L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search


Agora

​Maghreb Express. Mettons-le sur les rails!


Rédigé par Mohamed LOTFI le Samedi 1 Novembre 2025

Mon père prenait le train pour traverser le Maghreb, de Casablanca à Tunis en passant par Alger, et dans son récit, j’imaginais le bruissement des rails et des paysages qui défilaient, le bonheur de se mouvoir librement à travers nos pays.



Contrairement à lui, je n’ai jamais pu réaliser le rêve d’aller rendre visite à ma tante Amina à Oran. Un jour, c’est ma tante qui a été expulsée d’Algérie, parmi des milliers de Marocains vivant dans le pays voisin, un des jours sombres des relations entre le Maroc et l’Algérie. Cette expulsion a marqué la fin de mon rêve. Pourtant, chaque fois que je croise un Algérien ici à Montréal, j’ai la forte impression que quelque chose nous a été volé, à nous, peuples frères.
 
Depuis quelque temps, des rumeurs insistantes circulent, certaines déclarations se croisent, et l’on murmure qu’un accord de paix durable serait sur le point d’être signé entre le Maroc et l’Algérie. Lors d’un entretien exclusif accordé à la chaîne américaine CBS, Steve Witkoff, émissaire spécial du président Trump pour le Moyen-Orient, a présenté les grandes lignes d’un projet diplomatique visant à pacifier durablement la région. « Nous travaillons à un accord de paix historique entre le Maroc et l’Algérie, avec pour objectif de stabiliser le Maghreb et d’unifier les efforts contre le terrorisme au Sahel », a-t-il déclaré.
 
Je me surprends à espérer que ce soit vrai, que cette nouvelle, qui aurait semblé utopique il y a à peine quelques mois, devienne enfin réalité. Comment ne pas éprouver une joie presque enfantine à l’idée que les deux pays puissent rouvrir la frontière, cette ligne figée depuis 1994, un demi-siècle durant lequel des millions de Marocains et d’Algériens ont rêvé de traverser de l’autre côté pour rendre visite au pays frère, au pays miroir, au pays dont on n’a cessé de parler sans jamais pouvoir le revoir vraiment. À chaque fois que je croise un Algérien ici à Montréal, on exprime le même regret, la même nostalgie mélangée de fatalisme, comme une blessure qu’on évoque sans plus espérer sa guérison.
 
Pourtant, dans ma joie se glisse une question plus amère, presque brutale, celle que beaucoup de Maghrébins portent en silence : avons-nous réellement eu besoin qu’un pays étranger vienne se mêler de nos affaires pour nous réconcilier, et que penser du fait que ce pays soit les États-Unis, puissance géostratégique pour qui rien, absolument rien, ne relève de la charité diplomatique ? On sait qu’ils n’investissent jamais sans calcul. Leur médiation dans ce processus a forcément un objectif, sécuritaire, énergétique, militaire peut-être, et je m’étonne, je m’inquiète même, que nous en soyons venus à accepter un intermédiaire pour résoudre un différend qui, dans le fond, appartient à nos peuples, à notre histoire, à nos mémoires. Est-ce que cela signifie que nous avons manqué à ce point de maturité politique, au point que des décennies de tension aient fini par nous convaincre que nous étions incapables, seuls, de renouer les fils cassés ?
 
Je repense alors à toutes les crispations qui ont alimenté ces cinquante années de rupture, et je réalise que la méfiance n’a pas seulement fracturé la frontière, elle a aussi modelé nos récits nationaux, transformé nos médias en machines à fabriquer du soupçon, et parfois même sacrifié des individus sur l’autel de la raison d’État. Est-ce que l’écrivain Boualem Sansal aurait été emprisonné par le régime algérien s’il n’y avait pas une tension si lourde entre l’Algérie et le Maroc, je ne peux m’empêcher de poser la question. Lors d’une entrevue en France, il avait laissé entendre que certaines régions de l’Algérie occidentale avaient, au XIXe siècle, des attaches historiques avec le Maroc, une nuance historique, une remarque littéraire presque, mais qui n’a pas plu au pouvoir algérien. Résultat, Sansal a été condamné à cinq ans de prison, comme si la complexité des faits, la fluidité ancienne des territoires, devenaient dangereuses dès lors qu’elles rappelaient notre parenté profonde. Cet épisode, parmi d’autres, illustre combien les tensions politiques ont parfois étouffé les voix qui tentaient simplement d’expliquer l’Histoire sans la tordre.
 
Si j’imagine maintenant ce que pourrait devenir la région une fois les frontières rouvertes, je vois plusieurs scénarios. Celui qui me parait le plus sérieux, celui auquel je veux croire, celui où la paix deviendrait une œuvre collective, portée par les peuples, par les artistes, par les familles, par les étudiants qui n’ont plus envie de porter les vieilles rancunes forgées avant leur naissance. Une ligne train Maghreb Express qui relierait Casablanca à Alger, les deux villes blanches d’Afrique du nord.
 
Dans ce scénario idéal, la culture jouerait un rôle essentiel. Je vois les langues se répondre à nouveau, cette darija aux accents différents mais reconnaissables, je vois les musiciens circuler librement avec leur raï, gnawa, chaâbi, malhoun, et je vois des festivals réunir les artistes de Fès et d’Oran, d’Oujda et de Tlemcen, comme autrefois. Je vois les familles reprendre le chemin de la visite après un demi-siècle d’attente, réapprendre les gestes de l’accueil, les traditions partagées, et je me dis que dans ces retrouvailles silencieuses se construirait la paix la plus authentique. Nous redécouvririons alors que le Maghreb n’est pas une addition de frontières mais une continuité humaine, que notre proximité n’est pas un slogan mais un fait anthropologique, que la division n’a jamais été qu’un accident, une parenthèse douloureuse dans la longue histoire de nos peuples. Par la suite, rien n’empêche que le Marghreb Expresse poursuive son chemin jusqu’à Tunis. Pour la suite, il est permis de rêver à plus loin, plus grand..
 
Et je sais que la diaspora, dispersée à travers le monde, jouerait un rôle décisif dans cette renaissance. Nous avons continué à nous fréquenter, à travailler ensemble, à nous marier parfois, à parler comme si la frontière n’existait pas. Peut-être sommes-nous le laboratoire vivant de ce que pourrait devenir la région si elle se réconciliait vraiment. Peut-être sommes-nous le souvenir intact d’une fraternité que les politiques de la division n’ont jamais réussi à briser tout à fait.
 
Oui, j’ose imaginer des enfants marocains et algériens qui grandiraient sans hériter des récits d’hostilité, j’imagine des étudiants traversant la frontière comme on traverse un pont, j’imagine des vieillards qui, après des décennies d’attente, retrouveraient un cousin, un ami. Si une telle paix advenait, elle serait peut-être l’une des plus belles victoires de notre région, une victoire humaine, culturelle, intime.
 
Au risque de me répéter, je rêve d’un Maghreb Express, ce TGV qui relierait Casablanca à Tunis, en passant par Alger, Oran, Fès, Tlemcen et Oujda, rapprochant les villes, les populations et les familles en quelques heures seulement. Il symboliserait le retour de la mobilité, des visites, des rencontres culturelles et économiques, transformant chaque voyage en célébration de fraternité, comme nos ancêtres l’ont fait à pied pendant des siècles. Avec ce train le Maghreb peut retrouver sa continuité historique, renforcer ses échanges et respirer enfin à l’unisson.
 
Une paix qui dépasse les intérêts impérialistes sur la région. Bref, soyons nos propres médiateurs, pour que le Maghreb Express retrouve bientôt ses rails.
 
Mohamed Lotfi
31 Octobre 2025



Dans la même rubrique :
< >

Samedi 1 Novembre 2025 - 15:16 ​La Marche de mon père






🔴 Top News