rencontrer lors de ce processus ?
Le Maroc s’est déjà inscrit dans le processus de protection civile et pénale de l’enfance. Or, cette initiative d’adoption d’une loi spécifique serait une mesure supplémentaire qui renforce l’arsenal législatif existant en la matière. Cependant, les difficultés que le Maroc pourrait rencontrer seraient d’ordre pratique vu le manque de moyens humains et financiers affectant les secteurs de la Justice, de l’Education et de la Santé.
- En tant qu’ancien avocat inscrit au Barreau de Lyon, quelles leçons le Maroc peut-il tirer de l’expérience d’autres pays, notamment la France ?
La France avait adopté une loi en 2019 interdisant les violences physiques et psychologiques dans le cadre de l’éducation parentale. Cette loi rappelle que l’autorité parentale s’exerce indépendamment de tout mauvais traitement justifié par les besoins d’éducation. S’agissant des atteintes sexuelles, le Code pénal français a connu au fil des années plusieurs réformes renforçant la protection des mineurs victimes d’abus. En 2021, la France a adopté le Code de la Justice pénale des mineurs. Ce Code prévoit un certain nombre de mesures procédurales permettant de juger, de façon adaptée, les enfants suspectés d’avoir commis des infractions.
Trois questions à Maître Iliass Hrouza : “Il faut rétablir le statut de l’enfant rural et le considérer avec une attention particulière…”
- Comment évaluez-vous la place de l’enfant dans l’édifice législatif marocain ?
La législation marocaine a tracé des sillons significatifs dans la réglementation et l’encadrement de la condition enfantine, répondant aux appels Royaux, aux échos des instances internationales et aux conventions internationales. Néanmoins, au sein de cette constellation de lois, persistent des éclipses de réflexion qui appellent à la révision, à une loi plus vivante, se moulant aux contours de l’ère d’aujourd’hui.
- Le ministre de la Justice a suggéré la création d’un Code spécifique à l’enfant. Quels défis pourrait rencontrer le Maroc s’il optait pour un tel choix ?
A commencer par le facteur temps. En effet, la création d’un Code spécifique nécessite beaucoup de temps pour convier les différentes voix du chœur social et juridique, des avocats aux experts, des magistrats aux éducateurs, afin de conserver l’approche participative dans le processus décisionnel. En passant par le problème de la complexité et de la dispersion des dispositions liées à l’enfant...
- De votre point de vue d’avocat, quelles sont les questions qui méritent plus d’attention si le nouveau Code est établi ?
L’amélioration de la situation de l’enfant est liée à la garantie d’une protection légale adéquate dans tous les domaines, en mettant l’accent sur les droits fondamentaux. Cependant, cela ne se réalisera que si l’État assume pleinement sa responsabilité en tant qu’État social, et nous proposons dans ce cadre la création d’un Fonds spécial pour l’enfant, qui lui garantit l’ensemble de ses besoins et des nécessités dans les cas où ils ne peuvent pas être fournis légalement par ceux qui en sont responsables. Il faut s’attaquer ainsi à la garde, à la protection pénale, à la scolarité obligatoire, sans oublier les bourses destinées aux élèves tant en milieu urbain que rural... Particulièrement, il est crucial de rétablir le statut de “l’enfant rural” et de le considérer avec une attention particulière dans tous les aspects de l’élaboration du Code.
Protection de l’enfance : L’expérience française
Dans ce sens, le Maroc peut s’inspirer de plusieurs expériences de pays qui se sont déjà engagés dans la lutte contre la délinquance des plus jeunes. Texte fondateur de la Justice pénale des mineurs en France, l’Ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante reposait sur trois principes : excuse de minorité qui permet à un mineur de ne pas être puni au même titre qu’un adulte, primauté de l’éducatif sur le répressif et spécialisation des juridictions. Toutefois, depuis 1945, les choses ont bel et bien évolué. Le 30 septembre 2021 marquait la première année de l’entrée en vigueur du Code de la Justice pénale des mineurs (CJPM) en France. La République a légiféré un Code qui regroupe l’ensemble des dispositions civiles et pénales qui concernent les enfants en danger. Néanmoins, l’expérience pratique d’au moins deux ans a soulevé moult difficultés, en tête desquelles figure l’insuffisance des moyens humains et des professionnels qui concourent à l’assistance et à la prise en charge des mineurs ou des enfants, de même que pour les moyens matériels. Au-delà de la problématique des ressources, l’insuffisance de ce que les Français qualifient de “renseignements socio-éducatifs” s’est avérée un obstacle majeur face au temps judiciaire “restreint”. Par ce terme, on entend un recueil établi par un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse en vue de mieux cerner la personnalité et le contexte de vie d’un mineur poursuivi en Justice. A cela s’ajoutent la déperdition du rôle du juge des enfants dans le suivi des jeunes, la gestion des mineurs non accompagnés (MNA) et l’enfermement des mineurs dans les Centres Éducatifs Fermés (CEF).