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CEDEAO : Pourquoi l’adhésion du Maroc traîne autant ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mercredi 10 Janvier 2024

Le retard de traitement de la demande d’adhésion du Maroc à la CEDEAO soulève plusieurs questions sur cette initiative qui fait face à plusieurs entraves. Décryptage.



Cela fera bientôt sept ans que le Maroc attend une réponse de la part de la Communauté Economique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à laquelle il veut adhérer. Le 24 février 2017, le Royaume a déposé une demande d’adhésion. Bien qu’il ait eu un accord de principe, annoncé en 2018, qui fut salué avec enthousiasme lors de son annonce, la réponse semble tarder au point qu’on croit de plus en plus que le sujet n’est plus à l’ordre du jour. Après tant d’années de suspense, le retard d’une réponse finale et formelle est tel que plusieurs observateurs commencent à se poser légitimement des questions sur le sort de la requête marocaine. S’agit-il d’un blocage ? Personne ne saurait le confirmer ou l’infirmer tant l’opacité règne sur ce dossier. Actuellement, rien ne laisse augurer d’une nouveauté, apprend-on de sources bien informées.
 
À entendre parler les diplomates des Etats concernés, on comprend bien que ces derniers affichent des réserves et veulent le maximum de temps possible pour examiner cette adhésion qui aurait des effets irréversibles sur l’avenir de la CEDEAO. “Nous pensons que l’arrivée du Maroc doit être suffisamment étudiée pour déboucher sur un partenariat réciproquement bénéfique. En attendant, les milieux d’affaires de tous les pays de la communauté doivent se préparer à leur tour”, lâche un diplomate d’un Etat ouest-africain sous couvert d’anonymat.
 
Même si les conclusions de l’étude d’impact sont plutôt favorables à l’adhésion du Maroc, certains pays se montrent encore réticents. Ils redoutent les effets de son entrée sur leurs économies. L’étude d’impact réalisée en 2017 traduit ces préoccupations. La compétitivité est l’un des arguments qui ressortent le plus sur la liste des réserves. On craint les décalages entre l’économie marocaine et celles d’une partie importante des pays de la région, qui pourraient, dans l’hypothèse d’un marché unique, aboutir à des déséquilibres commerciaux à leur désavantage. Les projecteurs sont braqués sur la balance commerciale qui reste excédentaire en faveur du Maroc. En plus, le fait que le Royaume soit signataire de plusieurs accords de libre-échange pousse les Etats membres à revoir leurs cartes. Mais l’étude d’impact réalisée en 2017 dit clairement que l’adhésion du Maroc pourrait potentiellement renforcer le commerce au sein de la CEDEAO.
 
Aussi, quelques Etats membres redoutent qu’ils ne soient pas assez compétitifs à court terme. Par contre, l’arrivée du Maroc est jugée bénéfique dans certains secteurs, tels que l’agriculture, dans lesquels les pays de la communauté peuvent bénéficier plus des produits du Royaume grâce au démantèlement des tarifs. Aussi, la capacité d’investissement du Maroc par ses champions nationaux dans plusieurs secteurs, tels que la banque, l’assurance et le transport aérien, est-elle perçue comme un facteur de réserve. L’adhésion du Royaume risque d’accélérer le rythme des investissements de façon difficilement prévisible, selon l’étude.
 
Des réticences justifiées ?
 
On a tort de remettre en question la demande du Maroc, pense Cheikh Tidiane Gadio, ex-ministre des Affaires étrangères du Sénégal.  “On ne peut pas reprocher au Maroc ses succès en Afrique et son volontarisme économique. A nous de faire de même et pourquoi pas aller vers le marché marocain, rien ne nous empêche”, explique-t-il, ajoutant que cette façon de voir les choses signifie qu’on cherche toujours le problème au lieu de voir les opportunités.  
 
De son côté, Mouhamed Koudo, ex-diplomate au Parlement de la CEDEAO, juge que le processus de l’adhésion du Maroc suit son cours en dépit de la résistance de “lobbies” qui plaident contre.  Notre interlocuteur reconnaît pourtant que l'adhésion du Maroc à la CEDEAO prend autant de temps en raison de la complexité inhérente à l'intégration d'un pays dans une organisation régionale.
 

Critères de convergences, monnaie unique… Des équations difficiles
 
En effet, la convergence des politiques économiques et la libre circulation des biens et des personnes demeurent complexes à examiner tant les défis sont nombreux.  Sur ce point, le Maroc respecte tous les critères de convergence, selon l’étude d’impact. Mais la question de la monnaie unique pose quelques difficultés sur le plan technique, sachant que même la CEDEAO n’a pas encore tranché la question du passage vers la nouvelle monnaie “eco”. Le sort du dirham et la cohabitation avec la monnaie commune posent aussi une sérieuse équation.
 
Un contexte géopolitique opportun ?
 
Au-delà des complexités économiques, l’adhésion du Royaume au bloc ouest-africain entraînerait des défis géopolitiques. Dans une note publiée par l’Institut Amadeus, Boussou Cissé, ministre de l’Economie et des Finances du Bénin, voit que des pays comme le Nigeria craignent pour leur leadership économique régional. Force est de constater que les milieux d’affaires de ce pays se sont déclarés défavorables à l’arrivée du Maroc. La supposée réticence du Nigeria pousserait les autres pays de la région à ouvrir les bras au Royaume pour réduire leur dépendance vis-à-vis d’Abuja, selon Cissé. Par ailleurs, on oublie souvent la question du Sahara. L’adhésion du Maroc implique que les Etats de la Communauté adoptent une position commune sur ce dossier. 
 
Par ailleurs, il serait difficile d’envisager une telle adhésion dans le contexte actuel si agité, au moment où les tensions règnent au sein de la CEDEAO entre la commission et plusieurs pays où ont lieu des changements de régime. A cela s'ajoutent les nombreux défis sécuritaires qu’il faut résoudre. “Dans le contexte actuel, la CEDEAO, telle qu’elle est actuellement, ne fonctionne pas et ne donne pas les effets escomptés puisque l’Union économique seule semble ne pas servir à souder les pays de la région et semble paralysée”, déplore M. Gadio à cet égard. Au milieu de ce contexte mouvementé, Mouhamed Koudo reste pourtant optimiste et juge que l’adhésion du Maroc est “irréversible” quoi qu’il en soit vu la profondeur du partenariat qui le réunit avec les pays de la région. 


Trois questions à Cheikh Tidiane Gadio “Il faut sortir des dogmatismes économiques dont nous étions prisonniers”

Cheikh Tidiane Gadio, ex-ministre des Affaires étrangères du Sénégal, a répondu à nos questions.
Cheikh Tidiane Gadio, ex-ministre des Affaires étrangères du Sénégal, a répondu à nos questions.
  • A votre avis, l’adhésion du Maroc à la CEDEAO est-elle toujours envisageable ?
 Il faut s’assurer de quelques conditions préalables, dont la question douanière. Il est important d’examiner l’union douanière et le démantèlement des tarifs. Aussi, faut-il envisager le système de la non-double imposition. Tout cela doit se faire de sorte à s’assurer que le système soit le maximum possible bénéfique à tout le monde. Pour ma part, l’adhésion du Maroc me paraît évidente vu sa profondeur stratégique africaine. Mais je pense qu’il faut un travail de pédagogie puisque plusieurs des Etats se posent la question de savoir ce qu’ils vont gagner de l’adhésion du Maroc et se posent des questions sur l’impact de cela sur les équilibres commerciaux.
 
  • Pensez-vous que l’impact de l’initiative de l’accès à l’océan atlantique est bénéfique à la CEDEAO ?
 Les échanges intra-africains demeurent très faibles par rapport au potentiel réel qui existe parce que nous avons malheureusement des économies extraverties tournées essentiellement vers l’Europe et l’Asie. Cela provoque des faiblesses structurelles, dont les infrastructures qui ne sont pas à la hauteur des ambitions économiques que l’on se fixe.  L'initiative pour l’accès à l’océan Atlantique est une grande opportunité. Cette idée a commencé à germer quand je fus ministre des Affaires étrangères. Il y avait eu des discussions sur les possibilités d’ouvrir des corridors au niveau de l’Atlantique Ouest.  C’est une façon de sortir des dogmatismes économiques auxquels nous étions prisonniers et qui nous berçaient d’illusions. On croyait qu’on pourrait s’en sortir au sein des blocs régionaux comme la CEDEAO, mais on se rend compte maintenant que rien ne fonctionne correctement. La CEDEAO s’est effondrée malheureusement. Le Maroc donc veut saisir l’opportunité de sa proximité géographique avec les pays de l’Ouest pour amorcer un véritable déclic commercial, d’autant plus que l’Atlantique est un espace qui regorge d’opportunités inexplorées jusqu’à présent, dont l’ouverture sur le marché américain dans son ensemble. 
 
  • Concernant la monnaie unique, pourquoi est-il si difficile de parvenir à une formule fluide pour l’entrée du Maroc ?
 Je trouve que les Etats-membres de la CEDEAO n’ont pas pris assez de temps pour effleurer le sujet assez consciencieusement et déceler les opportunités et les obstacles pour pouvoir harmoniser les règles de façon à faciliter l’entrée du Maroc. Quand le Royaume a fait sa demande, la communauté voulait lancer sa monnaie commune. Tout le monde sait que le Royaume a sa propre monnaie qui est solide. L’adhésion à la CEDEAO implique des changements. La monnaie commune ne signifie pas exclusivement monnaie unique. Le franc CFA est certes une monnaie commune, mais pas la monnaie unique de l’ensemble des Etats membres.

Trois questions à Mouhamed Koudo “Il est de l’intérêt des pays de la CEDEAO de faire bloc avec le Maroc”

Mouhamed Koudo, ex-diplomate au Parlement de la CEDEAO, dont il était porte-parole de 2016 à 2020, a répondu à nos questions.
Mouhamed Koudo, ex-diplomate au Parlement de la CEDEAO, dont il était porte-parole de 2016 à 2020, a répondu à nos questions.
  • A votre avis, pourquoi l'adhésion du Maroc prend-elle autant de temps ?
 
Il est important de noter que, d'habitude, l'adhésion d'un nouveau membre à une organisation régionale nécessite une réflexion approfondie et une harmonisation des intérêts de tous les membres de cette même organisation. A mon humble avis, il est de l’intérêt des pays de la CEDEAO de faire bloc avec le Maroc, pour faire face aux autres blocs économiques mondiaux comme l’Asie, l’Europe et les Etats Unis. L'union de nos forces est le seul moyen pour engager le développement de nos pays sur la base de nos propres ressources internes.
 
  • Quel rôle peut jouer le Parlement de la Communauté dans le traitement des demandes d’adhésion ?
 
Le Parlement de la CEDEAO joue un rôle crucial en tant qu'organe consultatif, représentant les peuples de la région et travaillant à promouvoir la paix, la stabilité et le développement. Cependant, son influence est souvent perçue comme étant limitée par les pouvoirs exécutifs des États membres. C'est pourquoi, dès l'arrivée du Président Cissé Lo en 2016, l’objectif était de renforcer ses prérogatives avec l'aval des Chefs d'Etat. Ce qui a été fait avec l'acte Additionnel A.SA.1.12.16 relatif au renforcement des prérogatives du Parlement de la CEDEAO et depuis le Parlement travaille à rechercher de plus grandes compétences qui permettent à l’institution de jouer pleinement son rôle dans l’exercice de ses fonctions politiques et diplomatiques.
 
  • A quel point le contexte actuel marqué par une instabilité politique sans précédent complique-t-il l’élargissement de la CEDEAO ?
 
C'est vrai que l'instabilité politique dans certains États de la région représente un défi pour l'intégration régionale, mais restons optimistes. Bien que les perturbations des échanges commerciaux et les réticences aux investissements présentent des obstacles temporaires, elles soulignent l'importance cruciale de la collaboration et de la stabilité économique pour la prospérité collective.
 
La sécurité régionale, bien que mise à l'épreuve, offre une plateforme pour une coopération renforcée, encourageant une approche collective pour la paix et la stabilité. Les fluctuations politiques, tout en posant des défis à la cohérence institutionnelle, incitent à des réformes innovantes et à l'engagement envers une gouvernance plus inclusive et transparente. Les priorités nationales axées sur la stabilisation interne ne doivent pas être vues comme un repli, mais plutôt comme une étape essentielle vers une intégration régionale plus forte, où chaque État contribue de manière significative au tissu commun. Ainsi, malgré les obstacles actuels, la situation offre une occasion précieuse de bâtir une communauté CEDEAO plus résiliente, unie et prospère, illustrant la force qui émerge de l'adversité, lorsqu'elle est abordée avec esprit de collaboration et d'optimisme.
 








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