- Ce double Prix - pour votre film et pour votre comédienne - ouvre sans doute un nouveau chapitre dans votre parcours : comment imaginez-vous l’après-FIFM et l’impact que cette distinction pourrait avoir sur la vie du film ?
C’est un sentiment d’une immense beauté. Un moment à la fois incroyable et précieux dans ma vie, et j’essaie vraiment de le vivre pleinement. Être ici, à Marrakech, et recevoir un Prix aussi prestigieux, c’est quelque chose qu’on savoure dans l’instant.
J’ai dû rentrer chez moi en plein milieu du festival pour retrouver mon fils ; puis on m’a appelée en urgence pour me dire qu’il fallait absolument revenir, qu’il y avait une possibilité de récompense. Je n’imaginais pas une seconde que ce serait l’Étoile d’Or. Je suis profondément fière et heureuse pour toute mon équipe, et particulièrement pour Debora Lobe Naney, qui a remporté le Prix de la meilleure interprétation féminine. J’invite d’ailleurs le public à découvrir tous les films de la compétition, qui étaient chacun remarquables.
Recevoir cette distinction d’un jury aussi exceptionnel est très émouvant, notamment en présence de Payman Maadi, l’un des acteurs d’ « Une séparation » d’Asghar Farhadi, un film qui compte énormément pour moi. J’espère que les spectateurs qui découvriront « Promis le ciel » ressentiront la même émotion que celle vécue ici.
Je tiens aussi à remercier le festival et les Ateliers de l’Atlas, qui m’ont offert l’opportunité d’amener ce projet jusque-là. Merci au Maroc. Nous venons tout juste d’arriver… et nous avons déjà envie de revenir.
- Qu’est-ce qui vous a guidée dans le choix de ces portraits féminins, et comment avez-vous trouvé ces parcours qui sortent des représentations habituelles de la migration ?
J’avais envie de mettre en lumière les trajectoires de femmes migrantes, un sujet étonnamment absent de nos écrans. On parle beaucoup de migration masculine - ces hommes qui quittent leur pays pour travailler et soutenir leur famille -, mais on oublie que, dans le Maghreb comme en Europe, de nombreuses femmes d’Afrique subsaharienne migrent elles aussi, parfois pour traverser la Méditerranée, parfois pour trouver du travail.
Au cinéma, leurs histoires sont rares, souvent limitées à des destins tragiques liés aux dangers du voyage, notamment dans le désert du Sud. Je voulais explorer autre chose : des parcours moins visibles, parfois portés par des femmes diplômées, entrepreneures, ou encore cette femme pasteure qui a fondé sa propre église. Ces figures ouvrent une autre fenêtre sur la migration, plus complexe, plus diverse, et plus proche des réalités que nous ignorons trop souvent.
- Comment avez-vous dirigé ce mélange d’acteurs professionnels et non professionnels pour conserver cette vérité tout en gardant la maîtrise d’une mise en scène de fiction ?
On a parfois l’impression que « Promis le ciel »l mêle documentaire et fiction, mais en réalité il s’agit d’une fiction extrêmement documentée. Le travail de préparation a été si approfondi qu’on peut croire assister à un documentaire. Cela tient aussi au casting : certains rôles sont interprétés par des comédiens professionnels, d’autres par des non-professionnels qui apportent une présence très organique à l’écran.
Ma démarche consiste toujours à faire entrer un maximum de vie sur le plateau. Pour moi, l’essentiel ne réside pas dans l’exécution littérale du scénario, mais dans la manière dont chaque personnage habite ses moments, dévoilant des fragments de sa réalité. Je suis profondément attachée à cette dimension authentique, à ce rapport direct aux choses vraies. Oui, c’est une véritable quête d’authenticité.
- Comment parvenez-vous à préserver une cohérence narrative lorsque vous faites évoluer le scénario sur le plateau, parfois très différemment de sa version écrite ?
J’ai effectivement travaillé avec deux co-scénaristes, mais chacune est intervenue à un moment différent du processus. La première, Malika Louati, m’a accompagnée dès la phase de recherche : nous avons mené ensemble un vaste travail d’enquête, accumulant récits, témoignages et situations réelles. La seconde, Anna Ciennick, est arrivée plus tard, lorsque le projet avait déjà une matière très dense. Comme je documente énormément, le récit se retrouve vite chargé d’histoires et de détails ; il devient alors essentiel de le restructurer.
J’apprécie justement cette pluralité de regards. J’aime travailler de manière collective, et mes films reflètent cette approche : ce sont souvent des œuvres chorales, où plusieurs trajectoires coexistent. Chaque collaboratrice apporte une sensibilité différente, une manière singulière de penser un personnage ou une scène. Et même si le scénario passe par ces phases d’écriture partagée, je continue de le transformer au tournage - parce que la vie, les acteurs, le lieu apportent toujours quelque chose qui modifie le texte.
- La réaction du public marocain, lors de la projection, vous conforte-t-elle dans l’idée que le cinéma peut agir comme un miroir sensible, capable de révéler nos contradictions collectives et d’ouvrir un espace d’autocritique ?
La projection au festival a provoqué une émotion très forte. J’ai vu des spectateurs marocains bouleversés, des couples qui m’ont confié à quel point ce sujet les touche intimement. Au Maroc, comme au Maghrib, nous faisons face aux mêmes interrogations autour de la migration, et beaucoup m’ont parlé de ce regard que nous portons sur « les Africains », comme si nous n’étions pas nous-mêmes Africains. Cette prise de conscience les a ébranlés.
J’ai été profondément touchée de les voir aussi émus. Parce qu’en réalité, nous partageons les mêmes fragilités, les mêmes contradictions, la même humanité. Nous migrons nous aussi, nous vivons à l’étranger, et nous n’aimerions pas y être traités de manière injuste. Pourtant, chez nous, il arrive que nous reproduisions ces comportements à l’égard de ceux qui arrivent, particulièrement lorsque leur couleur de peau diffère de la nôtre. Il me semble essentiel de se regarder honnêtement, de questionner la manière dont nous accueillons l’autre, et d’admettre que cette réflexion nous concerne tous.
- Cette volonté de préserver une dimension authentique oriente-t-elle déjà votre prochain projet, ou avez-vous envie d’explorer une forme cinématographique totalement différente ?
Aujourd’hui, nous sommes submergés par un flot d’images, d’informations, de contenus publicitaires qui circulent en continu. Dans ce contexte saturé, la quête d’authenticité me paraît essentielle. Elle permet de redonner du sens, de la profondeur, de la vérité à nos récits. Pour moi, c’est presque une nécessité : revenir à des histoires humaines, ancrées dans le réel, c’est offrir aux spectateurs un espace où l’émotion n’est pas fabriquée, mais vécue.























