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Culture

Abdelkader Retnani, mage des pages


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 19 Novembre 2023

Le célèbre éditeur et fin dirigeant sportif quitte ce monde le 14 novembre à 78 ans. Reconnu par ses pairs dans les deux domaines, c’est son engagement culturel qui continuera à faire parler de lui pendant très longtemps. Homme affable et patron intransigeant, il aura épaulé et accompagné des auteurs pendant plus de quarante belles années. Les éditions « EDDIF » et « La Croisée des chemins » sont là pour le prouver.



Ras de bibliothèque et liseur acharné.
Ras de bibliothèque et liseur acharné.
L’homme est un mordu du mot, du verbe, de la structure dans son sens large. Un militant culturel, un bloc humain que rien ne peut altérer. Un élégant globetrotter également, habité par ce Maroc qu’il sert avec fougue. Passionné de lecture et d’écriture, il est le partageux, le passeur, l’érudit. Son métier d’éditeur lui permet de se positionner en perpétuel découvreur de talents à côté de ceux qu’il accompagne des décennies durant.

Abdelkader Retnani, ras de bibliothèque et liseur acharné, finit par faire de sa vie un champ à la lettre fertile. Il édite en français, un peu en arabe et en anglais. Il tisse des liens à l’international et fait voyager les titres d’auteurs marocains, d’autres vivant au Maroc ou traitant de thèmes en phase avec le Maroc : son but premier d’éditeur. Avec les éditions « EDDIF », nés en 1987, il publie un premier ouvrage, « Au-delà de toute pudeur » de Soumaya Nouaâmane Guessous, réédité, depuis, une douzaine de fois. L’étudiant en gestion d’entreprise agricole et en sciences économiques se tourne vers le livre grâce à sa jeune épouse, avocate à l’époque. Lectrice invétérée, elle termine stagiaire à la librairie « Quartier latin » à Casablanca. Retnani décide alors de tout quitter pour se consacrer à la diffusion et à la distribution de livres. Nous sommes en 1981, année de la création, avec quelques amis, de l’ancêtre d’EDDIF, portant le même nom. Voyant grand, le président qu’il est de cette aventure ouvre une antenne sur les Champs-Elysées à Paris et dans plusieurs capitales africaines.

Pas moins de 80 commerciaux arpentent les villes marocaines jusqu’en 1990, proposant essentiellement des encyclopédies occidentales. Mais Abdelkader Retnani n’est pas réellement dans son élément et se convertit en éditeur en continuant à diffuser jusqu’à son rachat d’une petite maison d’édition du nom de « La Croisée des Chemins » qui devient grande. 
 
L’édition, le football 

Né en 1945 à Casablanca sous le signe du Lion, Retnani tombe tôt dans la lecture. En 2021, il raconte sa jeunesse dans une interview accordée à Maison du Livre de l’Institut français du Maroc : « Mon père lisait beaucoup. Son ami gérait un kiosque de journaux et de magazines et me prêtait des bandes dessinées. Alors que j’étais en primaire, nous recevions le quotidien ‘Le Petit Marocain’ à la maison. Je ne regardais alors que la page sportive. Au cours moyen 2e année, pendant que je fréquentais l’école Jules Ferry, j’empruntais des bandes dessinées à mon maître et les lui rendais en fin de semaine. Aussi, je m’intéressais particulièrement à l’histoire, à la culture, à ce qui se passait ailleurs et je lisais énormément. Ce que je continue de faire d’ailleurs. J’ai commencé à lire des livres de littérature pour préparer l’entrée en 6e avec les grands classiques. »

Dans ce récit, on note déjà la présence du sport. Car le futur éditeur, footeux et fervent admirateur du Raja Club Athletic de Casablanca, a également un parcours dans ce rayon. Il devient président de son équipe préférée entre 1985 et 1989 en remportant deux prestigieux titres, ceux de champion du Maroc et de lauréat de la Ligue africaine des champions. Le football ne manque pas de déteindre sur son parcours d’éditeur avec, le dernier en date, « Le Moment marocain », un beau livre sorti en 2022 suite à la belle prestation de l’équipe marocaine à la Coupe du monde tenue au Qatar. 
 
Pratique et suite rapide 

Président de l’AMPL (Association marocaine des professionnels du livre), Abdelkader Retnani poussait en 2012 ce cri du cœur : « Nous avons un besoin fondamental de former un lobbying censé défendre le rôle primordial de la culture, dans le cadre des politiques publiques, et d'élargir le champ de diffusion du livre dans les différents espaces sociaux. Nous voulons de la pratique. Nous voulons une suite rapide. »

Le militant culturel est sur plusieurs fronts : membre du Conseil d’administration du CAFED (Centre africain de formation des éditeurs et libraires), président du Congrès international des études francophones, secrétaire général de l’Association des éditeurs africains francophones, consultant auprès des organismes internationaux dont l’Agence intergouvernementale de la francophonie et l’Unesco, président de l’Union des éditeurs du Maroc… Il est plus récemment cofondateur de la Fédération des industries culturelles et créatives de la CGEM avec Neila Tazi qui lui rend hommage le jour de sa disparition en ces termes : « (…) Je ne veux pas te dire Adieu, tu es parti trop vite.

Je n’ai qu’un regret, de ne pas t’avoir connu plus tôt (…) J’ai trouvé en toi tant de passion, de détermination, d’amour pour le travail et de curiosité pour les autres (…) Ta devise : franchise et loyauté. Je ne te remercierais jamais assez d’avoir été à mes côtés dans les moments les plus difficiles. » L’homme aux millions d’exemplaires d’ouvrages écoulés entre beaux livres, essais, romans ou récits historiques, édite dernièrement « Lettre à mon éditeur » d’Ahmed Masaia auquel Retnani répond. Avec élégance. Pour le livre, Abdelkader est un captif amoureux. 
 
                                                                                  Anis HAJJAM







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