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CCM : La succession des directeurs par intérim fait jaser les professionnels


Rédigé par Jihane BOUGRINE Jeudi 12 Janvier 2023

Une fois de plus, le Centre Cinématographique Marocain (CCM) se voit attribuer un nouveau directeur par intérim. Ce troisième changement en moins de deux ans suscite l’ire des professionnels qui dénoncent les lacunes de gestion au niveau de l’instance.



Depuis quelque temps, le CCM ne cesse de faire jaser. Films à polémique, festivals annulés, licenciements qui ne mettent pas d’accord tout le monde, l’institution qui devrait fédérer les professionnels du cinéma a tendance à diviser. En octobre 2021, Sarim Fassi Fihri se voyait remplacer par Mustapha Timi, qui lui succédait à la tête du Centre Cinématographique Marocain par intérim. Depuis, un autre intérim s’ajoute au palmarès du centre avec la nomination de Khalid Saïdi. Et aujourd’hui, c’est Abdelaziz El Bouzdaini, directeur des ressources humaines et financières au département de la Communication, qui prend temporairement les rênes du CCM. Cette succession d’intérims qui dure depuis près de deux ans effraye les professionnels du cinéma, qui ne voient pas le bout du tunnel de l’intérim.

« Ce n’est pas tant le problème de l’intérim, cela existe dans tous les domaines et tous les pays », explique Bilal Marmid, critique de cinéma. « Le problème c’est que cela dure et que l’intérim semble être devenu la norme. Nous ne voulons pas de cela ! Nous voulons un projet clair proposé par un directeur, avec des lignes directrices et une vision. Plus cette situation dure plus elle crée des malaises, des problèmes même au sein du CCM et c’est ce qu’on a vu récemment, d’ailleurs ».

Des malaises en effet à répétition, comme des annulations de festivals à cause de polémiques, des films interdits ou blâmés alors qu’ils ont reçu les aides ou ont été validés par des commissions, des licenciements abusifs… « Le secteur de la production audiovisuelle étant en constante mutation et en perpétuelle effervescence, le fait d’avoir un directeur du CCM par intérim pendant 9 mois peut freiner cet élan », confie le réalisateur marocain Nour-Eddine Lakhmari qui rappelle qu’il s’agit d’un poste, contrairement à ce que l’on pourrait croire, qui demande de la créativité et une vraie vision de développement pour le cinéma national. Cela exige une stabilité et une pérennité afin de gérer la multitude de dossiers en cours, dont certains peuvent être extrêmement délicats.

« A mon sens, un directeur du CCM par intérim ne peut pas dépasser 3 mois. Plus longtemps, il aura les mains liées. Sa mission se limiterait à de la bureaucratie, sans la possibilité de prendre les décisions nécessaires et rapides quand il le faut », continue ce dernier. Autre son de cloche chez la productrice Khadija Alami qui estime que la situation semble être sous contrôle : « Tout intérim est en général un peu compliqué, mais personnellement tout se passe bien. Je suis en prépa[1]ration d’une série américaine assez complexe, et toutes mes demandes et requêtes ont été satisfaites, grâce à la volonté de l’administration de ne pas nous faire sentir un vide ».
 
Une refonte nécessaire ? 
 
Ce laps de temps pour réfléchir pointe du doigt de nombreuses questions déjà bien présentes depuis longtemps. Est-ce que le CCM est toujours d’actualité ? « Le CCM ne peut plus jouer le même rôle qu’autrefois. On ne peut pas travailler comme on a travaillé ces dernières années, voire ces dernières décennies. Il faut une réelle refonte du CCM. Et moi je vois quelqu’un de jeune qui apporterait de la fraîcheur, comme dans d’autres pays du monde. Pourquoi à chaque fois opter pour des gens proches de la retraite. Ce qui est important, c’est d’opter pour un profil qui fédère et non quelqu’un qui va diviser», insiste Bilal Marmid, un critique de cinéma aussi proche des professionnels que de l’administration.

Selon lui, le CCM ne peut plus se contenter d’être une institution administrative et juridique. « Nous avons besoin de créativité, de création, d’accompagnement. Le CCM doit vraiment devenir un levier pour permettre au cinéma d’aller de l’avant ». Pour Nour-Eddine Lakhmari, le problème est à la source. « De mon point de vue, il serait fort souhaitable de revoir toutes les lois archaïques qui gèrent encore le secteur. Trop de bureaucratie tue la créativité, l´efficacité et la dynamique dont la profession a besoin ».

Le réalisateur de l’inoubliable «Casanegra» estime qu’il faudrait également responsabiliser les producteurs et les sociétés de production. Avec une bonne gestion et le respect des règles établies, le but premier de toute création audiovisuelle devrait être la qualité et le talent. Ainsi, par exemple, un réalisateur débutant ne bâclera pas son film juste pour avoir la carte professionnelle, ou encore un jeune producteur choisira sciemment ses projets au lieu de faire des films juste pour l’obtention de l’agrément de production.

« Par ailleurs, et dans un autre registre, il devient nécessaire d’en finir avec l’avance sur recette (devenue plus une arme punitive qu´un coup de pouce encourageant) au profit d’un fonds d´aide, comme partout dans les pays dont le cinéma brille localement et à l’international ». De l’avis de nombreux professionnels du secteur, ce système d’avance sur recettes serait devenu très problématique puisqu’il pousserait beaucoup de réalisateurs et d’équipes de films à arrêter des tournages, en attendant le versement des tranches. 

En amont, la Commission du fonds d’aide ne fait pas l’unanimité non plus. « Les critères de sélection de cette commission sont fondamentaux. Nous avons besoin de véritables cinéphiles avec une vraie compréhension du cinéma mondial. Le choix d’un film en fonction de la qualité de son scénario, du réalisateur et du producteur requiert une commission avec un minimum d’expertise dans le domaine ». Pour la majorité des professionnels, le CCM serait devenu une institution archaïque et doit évoluer avec son temps et son contexte. Il s’agit tout d’abord d’avoir une vision claire pour le cinéma marocain avant de voir comment l’institution peut l’accompagner.

« Cette manie de calquer des nouvelles lois importées, généralement celles du cinéma français, sans prendre en considération l’environnement et les spécificités marocains, entrave l’essor du cinéma marocain. Leurs lois fonctionnent chez eux, avec leurs propres marchés, leurs propres codes, leurs façons de faire. Les copier sans les adapter au contexte national ne peut mener qu’à l’échec », juge Nour-Eddine Lakhmari avant de conclure expectatif : «Nous devons nous réinventer en fonction de notre marché et de nos besoins».

Jihane BOUGRINE 

L’info...Graphie

3 questions à Mohamed Mehdi Bensaïd 

« Il y aura une évolution du rôle du CCM et de ses actions sur le cinéma »


Le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaïd, a répondu à nos questions concernant la gestion des affaires au CCM.
 
- Qu’en est-il de la nomination d’un nouveau directeur du CCM ? Pourquoi cela prend-il du temps ?
 
- Depuis mon arrivée à la tête du département, il y a un peu plus d’un an, et concernant le sujet du cinéma et du CCM plus particulièrement, l’idée était de profiter d’un temps de réflexion, avant la nomination d’un directeur ou d’une directrice pour voir ce qui n’allait pas et de faciliter le processus administratif et juridique concernant le CCM. Nous avons fait le constat des plus et des moins, nous avons été à l’écoute des reproches du secteur professionnel afin de légiférer et adapter le cadre légal aux exigences actuelles du secteur cinématographique. Nous avons proposé un nouveau texte mais cela prend du temps puisqu’un texte législatif doit être consulté par des partenaires et des professionnels.

Aujourd’hui, le texte est fin prêt. Il y aura une évolution du rôle du CCM et de ses actions sur le cinéma, et donc une nouvelle stratégie transverse. La nomination du nouveau directeur ou de la nouvelle directrice va suivre puisqu’il serait bon de s’aligner avec cette nouvelle stratégie et d’aller dans ce sens. Et non pas se retrouver avec un ralentissement comme il y a pu en avoir dans le passé. L’idée c’est de prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses et non pas se retrouver avec une nouvelle période problématique.
 
- Comment est géré l’intérim du responsable actuel en attendant la nomination ? Est-ce que cela ralentit le bon fonctionnement du CCM ?
 
- Comme vous le savez, il y a eu deux directeurs du CCM par intérim. Mais il n’y a pas eu pour autant de ralentissement, et il s’agit même plutôt de continuité. Il y a eu dépolitisation du CCM dans le sens où il n’y avait plus de conflit d’intérêts. C’était l’administration qui gérait. Nous avons essayé d’aller vers un management performant et de régler toute sorte de problèmes qu’a connus le CCM par le passé. Et la crise liée au Covid n’aidant pas puisque des tournages ont été reportés, il fallait gérer tout cela au niveau administratif avec nos partenaires à l’image du ministère des Finances.

L’idée est de donner quelque chose de propre et de sain à la nouvelle direction, législativement, administrativement et financièrement parlant. On ne veut plus se permettre les retards récurrents de paiement d’antan, qu’ils soient indépendants ou non de la volonté des professionnels ou de l’administration. Nous voulons un fonctionnement normal. Mais bien sûr nous avons tous hâte, même au niveau du ministère, d’avoir un nouveau directeur pour que les choses aillent de l’avant. J’avais déjà annoncé le processus de concours pour fin 2022, début 2023 et c’est toujours le cas.
 
- Comment voyez-vous le travail avec le CCM et quels sont les chantiers à prioritiser, selon vous ?
 
 - Après une année où le gros des efforts a été consacré au volet législatif et juridique, il y a aujourd’hui une vision plus globale qui concerne le cinéma au Maroc. Le CCM étant un outil parmi tant d’autres pour améliorer le rôle que peut avoir le cinéma et l’industrie cinématographique dans le Royaume. Notre vision va dans ce sens et s’interroge sur l’ensemble des problématiques du secteur : quid du cinéma existant, est-ce qu’on peut lui donner une seconde vie à travers un nouveau modèle économique ? Comment intéresser de nouveaux investisseurs économiques ? Quel rôle devrait jouer l’État pour recréer cette culture cinéma qu’on a toujours connue au Maroc mais qui s’est sensiblement érodée durant les deux dernières décennies à cause de la concurrence du Web, du streaming et des nouvelles plateformes de diffusion cinématographique ?

Recueillis par J. B. 

Cinématographie

Plus d’efforts sont de mise ! 

«Le constat est que nous n’avons pas assez donné sa chance au cinéma», telle est la réponse du ministre de tutelle sur l’état du cinéma au Maroc. Selon ce dernier, le projet des 150 salles de cinéma au sein des Mai[1]sons de culture, qui seront équipées d’écrans géants pour permettre l’expérience cinéma dans toutes les villes et tous les villages, a pour objectif de remédier à la situation. «Les salles seront directement rattachées au ministère.

Il s’agit aussi d’encourager les offres privées via des offres premium, des offres médium et faire éclore ces cinémas-là. Qui dit salles de cinéma dit indirectement une nouvelle offre pour la production cinématographique nationale. Et c’est ce qui faisait dé[1]faut par le passé», ajoute le ministre. «Avec à peine 25 complexes cinématographiques au Maroc, il est difficile pour un producteur d’investir. Le producteur était dépendant du soutien de l’Etat alors que les différentes expériences du modèle économique cinématographique dans le monde prouvent qu’il y a un ticketing et des cinémas qui permettent aux films d’exister.

Il faut donc mettre en place une culture cinématographique. Cela passe par des installations certes, mais cela passe aussi par des cinéclubs. Il faut donc re[1]donner vie aux cinéclubs qui ont existé par le passé. Il y a aujourd’hui des associations dont une qui siège au Conseil d’administration du CCM», selon Mehdi Bensaïd, qui ajoute que l’idée est de reprendre contact avec elle et de lui permettre d’exister, d’aider le Maroc, le CCM et le ministère à intéresser cette nouvelle génération au cinéma. Une génération habituée aux plateformes et à la gratuité et pour qui, peut-être, le lien avec la salle obscure est moins évident. C’est la démarche de la tutelle aujourd’hui.
 

Management 
 
Tariq Khalami, le licenciement qui fait tache 
 
Chef de la division de la promotion et de la coopération au Centre Cinématographique Marocain, Tariq Khalami a été licencié au lendemain d’un scandale à Laâyoune, lors de la sixième édition du Festival du film documentaire organisée du 19 au 25 décembre dernier. Le film « Zaouïas du Sahara, Zaouïas » aurait insulté toute une lignée de descendants en soulignant que le chef de la tribu serait stérile. Un véritable tollé qui a mis fin à l’édition de ce festival et apparemment aux fonctions du chef de la division.

Une mobilisation sans précédent de la profession a suivi. Réalisateurs, acteurs, producteurs ont exprimé leur soutien à ce « facilitateur », celui qui sait « accompagner et rassurer », selon les dires du réalisateur Alaa Eddine El Jem par exemple. Une goutte qui fait déborder le vase puisqu’un premier scandale, au lendemain de la dernière édition du Festival de Tanger, avait secoué le CCM. « Zanka Contact » de Ismaïl El Iraki avait défrayé la chronique avec une bande originale jugée « en désaccord avec les intérêts de la nation » suite à l’utilisation d’une chanson de Mariem Hassan, chanteuse pro polisario. Un film sur les blessures de deux Casablancais qui tentent de se guérir qui avait pourtant raflé le Grand Prix à Tanger.

« Comment un film qui passe en commission, qui est ensuite tourné, puis repasse par le filtre du visionnage de la 4ème tranche, et participe enfin à une compétition officielle où il remporte le Grand Prix, peut-il faire l’objet de ce genre de polémique ? », s’interroge une productrice très sceptique sur le bien-fondé de cette succession de scandales dont la victime expiatoire n’est autre que Tariq Khalami qui n’a pas souhaité s’exprimer sur la perte de son poste.
 








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