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Carburants : Les méga-marges menacent-elles la transition énergétique ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Souhail AMRABI Mardi 2 Décembre 2025

La semaine dernière, les députés se sont à nouveau penchés sur la question des prix des carburants, lors d’une réunion de la Commission des infrastructures et de l’énergie. Après les habituels plaidoyers en faveur de la reprise du raffinage local et la critique des marges des distributeurs, les élus ont cette fois mis en avant l’impact de ces prix élevés sur la transition énergétique. Eclairage.



Il y a deux semaines, le Conseil de la Concurrence publiait son rapport trimestriel sur les neuf sociétés distributrices de carburants. Sans surprise, il confirme que la baisse des coûts internationaux et des coûts d’achat n’est répercutée qu’en partie à la pompe, notamment dans les stations en gérance libre. Pour le diesel, la cotation CIF atteint 0,73 DH/L, quand le coût d’achat moyen hors taxe monte à 0,98 DH/L et que le prix de cession HT avoisine 0,47 DH/L. L’écart, soit 0,51 DH/L, n’est donc pas transmis. Aujourd’hui dans les stations, le litre de diesel s’affiche à 11,40 DH et l’essence sans plomb à 13,78 DH.
 
Une situation délicate, note l’expert en énergie Amine Bennouna, car « la plupart des consommateurs ont le sentiment que les hausses de prix sont appliquées plus rapidement que les baisses ». Il constate également que seules les variations négatives sur les marchés internationaux se répercutent réellement à la pompe. Lorsque les cours s’améliorent, les prix restent stables. En effet, depuis début novembre, le Brent recule pourtant nettement, clôturant autour de 62,44 USD le baril dimanche dernier, sous l’effet de l’augmentation de la production de l’OPEP+, des inquiétudes sur la demande mondiale et d’un dollar affaibli. Les importateurs bénéficient de ce contexte. De plus, les marges brutes des distributeurs ont doublé en quatre ans : de 1,30 DH/L à la mi-2021, elles atteignent 2,60 DH/L fin 2025.
 
Cet écart entre coûts et prix à la pompe s’est invité au Parlement, où les députés ont de nouveau critiqué la faible rationalisation des marges. Ils alertent aussi sur les risques que ces pratiques font peser sur la transition énergétique. Selon eux, les prix des carburants au Maroc figurent parmi les plus élevés du monde arabe, entraînant un surcoût dépassant 1,5 DH/L pour le gasoil et près de 3 DH/L pour l’essence par rapport au prix réel du produit.
 
Ça déraille chez les Marocains !
 
Certains élus vont même jusqu’à considérer que la transition énergétique est impossible à mener dans un contexte de prix aussi élevés. Ils demandent une évaluation de la politique de libéralisation, afin de l’aligner sur les impératifs de justice sociale et d’équité territoriale. L’argument tient dans le sens où la hausse des carburants pèse d’abord sur le budget des ménages, puis sur la trésorerie des entreprises. Dans ces conditions, il devient difficile d’obtenir leur adhésion à des politiques de transition, souvent coûteuses à court terme. Des membres de la Fédération nationale du transport routier confirment que le prix du gasoil érode leurs marges, ce qui renchérit naturellement les prestations de transport. « Nous sommes déjà sous pression à cause de la conjoncture, et ces coûts supplémentaires fragilisent nos trésoreries », déplorent-ils. Le même constat s’applique au secteur du BTP car malgré la dynamique créée par les chantiers liés au Mondial, les marges pourraient être meilleures sans les surcoûts liés à la distribution des carburants.
 
Côté ménages, la facture énergétique reste lourde. Beaucoup n’ont plus les moyens d’investir dans des panneaux solaires ou des solutions d’efficacité énergétique. Quant à l’État, il doit fréquemment réorienter ses ressources vers des mesures de compensation, comme ce fut le cas pour les subventions au transport routier, plutôt que de les consacrer au développement des infrastructures renouvelables (réseaux intelligents, stations de recharge, stockage…). Les députés saluent néanmoins ces efforts, soulignant que l’économie nationale se redresse et que l’inflation est revenue à 1,1 %.
 
SAMIR, encore et toujours…
 
Comme souvent, le débat parlementaire s’est terminé sur la question du redémarrage de la raffinerie SAMIR. Les élus estiment qu’une remise en marche renforcerait la souveraineté énergétique du pays et réduirait l’impact des fluctuations internationales. Certains appellent même à l’intégrer officiellement à la stratégie énergétique nationale ou à envisager la construction d’une raffinerie alternative. Le dossier reste toutefois bloqué depuis neuf ans, en raison d’une procédure d’arbitrage international. Amine Bennouna nuance cependant l’enthousiasme autour du raffinage local. Selon lui, son impact sur les prix resterait limité, car l’activité consomme elle-même énormément d’énergie, souvent issue du pétrole raffiné. « Une partie du pétrole brut acheté sert en fait de combustible pour faire fonctionner la raffinerie », précise-t-il. Les coûts de raffinage restent donc directement corrélés au prix du pétrole.
 
Souhail AMRABI
 

Trois questions à Amine Bennouna : « Si les coûts des distributeurs avaient réellement doublé, leurs marges n’auraient pas pu doubler également »

Amine Bennouna, expert en énergie, a répondu à nos questions.
Amine Bennouna, expert en énergie, a répondu à nos questions.
  • Comment expliquer que la baisse des coûts internationaux du pétrole ne soit répercutée qu’en partie sur les prix à la pompe au Maroc ?
 
Il faut noter qu’avant 2003, les choses étaient relativement simples. Les hausses étaient appliquées environ six semaines après, de manière proportionnée, et les baisses l’étaient également, avec le même délai et la même proportionnalité. Aujourd’hui, la situation est devenue plus complexe. Depuis 2021, les distributeurs ont progressivement augmenté leurs marges. Le Conseil de la Concurrence les a d’ailleurs sanctionnés pour pratiques anticoncurrentielles. Or, malgré ces sanctions, ils ont continué à accroître leurs marges. C’est un comportement moralement discutable, mais juridiquement possible du moment qu’augmenter sa marge reste légal.
 
Quant à l’argument souvent avancé de l’augmentation des charges logistiques ou structurelles, il me semble être un simple écran de fumée. Si leurs coûts avaient réellement doublé, leurs marges n’auraient pas pu doubler également, ce qui semble pourtant être le cas. D’autant que ces distributeurs ne font que recevoir le produit fini (essence, gasoil) et le redistribuer tel quel, sans raffinage ni activité industrielle lourde. Certes, ils ont dû financer l’extension des capacités de stockage, mais ces investissements ont toujours été réalisés progressivement et peuvent être absorbés par les marges normales.
 
  • Le consommateur final paie finalement la facture salée…
 
En réalité, ce qui se passe aujourd’hui, c’est que près de 8 milliards de dirhams par an sont retirés de la valeur ajoutée du secteur du transport (tous modes confondus) ainsi que du budget des ménages. Et cet argent finit dans la poche des distributeurs. Ce n’est clairement pas sain, et je regrette qu’on ait instauré la libéralisation des prix en 2015 sans mettre en place de véritables garde-fous. Le Conseil de la Concurrence, par ailleurs, n’a pas les moyens de surveiller efficacement un secteur aussi stratégique.
 
  • On aborde souvent la remise en fonction de la SAMIR pour réguler davantage les prix. Pensez-vous que ça serait pertinent ?
 
Je ne pense pas que le raffinage local aurait permis de baisser significativement les prix. Le raffinage consomme lui-même beaucoup d’énergie, souvent issue du pétrole raffiné. Une partie du pétrole brut acheté sert en fait de combustible pour faire fonctionner la raffinerie. Les coûts de raffinage sont donc directement proportionnels au prix du pétrole. Par ailleurs, un expert mondial du secteur m’a confirmé que, depuis quelques années, les grandes compagnies de raffinage ferment progressivement leurs unités de moins de 12 millions de tonnes par an, car elles ne sont plus rentables. Or, la SAMIR tournait autour de 6 à 7 millions de tonnes, ce qui reste relativement faible. En revanche, il y aurait eu un avantage majeur à maintenir un raffinage local : garder la valeur ajoutée sur place, au lieu de l’acheter à l’étranger en devises. Cet effet de souveraineté et d’intégration locale représente environ 20 % du prix d’achat du combustible. Mais sur la question spécifique de faire baisser les prix à la pompe, je ne pense pas que la SAMIR aurait permis un changement significatif.

SAMIR : Le flou règne

Le sort de la SAMIR continue de diviser. En début d’année, la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali, a réaffirmé que les habitants de Mohammedia « ne veulent plus vivre à côté d’une raffinerie polluante », écartant de facto toute reprise du raffinage. Une position qui a suscité la colère du Front de sauvegarde de la SAMIR, dont le secrétaire général, Hussein El Yamani, avait rappelé que l’usine a été un moteur économique et que les nuisances proviendraient plutôt de la centrale thermique de l’ONEE.
 
La ministre souligne que l’avenir du site dépend du recours en annulation devant le CIRDI, après la condamnation du Maroc à verser 150 millions de dollars à l’actionnaire Corral Petroleum. Elle attribue aussi l’absence d’investisseurs au manque de production pétrolière nationale, argument contesté par le Front, qui affirme que plusieurs repreneurs se sont manifestés et que l’État, détenteur de plus de 80 % des créances, devrait intervenir.
 
Trois pistes sont envisagées : reprise du raffinage si un investisseur se présente, reconversion industrielle ou projet lié aux énergies renouvelables. Les syndicats rejettent tout démantèlement, y voyant une menace pour l’emploi et la souveraineté énergétique. Malgré les assurances de transparence via la digitalisation et l’application Mahattati, les critiques persistent : sans raffinage national, le marché reste exposé aux importations et aux fluctuations mondiales.
 

 

Conseil de la Concurrence : Des marges durablement élevées malgré la baisse des coûts

Le dernier rapport du Conseil de la Concurrence révèle que malgré l’effondrement des cours internationaux et la forte contraction des coûts d’approvisionnement, les distributeurs ont maintenu des marges brutes élevées tout au long du deuxième trimestre 2025. L’institution note que « les marges brutes moyennes demeurent proches de celles constatées l’année précédente », alors même que les prix internationaux du gazole et de l’essence ont reculé, ce qui met en lumière une dissociation persistante entre les coûts réels et les prix facturés au consommateur.
 
Les données détaillées confirment que la répercussion des baisses internationales reste partielle et tardive. Pour le gazole, le coût d’achat a diminué de 0,98 dirham par litre, tandis que le prix de cession n’a reculé que de 0,47 dirham. Pour l’essence, l’écart est similaire : 0,61 dirham de baisse sur le coût d’achat, contre 0,32 dirham seulement sur le prix final. Résultat : les marges se sont consolidées. La moyenne trimestrielle atteint 1,17 dirham par litre pour le gazole et 1,83 dirham pour l’essence, des niveaux jugés difficilement justifiables dans le contexte actuel.
 
Le Conseil souligne que ces marges reflètent une dynamique déjà observée les trimestres précédents : les prix à la pompe réagissent beaucoup plus lentement aux baisses qu’aux hausses, renforçant la perception d’un déséquilibre structurel au détriment du consommateur. Cette stabilité des profits unitaires, malgré la chute des cours, confère aux marges un caractère lourd et peu cohérent avec l’évolution du marché international.