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Achoura : Entre croyances, traditions et charlatanisme


Rédigé par Leila OUAZRY Mercredi 18 Août 2021

Au Maroc, la fête de Achoura comprend plusieurs dimensions en plus de celle spirituelle. Célébrée régulièrement par une très grande partie de la population et attendue avec enthousiasme par les enfants, Achoura est devenue un évènement culturel et social à l’aspect hybride.



Célébrée les neuvième et dixième jours de Moharram, premier mois du calendrier de l’Hégire, la fête de Achoura aura lieu du 18 au 19 août. Symbole de festivités, de partage, de solidarité, de recueillement, Achoura est fêtée par tous les Marocains de divers horizons, selon les habitudes de chaque région.

C’est une fête particulièrement appréciée par les enfants qui reçoivent de nombreux jouets. On prépare des mets spécifiques pour l’occasion. Les femmes n’hésitent pas à s’offrir des taârijas (tambourins) et autres bendirs, pour une soirée animée. Cependant, l’esprit de la fête est entaché par certaines pratiques et autres comportements inconscients.

Superstition, pétards, jets de d’eau ou d’oeufs, sont de nature à gâcher la fête. Célébrée pour la deuxième année consécutive dans une conjoncture de crise sanitaire, Achoura aurait-elle perdu son charme spirituel pour devenir un moment d’anarchie et de pratiques malsaines ? Les choses ont-elles changé à cause du Covid-19 et du confinement ?

Achoura a toujours été l’occasion, pour une certaine catégorie de la population, d’user et d’abuser de diverses pratiques pour améliorer son sort. Chasser les mauvais esprits ou le mauvais oeil, attirer les bonnes ondes, trouver le mari, l’épouse ou le travail de son rêve, gagner plus d’argent... à chacun sa raison et ses moyens.

A l’approche de Achoura, période où les pratiques du genre battent leur plein, l’affluence chez les vendeurs de rêves est à son paroxysme. Si Achoura est un évènement qui a une connotation spirituelle, solidaire et festive pour de nombreux Marocains, c’est une opportunité en or pour les amateurs des gri-gris et autres superstitieux. Les habitués affluent chez les charlatans. Les charlatans se frottent les mains et les voyantes ne désemplissent pas.

Les pratiques superstitieuses sont culturelles

Selon Dr Aboubakr Harakat, psychologue clinicien et psychothérapeute à Casablanca, la crise sanitaire n’a pas changé les habitudes de cette catégorie de la population. « En tant qu’observateur critique de la société, j’estime que les croyances superstitieuses, à la magie noire et autres n’a ni augmenté, ni diminué à cause du Covid-19. Cela a toujours existé et continuera d’exister ».

En faisant un petit tour dans certains quartiers de Casablanca tels les Habous, Derb Soltane (Souk Jmiâ), Bab Marrakech, ou encore à la Joutia au quartier Al Alia à Mohammedia, on s’aperçoit que la demande est loin d’être impactée par la crise sanitaire.

« Nous recevons deux types de clientèles » explique Nouredine, un jeune herboriste au marché Jmiâ à Derb Soltane (Casablanca). « Il y a ceux qui viennent pour des plantes médicinales comme le romarin, le tin, l’hibiscus, la marjolaine, l’eucalyptus, etc., recommandées dans la lutte contre le Coronavirus car ils agissent comme d’excellents antiseptiques. Et il y en a d’autres qui cherchent des produits dédiés à un autre usage. Ces gens viennent déjà avec une liste recommandée soit par le fqih, la voyante, une amie », explique le jeune homme. Ce dernier rappelle que certaines périodes de l’année connaissent une affluence particulière, en l’occurrence Achoura ou la dernière semaine du mois de Ramadan.

« C’est la première fois que je viens ici. On m’a parlé d’un mélange efficace pour « dompter » mon mari qui devient trop violent quand il boit. Cela a empiré avec la crise sanitaire et ses conséquences », confie une jeune cliente.

Pour une autre, qui vient acheter des encens, le bkhour fait partie de tout le rituel de Achoura. « Cela va du couscous en passant par les fruits secs, les jouets pour les enfants, les tam-tams et autres taârijas, sans oublier le recueillement sur les tombes de nos proches ».

En effet, le degré d’attachement des Marocains à la superstition est assez important. En atteste le nombre important de victimes d’escroqueries liées au phénomène Samaoui. Si les escrocs en question arrivent à convaincre leurs victimes, c’est sûrement parce que celles-ci sont prédisposées à les croire. L’affluence des jeunes filles, en quête d’un bon parti à Sidi Abderahmane, à Casablanca, le prétendu guérisseur de Skhirat ou encore le charlatan de Boulanouar, arrêté dans la région de Khouribga en octobre dernier, sont autant d’exemples qui illustrent ce niveau de croyance.

« La magie et les sciences occultes sont culturelles dans la société marocaine. », dirait Dr Harakat. Ainsi, l’élite n’échappe pas à ces croyances ésotériques. Des femmes, mais aussi des hommes, de tous horizons et de différentes catégories socio-professionnelles s’adonnent à ce genre de pratiques ou du moins y croient.
 
Leila OUAZRY

 

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Achoura : Entre croyances, traditions et charlatanisme

Dr Aboubakr Harakat, psychologue à Casablanca


« Les Marocains ont plutôt tendance à croire aux pouvoirs surnaturels »

 
- En ce temps de crise sanitaire, les gens ont tendance à recourir à des pratiques qui ont trait à la superstition : comment peut-on expliquer cela ?

- Depuis toujours, l’Homme a recours à l’ésotérisme face aux malheurs. Même les personnes cartésiennes, quand la science et la médecine s’épuisent, vont se tourner vers d’autres pratiques. Cela peut être « la hijama », « la Roqia », « le bkhour », « les Saints », etc. Avoir recours aux pratiques et rituels ésotériques est systématique. Qu’elles aient un problème psychologique, d’argent, de couple, elles vont s’adresser à une voyante, un fquih, un raqi.


- Pensez-vous que cette tendance a augmenté depuis l’avènement de la crise sanitaire, en particulier après une longue période de confinement ?

- Déjà, en dehors de la crise sanitaire, les Marocains ont plutôt tendance à croire aux pouvoirs surnaturels. Pour faire face à un problème de dépression, de surmenage, ou une maladie psychique, certaines personnes ont un pied chez le psy et un autre chez le raqi.

Dans la conjoncture de crise sanitaire, la dépression a augmenté. Les gens étaient dépassés par les évènements et le flux d’informations. Pour certains, ce n’est pas possible que des puissances comme les USA, la Russie, l’Europe, ne trouvent pas de remède.

Donc, il y a quelque chose de paranormal ou de divin (appelons cela comme on veut). Par conséquent, on se tourne automatiquement vers autre chose.


- Cela dépend-il du niveau d’instruction, sachant que beaucoup de Marocains sont à peine alphabétisés ?

- Ce n’est pas une question de niveau d’instruction, mais de culture. Il s’agit d’avoir un raisonnement cohérent, un esprit critique pour pouvoir prendre du recul et analyser les choses. Il faut considérer les choses de manière rationnelle. Donc, pour conclure, je n’ai pas constaté une augmentation des pratiques surnaturelles en temps de crise sanitaire.

En tout cas à mon niveau, car je ne suis pas représentatif de tous les praticiens. Mais je peux confirmer qu’il n’y a pas de changements notables. On a toujours eu ça et cela ne risque pas de changer de sitôt.
 
Recueillis par L. O.