- Actuellement, nous subissons un véritable supplice psychologique du fait que nous sommes empêchés de récupérer la dépouille de notre fils. Lui et son ami, le regretté Bilal, ont été tués injustement. Malheureusement, le corps de notre fils est toujours en Algérie et nous n’en comprenons pas les raisons. Tout ce que nous savons c’est qu’il est fourré dans un congélateur. Nous avons fait tout ce qu’on nous a demandé. Nous avons pris contact avec les autorités consulaires marocaines, nous avons nommé un avocat en France et en Algérie pour coordonner.
Nous vivons dans l’incertitude dont nous sommes l’otage. La douleur de la mère du défunt est telle qu’elle n’a plus les mots pour l’exprimer. Tant que cela dure, nous sommes aussi prisonniers en étant dans une si grande attente sans savoir l’issue de la procédure. Pour nous, la douleur est double : la perte de notre fils et l’incapacité de récupérer son corps pour l’inhumer. C’est la moindre des choses. Nous voulons simplement faire son deuil et dire un ultime adieu. Nous ne demandons rien de plus. Le véritable problème c’est que nous ignorons ce qui se passe vraiment au niveau de la procédure qui est bloquée actuellement.
En ce qui concerne le cas d’Abdelali, il n’est pas Franco-Marocain puisqu’il est seulement détenteur d’une carte de séjour. Donc, il est considéré Marocain. En tant que famille du défunt, nous n’avons pas grand-chose à dire sur la réaction de la France. Nous regardons les faits et ce qui se passe sur le terrain. Nous ne pouvons juger que sur la base des actes. Actuellement, les victimes sont mortes. L’Algérie n’a pas encore rendu la dépouille du défunt. Tout reste entre les mains du procureur militaire. C’est vrai qu’en France, il y a eu des gens qui se sont mobilisés pour exprimer leur solidarité avec nous. Mais, c’est tout.
Vous publiez une lettre ouverte au Président algérien Abdelmajid Tebboune pour demander la restitution de la dépouille du défunt au plus vite, mais jusqu’à maintenant, silence radio. Avez-vous un message à transmettre aux autorités algériennes ?
Il faudrait que le gouvernement algérien se mette à notre place. Il est inacceptable et injuste que les gens normaux payent le prix des divergences politiques. Nous, à la base, nous n’avons pas de problèmes avec qui que ce soit. Ce que nous demandons, c’est juste de nous rendre la dépouille.
Le retour de la dépouille peut-il apaiser votre douleur qui reste tout de même si vive après cette mort si soudaine ?
Au moins, il y aura un apaisement vu que nous allons pouvoir nous délivrer du poids de l’attente dans l’incertitude qui pèse sur nous actuellement. Cela va nous aider également à tenter de retrouver une vie normale. Le deuil va tout de même continuer.
Le défunt a laissé un enfant orphelin de 5 ans. Qui va s’en occuper ?
Heureusement qu’il y a la mère de l’enfant qui va s’en occuper et prendre soin de lui. Toute la famille sera à ses côtés, ses tantes, ses oncles et ses grands-parents ne manqueront pas de l’entourer de leurs soins et leur sollicitude. De toute manière, il est dur de perdre son père à un tel âge et rien ne peut compenser une telle perte.
Le défunt était apprécié de ses proches et de ses amis qui s’accordent tous sur sa droiture et ses qualités. Peut-on avoir une idée sur sa vie et sa personnalité ?
Abdelali Mchiouer était un jeune dans la fleur de l’âge. Il avait toute sa vie devant lui. Il est mort peu de temps après avoir eu un enfant. Il était un homme d’une droiture proverbiale. Il n’a jamais rien fait de mal à personne. Tout le monde le connaissait pour ses qualités et ses vertus et pour sa bonhomie. Il mérite tout de même qu’il soit enterré dignement.
Tous ses amis, ses proches et ses collègues de travail attendent avec impatience le retour de sa dépouille pour assister à ses funérailles. Actuellement, on nous prive injustement de cet ultime adieu qui est notre droit le plus légitime. C’est pour cette raison que nous lançons cet appel aux autorités algériennes pour qu’elles assument leurs responsabilités et nous rendent notre fils.
Lettre ouverte à Tebboune “Le cadavre d’Abdelali demeure prisonnier de l’inertie des bureaucrates”
Monsieur le Président de la République,
Nous - parents, veuve, enfant, frères et sœurs d’Abdelali Mchiouer - vous écrivons, par l’entremise de la présente lettre ouverte, afin de solliciter votre haute et bienveillante intervention. Abdelali, ressortissant marocain et père de famille qui vivait en France, était sur le jet-ski qui a dérivé jusqu’aux eaux territoriales algériennes, lorsqu’il a perdu la vie. Ce drame est effroyable pour nous et les nôtres. La vague de l'émotion qu’il a générée est immense : nous n’en voyons pas la fin. Et si nous n’en voyons pas la fin, Monsieur le Président de la République, c’est notamment parce que plus de trois semaines après sa mort, il ne nous a pas été permis d’inhumer et de porter en terre notre enfant, qui, faut-il le rappeler, n’était ni un criminel ni un ennemi de l’Algérie.
À ce jour, les démarches effectuées par l’avocat algérien que nous avons mandaté sur place ou par les autorités consulaires marocaines ont abouti à un statu quo horrible : le cadavre d’Abdelali demeure prisonnier de l’inertie des bureaucrates. Cette situation devrait tous et toutes nous interpeller, en tant qu’Algériens et Algériennes, en tant que Marocains et Marocaines, en tant que Musulmans.
Par-delà nos convictions, nos différences, nos hiatus, la seule considération due à un mort devrait être humaine. Simplement humaine. Et c’est ce sens de l’humanité qui, du tréfonds de notre douleur, nous a convaincus de prendre publiquement votre attache pour vous demander de bien vouloir ordonner que nous soit rendu le corps d’Abdelali le plus rapidement possible. Alors que pas une heure ne se passe sans que nous le pleurions, qu’une course contre la montre nous est imposée par nos références religieuses, son enfant, sa femme, tous les siens, ne veulent qu’une chose : le laisser reposer en paix, en sa demeure éternelle, sur les terres qui l’ont vu grandir.
Nous prions Allah (loué soit-Il) pour que cette missive et l’appel de nos cœurs vous parviennent sans délai, vous touchent, vous inondent et vous permettent de mettre un terme à la souffrance d’une famille musulmane innocente, âprement affectée par l’épreuve d’une mort qui refuse de se refermer sur notre deuil.
Veuillez croire, Votre Excellence, Monsieur le Président de la République, en l’expression de notre haute et déférente considération.
Eclairage juridique de Hakim Chergui “Nous avons décidé d'internationaliser la lutte face à la fin de non-recevoir des autorités algériennes”
Comme nous avons affaire à des autorités qui ne répondent pas, nous sommes réduits aux conjectures. Ce qui est sûr, c’est que s’il y avait une volonté digne de rapatrier le corps, il serait déjà au Maroc. Au départ, les autorités algériennes ont laissé entendre qu’elles ne s’opposaient pas au rapatriement. Depuis lors, nous constatons qu’il n’y a aucune volonté politique. Pour leur part, les autorités consulaires du Maroc font un travail formidable mais on ne répond pas à leurs démarches. Il s’agit donc d’une fin de non-recevoir. Les autorités algériennes n’entendent pas traiter ce dossier comme les autres cas de Marocains morts en Algérie, sachant que le rapatriement réciproque existe entre les deux pays. Je rappelle le cas de l’humoriste algérien Wahid Bouzidi, mort à Marrakech, dont le corps a été rapatrié en Algérie sans difficulté.
Est ce que le fait que les relations diplomatiques soient rompues crée un vide juridique ?
Non, absolument pas. L’absence de relations diplomatiques n’empêche pas qu’il y ait des démarches administratives concernant des particuliers des Etats concernés. Donc, il n’y a pas d’excuses sur cet aspect.
S’agissant de l’enquête ouverte en France. Est-ce qu’elle a une chance d’aboutir puisque, théoriquement, elle dépend de la coopération judiciaire de l’Algérie ?
En parallèle avec l’enquête ouverte à Oujda par les autorités marocaines, nous avons déposé plainte en France où une enquête est ouverte par le Parquet de Paris. Le procureur de la République a sollicité l’entraide judiciaire à la fois aux autorités marocaines et algériennes. En ce qui concerne l’Algérie, il existe une convention d’aide judiciaire avec la France qui a été réactualisée en 2016. La convention fonctionne. Pour l’instant, nous sommes dans l’étape de la manifestation de la vérité.
Quelles sont les voies de recours que vous envisagez en cas d’échec de l’enquête française ?
Compte tenu de l’état actuel des choses, nous nous sommes décidés à internationaliser la lutte en saisissant la Justice internationale. En l'occurrence, nous avons saisi le Rapporteur spécial pour les exécutions sommaires et extrajudiciaires de l’ONU pour qu’il y ait une enquête internationale. L’objectif est que la vérité soit dévoilée indépendamment des considérations politiques. Nous n’avons d’autre choix que d’ouvrir un nouveau front judiciaire. Si les autorités algériennes refusent de coopérer, cela veut dire qu’elles sont complices.
Allez-vous revendiquer au nom de la famille une autopsie en cas de rapatriement du cadavre ?
Nous n’avons pas besoin d’en faire la demande. En cas de mort violente, l’autopsie se fait automatiquement, d’autant plus qu’une enquête est ouverte auprès du Parquet. D’après ce que je sais, une autopsie a été faite sur le corps de Bilal Kissi.