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Culture

Adil El Fadili, l’arme à l’œil


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 12 Novembre 2023

Le cinéaste réalise son premier long métrage et étonne la profession. Avec « Mon père n’est pas mort », il s’impose comme le nouvel ambassadeur d’un nouveau cinéma marocain de nationalité, universel d’approche. Six prix dont le grand et la suite ne se fait que délicate. Ainsi soit le défi.



On garde le tout en oubliant l’essentiel. On fait fi de tout en essayant de tout essayer, gardant le tout atténuant. Et c’est là où on rend sa blouse, se rendant avec foi, loin des bêtises où loi n’est pas aloi. Et lorsqu’on voit ce que le dernier festival national du film de Tanger, FNFT (ainsi instauré par Nour-Eddine Saïl) crie sa renaissance, on applaudit le présent chargé d’avenir.

En oubliant la catastrophique édition de l’an dernier, le FNFT se refait belle nouvelle peau. A travers un jury claquant la bise à la bonne réalisation, faisant la belle part aux craquants beaux allants cinématographiques, cela rassure et enterre un passé au présent chaleureusement enfoui.

Et puis voilà. Après des silences sonores, les compétiteurs s’étalent en évoquant leurs satisfactions à cris étouffés. Le jury est déjà sur le pont et compte ses doigts pour que les mains ne s’expriment qu’en caresses. Et débarque « Mon père n’est pas mort ». Un film ? Que non pas ! Une histoire ainsi traduite par plusieurs images, une narration profonde, un livre à écrire à plusieurs mains mais à voie unique.

Adil El Fadili se brule les doigts et les sens pour « cracher » un long métrage pesant et apaisant. Des années de réflexion, de labeur et d’incertitudes jonchent un projet poignant, faisant appel à une plénitude troublée. Le méticuleux cinéaste se fait violence en disant NON lorsqu’il est plus proche du OUI. Et si c’est lui qui a raison ? Je regarde « Mon père n’est pas mort » lors d’une projection (très) privée et je larmoie. Rentrant chez moi, je suis encore sous le choc d’une œuvre bouleversante et pluridimensionnelle. Adil réalise un film qu’il vit avec amour et douleur des années durant. Et c’est là où l’artiste qu’il est écrase sur ses lisses joues de chaudes larmes.
 
Brouhahas sonores
 
Ce garçon, fou comme l’art, s’entête à enfanter, à célébrer. Seul mais accompagné de tous ses démons, il crée par intermittence, se laisse injecter des conseils qui ne font plaisir qu’à ceux qui les donnent et fonce en silence sur des terrains claquant de brouhahas étouffés et pourtant sonores. Adil aime et s’aime. Voilà une posture délicate à sculpter à l’ombre du néant, à l’endroit du fait accompli. Fils de, il flirte jeune avec un art qui le voit bercer et pas forcément le sien. Il entend aller plus loin, chercher ailleurs, se faire mal, s’entendre parler, virant les retours insipides forts en thèmes de brimades gratuites, grosses comme les lendemains de perturbations atmosphériques. On y étouffe en arborant un sourire revanchard. Adil se détache de cette touffe à multiple nœuds et se consacre à la fluidité d’un parcours jonché d’incertitudes. C’est sur ce chemin qu’il se réalise avant de réaliser ses troubles rêves faits de lucidités et d’incertains futurs. Un challenge qu’il accueille à bras-le-corps. Dans une famille artistiquement « détraquée », Adil n’a aucune chance de s’en sortir indemne. Il y va, quittant le Maroc pour y retourner après un séjour en France. Et le voilà faisant EFFET à Paris. En 1992, il remet à l’endroit en 10 mn une « Pièce » déstructurée en 16 millimètres. Première acquisition personnelle et pas la dernière, plutôt le gain en sourdine. Adil El Fadili préfère faire que dire. Il est le père qui ne mourra que lorsqu’il le décidera. Son parcours chatouille la vie, prend par la main les mutilés d’un vécu, se chamaille avec ses incompréhensions. En somme, un être humain au statut de militant aussi long que la vie d’une rose.

Suite à appréhender
 
En cinéphile inconsolable, Adil El Fadili cherche la chaleur de l’image, le ton grandiose de la réplique qui fait mouche, le geste injuste qui fait VRAI. Il filme en étant dans le film. Il s’arrache les cheveux en en gardant d’autres pour différents devenirs. Avec « Mon père n’est pas mort », il raconte une bonne partie d’une suite à appréhender. Une menace bienvenue, un pas en avant sans écarter la marche à reculons.

Nous sommes dans le présent à forts futurs, nous sommes aux portes de soirées conjuguées au présent de l’imparfait. Quand en 2010, il jette dans la mare « Courte Vie », le réalisateur des shows de sa sœur Hanane est un créateur à surveiller, à ne pas perdre de vue. Il est le nouveau souffle d’un cinéma marocain qui se construit en silence. Il connait tout le monde et tout le monde ne le connait pas forcément. Il jouit d’un respect que ses confrères lui reconnaissent. Adil El Fadili embrasse en 2017 le tournage de son premier long métrage et le livre en 2023 au concours tangérois et rafle six prix, la tête aussi haute que ses aspirations. Belle noyade dans les eaux d’un art qui n’absorbe que ses semblables.
 
Anis HAJJAM      



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