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Interview avec Haitam Nkita : « Le silence amplifie la détresse des étudiants marocains de Chypre du Nord »


Rédigé par Safaa KSAANI Mardi 9 Décembre 2025

De milliers de diplômés de la République Turque de Chypre du Nord sont plongés dans l'incertitude depuis plus d'un an et demi à la suite de la suspension de la procédure d’équivalence de leurs diplômes. Haitam Nkita, Jeune Ambassadeur du Conseil Marocain de la Jeunesse pour la Coopération Diplomatique et Internationale (MYCDIC) en Turquie, analyse la situation.



  • Des milliers d’étudiants et de diplômés de Chypre du Nord font face à la suspension de la procédure d’équivalence de leurs diplômes depuis plus d’un an et demi.  D'abord, quel état des lieux dressez-vous ?

En tant que Jeune Ambassadeur du Conseil Marocain de la Jeunesse pour la Coopération Diplomatique et Internationale en Turquie, je suis ce dossier de près et mesure pleinement son impact sur plus de 3.500 étudiants et diplômés marocains ayant poursuivi leurs études dans les universités de Chypre du Nord. Ces jeunes ont investi plusieurs années dans leur formation, et leurs familles ont consenti d’importants sacrifices financiers et émotionnels. Certains se sont endettés, d’autres ont travaillé parallèlement à leurs études, en se basant sur les informations antérieures qui laissaient entendre que leurs diplômes seraient reconnus au Maroc. Mais depuis juin 2024, ils se retrouvent dans un vide administratif et communicationnel, après la suspension des équivalences sans communiqué officiel clarifiant le nouveau cadre. Cette situation a généré une profonde anxiété et un sentiment d’incertitude quant à leur avenir professionnel. Il ne s’agit pas seulement d’un dossier administratif, mais d’une question humaine touchant des jeunes en début de carrière.
 
  • Contacté par nos soins, le service des équivalences du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qualifie ce dossier de "sensible" et maintient le secret sur les réunions en cours. Que révèle ce silence sur la nature du problème ?

La qualification de “sensible” indique que ce dossier dépasse le seul cadre académique et qu’il implique des considérations diplomatiques et institutionnelles nécessitant de la prudence. Il est compréhensible que les autorités souhaitent mener des consultations approfondies avant de trancher. Cependant, ce silence, bien que justifié, amplifie la détresse des étudiants. Le manque de visibilité est souvent plus difficile à supporter que l’absence de réponse. Une communication humaine ne contredit pas la prudence diplomatique. Elle l’accompagne et apaise les inquiétudes des familles.
 
  • Au-delà des critères académiques, dans quelle mesure ce gel des équivalences pourrait-il être lié à des considérations géopolitiques ou diplomatiques entre le Maroc et la République Turque de Chypre du Nord ?
 
Il est évident que le Maroc, comme la majorité des États, ne reconnaît pas officiellement la République Turque de Chypre du Nord. Cela peut logiquement influencer la reconnaissance académique des diplômes issus de ses institutions. Cependant, il est essentiel de rappeler que ces universités sont accréditées par le Conseil de l’Enseignement Supérieur turc (YÖK), et que la Turquie est un acteur international majeur, régulièrement récompensé pour l’excellence de son enseignement supérieur. Voici une lecture personnelle, formulée avec recul diplomatique. Une partie de la complexité actuelle s’inscrit dans le contexte régional précédant la récente Résolution des Nations Unies, laquelle a renforcé l’Initiative marocaine d’Autonomie et consacré un soutien international accru à la marocanité du Sahara. Cette évolution a créé une nouvelle réalité diplomatique amenant plusieurs pays et institutions (y compris les institutions éducatives de Chypre du Nord) à réajuster leurs mécanismes administratifs et à s’adapter à ces transformations internationales. Chypre du Nord, qui entretient des relations positives avec le Maroc, a aujourd’hui intérêt à accompagner ce changement avec intelligence afin de préserver l’un de ses atouts les plus stratégiques : l’accueil des étudiants marocains et internationaux, qui représentent une part importante de ses effectifs universitaires. Dans ce contexte, la République de Turquie apparaît comme un partenaire central. Son rôle académique, son influence internationale et ses excellentes relations avec le Maroc en font un acteur incontournable pour faciliter un règlement équilibré, à même de protéger l’avenir des étudiants tout en respectant les constantes du Royaume.
 
  • Ce blocage n'est pas un cas isolé. Quels sont les précédents similaires récents où les équivalences de diplômes étrangers ont été gelées par le ministère ? Quelles leçons en ont été tirées ?

Oui, le Maroc a connu des situations comparables. C’était le cas pour les étudiants marocains en Ukraine après le déclenchement de la guerre, la suspension de la reconnaissance de certains établissements étrangers, ou encore des révisions de programmes internationaux. Ces précédents ont montré l'importance de communiquer tôt, de mettre en place des périodes transitoires, et d'impliquer les partenaires internationaux lorsque le dossier dépasse les frontières. Dans le cas de Chypre du Nord, il est désormais clair que la participation de la Turquie sera déterminante pour parvenir à une solution juste, durable et respectueuse des intérêts des étudiants marocains.
 
  • Quelles solutions concrètes et urgentes peuvent être mises en place pour débloquer la situation de ces étudiants qui voient leur avenir professionnel hypothéqué par ce gel ?  

Une solution efficace doit impérativement concilier dimension diplomatique et exigence humaine. Pour cela, il est possible d'établir une commission tripartite Maroc-Turquie-Chypre du Nord. Cette commission réunirait les ministères marocains concernés, des experts turcs et des responsables académiques chypriotes du Nord dans le but d'établir un cadre commun clair qui protège les droits des diplômés. Parallèlement, il est crucial d'instaurer une période transitoire. Les nouvelles règles éventuelles ne doivent pas s’appliquer rétroactivement, protégeant ainsi les étudiants qui se sont inscrits avant 2024. Cette clarification doit être formalisée par un communiqué officiel visant à clarifier l’état des équivalences, rassurer les familles et stabiliser la situation académique générale. Enfin, la mise en place de mécanismes d’équité s'impose, notamment par le recours gracieux, le traitement individualisé des dossiers, et le respect strict du principe de non-rétroactivité administrative.
 
Recueillis par
Safaa KSAANI 







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